En cette journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, les associations dénoncent un important rejet des personnes LGBT+ dans les territoires ultramarins. Même si des progrès sont soulignés, les violences et discriminations les empêchent toujours de vivre librement.
Dix ans après l’ouverture du mariage au couple gay et lesbien en France et cinq ans après un rapport parlementaire pointant « une haine LGBT plus marquée » dans les Outre-mer, l’homophobie est loin d’avoir disparu dans les territoires ultramarins. Les associations s’accordent à dire que la situation s’améliore, mais trop lentement. Et certains jeunes préfèrent toujours quitter leur terre natale plutôt que de faire face à une homophobie omniprésente. C’est le choix qu’a fait Karel Luciani. Le président de l’association Cousins Cousines, s’est exilé durant quinze ans loin de son île ne sachant pas « comment vivre librement (son) homosexualité à Tahiti ». De retour dans le Pacifique depuis quelques années, il a créé l’unique association LGBT + de Polynésie. « Aujourd’hui on observe des progrès, des jeunes personnes s’affichent et affirment leurs différences. Le mariage pour tous a fait progresser les mentalités mais il y a toujours des discriminations et des violences », regrette Karel Luciani.
Une première marche historique
En juin 2018, trois députés français, Laurence Vanceunebrock-Mialon (Allier), Raphaël Gérard (Charente-maritime) et Gabriel Serville (Guyane) relevaient, « un rejet latent » des personnes LGBT + dans les territoires d’Outre-mer, « renforcés par le poids de la structure sociale et du contexte culturel propre à chaque espace géographique ».
Xylric Lepinay, président de l’association OriZon Réunion et du centre LGBT + de l’Océan Indien remarque une « évolution phénoménale » depuis la promulgation de la loi portée par Christiane Taubira. « En 10 ans, les associations sont plus écoutées, on trouve plus facilement des alliés en haut lieu ce qui permet d’aller plus vite ». Le Réunionnais ajoute : « une partie de la population reste arc-boutée sur ces principes et rejette, de façon plus virulente encore, les personnes LGBT. Mais une autre partie est plus ouverte qu’avant. Une personne queer peut sortir dans la rue librement sans être agressée, au pire certaines personnes glousseront en la voyant mais ils s’en tiennent généralement à ça ». Par ces mots, il est aisé d’en déduire que le chemin à parcourir est encore long.
Pour la toute première fois, les Réunionnais ont défilé le 16 mai 2021 lors d’une marche des visibilités dans les rues de Saint-Denis. Alors que l’événement rassemble chaque année des milliers de personnes dans l’Hexagone, cette première initiative réunionnaise marque un tournant historique pour Brandon Gercara, fondateur de l’association Requeer, à l’initiative de l’événement. « Cette manifestation officielle a permis des avancées sur les plans politique, social et économique pour l’émancipation des personnes LGBTQIA, confie-t-il. Il y a 10 ans, à la Réunion, seuls les discours homophobes étaient médiatisés, sans contrepoint et les plaintes n’étaient pas prises en compte. Aujourd’hui, les villes prennent le sujet au sérieux. On est plus visible et on a un espace de parole. Les habitants de La Réunion savent à présent que c’est mal d’être homophobe ».
L’église, lieu de socialisation
Pour Brandon Gercara, le poids des convictions religieuses pèse toujours largement sur la communauté LGBT. « C’est difficile de sortir du placard quand on a notre famille à côté, on ne peut pas les éviter. Le poids de la religion, c’est une autre réalité à la Réunion ». En septembre dernier, Monseigneur Aubry, l’évêque de La Réunion, comparait le mariage pour tous à « une aberration ». Des propos condamnables qui, selon les associations, « encouragent les discours et violences homophobes ». En 2018, les députés français pointaient déjà l’influence de la religion dans le rejet des personnes homosexuelles.
Il y a un an, l’ancienne journaliste guadeloupéenne Caroline Musquet publiait le recueil de témoignages « Être homosexuel aux Antilles », brisant l’omerta autour de l’homosexualité dans des territoires insulaires, « où la diversité des identités est moins acceptée et difficile à vivre. Dans les Outre-mer, les croyances et la région sont très présentes. Les lieux de cultes font partie des moments de socialisation, on va à l’église comme on va au café, on y rencontre des amis, on discute avec ses voisins ». Pour Caroline Musquet, « le poids de la religion empêche l’ouverture d’esprit » dans des sociétés où les « personnes invoquent Dieu » pour justifier l’homophobie.
L’homophobie et la colonisation
Selon une enquête réalisée par l’Institut national d’études démographiques, « en 2020, 81 % des personnes vivant à La Réunion déclarent avoir une religion, une part comparable à celles de la Guadeloupe et de la Martinique, et supérieure à celle de la Guyane (64 %) ». Le catholicisme y est « majoritaire » et « les religions hindouistes et musulmanes y tiennent, elles aussi, une place importante ». La domination de la religion catholique à La Réunion comme dans la plupart des territoires d’Outre-mer, s’explique par la colonisation. « Dans les îles qui ont été des colonies françaises, le catholicisme était la religion obligatoire des esclaves que les religieux d’abord et le clergé ensuite, étaient chargés d’évangéliser et d’encadrer », précise l’historien Gérard Lafleur.
Au-delà de la religion, l’homophobie tient ses racines « de la colonisation » selon la sociologue Nadia Chonville. « Dans les Caraïbes, il y a toujours une haine anti-LGBT importante, ce sont des mécanismes historiques et politiques qui remontent de la période coloniale, ils ne vont pas se défaire en un claquement de doigts, même avec le mariage pour tous ». Pour cette Martiniquaise, « la religion n’est pas forcément la première cause de la prévalence de l’homophobie dans les Antilles même si les institutions religieuses ont leur responsabilité car elles entretiennent un discours patriarcal et sexiste ». Nadia Chonville rappelle que « la colonisation a imposé aux Antilles les mêmes normes occidentales et judéo-chrétiennes sur lesquelles s’appuient les discours homophobes en France continentale ».
Pour Caroline Musquet, les territoires ultramarins ne seraient pas « plus homophobes » que l’Hexagone, mais « les caractéristiques environnementales pèsent davantage sur le dos de ceux qui se sentent déjà à part ». Xylric Lepinay ajoute que « l’anonymat à La Réunion est un vœu pieux, on ne peut pas se fondre dans la foule et ne plus être remarqué ». Là où l’insularité ne permet aucune échappatoire, Paris apparaît alors comme la ville de la liberté.
Marion Durand