Ce 12 mars 2025, la Commission des finances du Sénat a auditionné Catherine Démier, présidente de chambre maintenue à la Cour des comptes, Ferdy Louisy, président du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG) et Najib Mahfoudhi, coordonnateur interministériel du Plan eau DOM (Pedom), pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en Outre-mer. Cette séance a été suivie d’une conférence de presse au cours de laquelle les sénateurs Georges Patient (Guyane) et Stéphane Fouassin (La Réunion) ont présenté leur propre rapport sur ce sujet et leurs réflexions sur l'enquête de la Cour.
Dans son rapport, la Cour des comptes souligne que le droit à des services fiables d’assainissement et d’eau potable est crucial, surtout dans les Outre-mer où la qualité de ces services s’est dégradée dans les années 2010, provoquant des coupures d’eau fréquentes dans un contexte de catastrophes climatiques et de crises sociales. En 2016, l’État a lancé le Pedom pour soutenir les cinq régions et départements d’Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion) ainsi que Saint-Martin.
Ce dernier est basé sur des « contrats de progrès » qui conditionnent les financements au respect d’engagements, avec un pilotage national, et ceux-ci reposent sur des crédits budgétaires et des prêts publics. « Le coût consolidé des investissements nécessaires dans les six territoires est estimé à 2,3 milliards d’euros. L’État et ses opérateurs ont mobilisé depuis 2016, respectivement 889 millions de subventions et de prêts, répartis inégalement selon les territoires. (…) Le fonds de solidarité interbassins a été porté à 35 M€ en 2024, avec une augmentation prévue à 55 M€ en 2025 », précise le rapport.
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Cependant, ces « contrats de progrès », qui s’appuient sur une logique de conditionnalité inaboutie, sont limités par les difficultés de gouvernance et la trop faible implication des usagers, déplore la Cour. En outre, « lors du lancement du Pedom, l’insuffisance d’ingénierie locale a été constatée, dont le renforcement constitue désormais une priorité majeure. L’enquête des juridictions financières constate en effet que l’État ne dispose plus de l’ingénierie qu’il mettait auparavant à disposition ; elle analyse les solutions alternatives mises en œuvre, comme une assistance technique coûteuse et mal positionnée ».
L'analyse de la mise en œuvre du Pedom révèle des différences entre les Outre-mer et la France hexagonale en matière de politiques de l'eau et de l'assainissement. La gouvernance, dominée par l'État, diverge des normes nationales. Des expérimentations locales et des dérogations peuvent offrir des solutions adaptées, et le financement des services ultramarins doit tenir compte des spécificités régionales, qui engendrent des coûts élevés pour des ménages déjà fragiles. Le financement du Pedom est crucial pour les investissements, mais les collectivités locales doivent aussi garantir leur autofinancement et assurer la pérennité des services.
Prévu au départ pour une période de dix ans, le Pedom a été renouvelé en juillet 2024. Sa nouvelle version tend à corriger certaines carences, comme la rénovation des contrats de progrès, le renforcement de la conditionnalité et l’intégration du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon dans son périmètre. Pour finir, le rapport explique que le Pedom « devra surtout rétablir l’équilibre et l’efficacité des services d’eau potable et d’assainissement, maîtriser les enjeux sanitaires liés à la consommation d’une eau de qualité en quantité suffisante, permettre l’accès à un service d’assainissement performant assurant l’hygiène de chacun et la sécurité de tous ».
Lors de son intervention, le sénateur de Guyane Georges Patient a fait remarquer qu’en vertu de certaines conventions internationales, il est posé le principe du droit de chacun à accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous pour son alimentation et son hygiène. Cependant, « en 2023, 30% de la population mahoraise n’avait pas d’accès direct à l’eau potable ; en Guyane près d’un quart de la population n’y a pas accès non plus en raison des fortes contraintes géographiques du territoire ; en Guadeloupe la population subit des coupures d’eau sur une base presque quotidienne ; à La Réunion et en Martinique près de 30% de l’eau transportée dans le réseau de distribution est perdu et ne peut être consommé en raison des fuites », a-t-il rappelé.
Georges Patient a également noté l’inadaptation du cadre législatif et réglementaire de la gestion de l’eau et de sa distribution. Prenant l’exemple de la directive européenne portant sur les eaux résiduelles urbaines, il a fait remarquer que 50% des installations d’assainissement non collectif en Outre-mer ne sont pas conformes à la réglementation en raison des matériaux utilisés, notamment parce qu’ils ne sont pas disponibles localement. « Des initiatives locales ont été prises pour adapter le cadre législatif, mais il est possible d’aller plus loin pour éviter des lourdeurs administratives inapplicables. L’adaptation des normes administratives doit être renforcée afin de permettre aux territoires de s’adapter aux réalités locales », a déclaré le sénateur guyanais.
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De son côté, le sénateur réunionnais Stéphane Fouassin a relevé que les collectivités territoriales en Outre-mer chargées du service de l’eau et de la distribution subissent une autre contrainte, celle de la difficulté de recouvrement des factures liées à l’eau, d’autant que « le prix de l’eau est souvent significativement plus élevé que dans l’Hexagone puisqu’il dépasse par exemple les cinq euros le mètre cube d’eau dans les Antilles contre 4,5 euros dans l’Hexagone. (…) À Mayotte les factures d’eau représentent 17 et même jusqu’à 25% du budget moyen des ménages ». Il existe donc une forte insatisfaction liée aux services de l’eau en Outre-mer.
La logique de contractualisation dans le cadre du Plan eau DOM a permis de réaliser de réelles avancées notamment en matière de gouvernance locale, a toutefois ajouté Stéphane Fouassin. « La Cour des comptes se félicite ainsi d’une gouvernance plus efficace et plus lisible qu’auparavant. Une conclusion que nous rejoignons ». Le sénateur a estimé aussi qu’il est important de laisser de la souplesse à chaque territoire pour s’organiser de façon adaptée aux contraintes et spécificités locales. Au final, les deux rapporteurs sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement en Outre-mer ont proposé de suivre les recommandations de la Cour des comptes, mais en ajoutant d’autres, et notamment : « réduire et recentrer les objectifs contenus dans les contrats de progrès, renforcer le rôle des comités restreints de financeurs, conserver la souplesse d’organisation dans le pilotage local et renforcer les formations des personnels ».
PM