Le 8 avril dernier, l’Assemblée nationale a adopté, en deuxième lecture, la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Présentée comme historique, l’adoption de cette proposition de loi tient beaucoup à la ténacité de son auteur, le député du Morbihan Paul Molac, président du groupe d’études Langues et cultures régionales à l’Assemblée nationale, qui avait dans la précédente mandature porté une proposition de loi constitutionnelle tendant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et une proposition de loi relative à l’enseignement immersif des langues régionales et à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel.
Le vote de cette loi peut en effet être qualifié d’historique, à plus d’un titre. C’est, d’abord, la première loi consacrée aux langues régionales adoptée sous la Ve République. C’est, ensuite, une loi plus ambitieuse que son unique et illustre précédente, la loi Deixonne du 11 janvier 1951, qui ne portait que sur l’enseignement des langues et dialectes locaux. C’est, enfin, 13 ans après son adoption, le premier développement législatif de l’article 75-1 de la Constitution aux termes duquel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».
Historique, la loi Molac n’annonce néanmoins pas le grand soir pour les langues régionales : ce n’est pas une loi-cadre qui viendrait fixer leur statut législatif. Le texte applique la méthode des petits pas, la seule qui vaille sur ce sujet sensible, comme l’ont démontré les errements des débats sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires depuis plus de vingt ans.
Sur le fond, elle concerne trois domaines : le patrimoine, les services publics (signalétique et état civil) et l’enseignement. En premier lieu, la loi inscrit au patrimoine culturel immatériel le patrimoine linguistique, constitué de la langue française et des langues régionales : il en découle, pour l’État et les collectivités territoriales, l’obligation de concourir à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues. Par ailleurs, sont qualifiés de « trésors nationaux » les biens présentant un intérêt majeur pour le patrimoine national au point de vue de la connaissance de la langue française et des langues régionales.
En deuxième lieu, la loi permet aux services publics d’assurer l’affichage de traductions de la langue française en langue(s) régionale(s) sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, les voies publiques de circulation, dans les infrastructures de transport ainsi que dans leurs principaux supports de communication institutionnelle. On peut regretter que ce qui relevait jusque-là d’une bonne pratique a dû être imposé par la loi, suite à des décisions particulièrement sévères du juge administratif (voir par exemple l’affaire de Villeneuve-les-Maguelone). Par ailleurs, la loi prévoit que les signes diacritiques des langues régionales sont désormais autorisés dans les actes d’état civil. Là encore, la voie législative a été rendue nécessaire suite à une affaire en justice qui avait fait grand bruit : l’interdiction faite à des parents de donner à leur enfant le prénom « Fañch » ainsi orthographié avec un tilde.
Importantes, ces dispositions « patrimoniales » et symboliques n’ont pas été les plus débattues lors des discussions en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est la question de l’enseignement qui a constitué la véritable pierre d’achoppement, et plus précisément la question du « forfait scolaire », d’une part, et de la modalité de l’enseignement dit « immersif », d’autre part.
Mais au préalable, en matière d’enseignement, un des grands apports de la loi Molac est sans nul doute l’extension de « l’exception corse » à l’ensemble des langues régionales. Alors qu’il pose le principe du caractère facultatif de l’enseignement des langues régionales, le code de l’éducation dispose, depuis 2002, que « la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse », rédaction qui a fait l’objet d’une réserve d’interprétation par le Conseil constitutionnel mais qui n’a pas été censurée. La loi Molac s’engouffre dans la brèche ainsi ouverte pour affirmer plus largement que « la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but de proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves ». Cette généralisation devra néanmoins se faire dans le cadre de conventions entre l’État et les collectivités territoriales concernées.
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Pour le droit Outre-mer, un autre apport notable de la loi Molac est l’abrogation de l’article L.372-1 du code de l’éducation, qui excluait Mayotte du champ d’application de l’article L.312-10. Désormais, l’enseignement des langues et cultures régionales dans les régions où elles sont en usage pourra bénéficier au shimaoré et au kibushi. L’enseignement de ces langues très pratiquées à Mayotte ne se fera donc plus à la faveur d’une tolérance mais enfin en vertu d’un droit. Issue d’un amendement présenté par les sénateurs mahorais Abdallah Hassani et Thani Mohamed Soilihi, cette disposition comble un des angles morts de la départementalisation à Mayotte.
En matière de financement, la participation des communes à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale mais situé sur le territoire d’une autre commune était jusqu’à présent une contribution volontaire. Implicitement, le texte de la loi Molac la rend obligatoire, dans le cadre d’un accord entre la commune de résidence de l’enfant et l’établissement privé concerné. Ce « forfait scolaire » est ainsi présenté comme une contribution à l’enseignement des langues régionales mais ne manque pas de soulever la délicate question du financement public des écoles privées et associatives.
Enfin, la véritable victoire pour les défenseurs des langues régionales est sans conteste la reconnaissance de la méthode de l’immersion comme modalité d’enseignement. Le code de l’éducation prévoit dorénavant que l’enseignement facultatif de langue et culture régionales peut revêtir trois formes : a minima, un enseignement de la langue et de la culture régionales ; un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale (jusqu’à la parité horaire) ; et a maxima donc un enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice précise le texte de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française. Pour le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, la proposition de loi de Paul Molac va trop loin sur cette question de l’enseignement immersif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel conduit à s’interroger en effet sur la constitutionnalité de cette disposition : un enseignement immersif respecte-t-il l’article 2 de la Constitution tel qu’interprété par les juges du pavillon Montpensier ?
La loi Molac est une pierre importante de l’édifice du droit des langues régionales, qui profitera aussi bien aux langues hexagonales qu’aux langues d’Outre-mer. Lors de la discussion en séance publique à l’Assemblée nationale le 8 avril dernier, le Ministre de l’Éducation nationale a rappelé qu’il « a exercé des responsabilités Outre-mer, notamment en Guyane, en y favorisant les langues régionales, qu’il s’agisse des langues amérindiennes ou bushinengués ». Pour lui, « il est évident que nous devons faire droit à ces langues diverses ». Sa position au sein du Gouvernement et l’adoption de la loi Molac placent sous les meilleurs augures les états généraux du multilinguisme dans les Outre-mer (EGM-OM) qui se tiendront en octobre prochain à La Réunion.
Véronique Bertile
Maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux
Auteur d’une thèse intitulée « Langues régionales ou minoritaires et Constitution. France, Espagne et Italie »
Membre du conseil scientifique de l’Observatoire des pratiques linguistiques (DGLFLF)
Membre de L’AJDOM