©Bertrand Guay / AFP
Le Président de la République Emmanuel Macron a achevé, ce samedi 28 octobre, son premier grand rendez-vous ultramarin. En visite de trois jours en Guyane, le Chef de l’Etat a pu se frotter aux réalités locales, dans un territoire où les attentes sont fortes depuis les importantes manifestations du printemps et la signature de l’Accord de Guyane par le précédent gouvernement.
Accord de Guyane : « La parole de l’Etat sera tenue »
La Guyane avait surpris toute la France quand, en pleine campagne électorale, des mouvements sociaux sans précédent paralysent le territoire, en réponse à des décennies de sous-développement. Le 21 avril, les Collectifs à l’origine des manifestations obtiennent la signature de l’Accord de Guyane, moyennant 1,08 milliard d’euros d’aide d’urgence à la santé, la sécurité, aux Collectivités, à l’éducation, à l’économie, au développement des infrastructures, à la construction d’un Tribunal de Grand instance, d’un commissariat mais aussi la cession de 650 000 hectares de foncier aux collectivités et aux peuples autochtones. En juillet dernier, la Ministre des Outre-mer Annick Girardin assurait alors que « 60% des engagements (…) sont d’ores et déjà mis en œuvre ».
J’entends la colère en Guyane, mais je ne la réglerai pas par la démagogie. pic.twitter.com/o4C4R3QHVB
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 28 octobre 2017
Devant la presse à Maripasoula, Emmanuel Macron a précisé que l’ « intégralité des deux premiers volets » des accords conclus en avril « seront appliqués » et que « la parole de l’Etat sera tenue ». S’agissant de « la demande complémentaire », à hauteur de 2,1 milliards, « il y avait un engagement à étudier les propositions qui sont faites et j’ai réitéré hier cet engagement à étudier ». Son prédécesseur avait aussi botté en touche face à cette demande supplémentaire, prenant acte sans l’accorder. Le Président de la République a aussi annoncé que l’envoi de « renforts » de forces de sécurité en Guyane serait « accéléré ».
Emmanuel Macron a réaffirmé la construction à Maripasoula d’un lycée associé à l’internat d’excellence actuellement en chantier, et d’un collège également. Ces projets seront menés par collectivité territoriale de Guyane avec une enveloppe de 250 millions déjà mobilisée. 300 000 euros sont aussi prévus pour la construction d’un stade dans la même commune.
Sécurité et Immigration
Au volet sécurité, le Président a annoncé l’arrivée de 90 gendarmes et 22 policiers « dès 2018″ et la création d’un nouveau commissariat à Cayenne, une « Arlésienne depuis 15 ans ». A Saint-Laurent du Maroni, commune limitrophe du Surinam, la construction du Centre pénitentiaire a été évoquée et le nouveau Commissariat de Cayenne devrait arriver avant la fin de l’année. Le Chef de l’Etat compte également « régénérer l’opération Harpie » avec « des moyens modernes », comme les drones pour lutter notamment contre l’orpaillage illégal.
Sur l’immigration, nous avons une pression migratoire qui n’est plus soutenable en Guyane. pic.twitter.com/H78c7iPbfJ
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 27 octobre 2017
Pour dissuader l’immigration, venant du Surinam, du Guyana, du Brésil ou encore d’Haïti, le gouvernement va réduire à deux mois le versement de l’allocation versée aux demandeurs d’asile et conditionner à 15 ans de résidence sur le territoire l’accès au RSA, qui sera désormais géré par l’Etat et « démonétisé ». Pour préserver et garantir le droit d’asile en Guyane, le Président de la République souhaite des « procédures accélérées pour l’examen de cette demande d’asile injustifiée ».
Montagne d’or : Emmanuel Macron favorable mais…
Lors d’une conférence de presse à Maripasoula, le Président s’est dit favorable au projet minier de la Montagne d’Or, porté par le groupe russe Nordgold, associé au Canadien Colombus Gold, « une véritable insulte » estiment les membres de l’association Jeunesse autochtone guyanaise. Emmanuel Macron nuance toutefois : « J’invite les Guyanais à s’intéresser à ce débat qui est un moment de transparence et de concertation ». Ce débat, organisé par la Commission nationale du débat public, doit durer quatre mois à partir de mars 2018. « Les décisions » sur l’avenir du projet « ne seront prises qu’à l’issue de celui-ci », a précisé Emmanuel Macron.
La « Montagne d’or », plus grand projet d’extraction d’or primaire jamais proposé en France, rencontre de farouches oppositions de chefs coutumiers et d’organisations écologistes, qui dénoncent la proximité du site minier, près de Saint-Laurent du Maroni (ouest), avec deux réserves biologiques, dont la plus grande de France. Bon nombre d’élus guyanais y sont néanmoins favorables, tels que le maire de Saint-Laurent du Maroni Léon Bertrand. Il est notamment présenté comme un projet économique pourvoyeur d’emplois, ce qui ne joue pas en faveur de ses opposants qui pointent du doigt un désastre écologique.
Une visite réussie ?
Mitigée, c’est le sentiment que laisse cette première visite officielle du Président de la République en Outre-mer. Emmanuel Macron s’était déjà rendu à Saint-Martin au lendemain du passage d’Irma, mais la Guyane était un rendez-vous politique sensible et important, au regard des manifestations du printemps et des attentes dans ce territoire qui concentre, avec Mayotte, tous les problèmes endémiques ultramarins : insécurité, immigration, chômage, désenclavement, précarité, système de santé à bout de souffle, système éducatif inefficace ou encore, normes économiques inadaptés.
Alors même qu’il n’était pas arrivé en Guyane, la tension s’annonçait au rendez-vous : la note polémique de l’Elysée aux journalistes, le refus des maires guyanais de participer à l’accueil républicain et au dîner organisé à la Préfecture, cette maison délabrée consciencieusement cachée par la municipalité de Maripasoula et surtout, le sentiment sur place que rien n’a changé depuis avril dernier. La mobilisation sur place s’est organisée en amont de l’arrivée du Président de la République, et ce dernier a d’ailleurs essuyé un épisode d’incidents violents entre manifestants et force de l’ordre, jeudi soir, aux abords directs de la Préfecture, pendant que se tenait le dîner républicain. Une image qui attise ce sentiment de rapports postcoloniaux : en haut, l’Etat, en bas, les territoires.
« Pas venu faire des promesses de Père Noël ». Là encore, le Président de la République fâche. Certains élus y voient du paternalisme. « Ce que les Guyanais attendent ce n’est pas le père Noël, mais un chef d’Etat qui respecte les engagements pris par l’Etat », répond le député Gabriel Serville (GDR). « Le fait de nous agiter le Père Noël, c’est très malvenu. Nous ne sommes pas des naïfs. On va dire qu’on est habitué au personnage. Il a déjà traité les autres de fainéants… », commente Rosy, guyanaise de 43 ans.
« Dire qu’il n’est pas un père Noël c’est perversement mettre dans la tête que nous sommes des enfants. C’est pensé et cynique. » #guyane
— younous omarjee (@younousomarjee) 27 octobre 2017
Emmanuel Macron a également voulu se montrer « ferme », en refusant de négocier avec les Collectifs, ou les « gens cagoulés » en référence aux « 500 frères contre la délinquance », figures des manifestations du printemps. Vécu comme du « mépris », le Président de la République tente le rattrapage en concédant une rencontre avec ses conseillers et en faisant une visite surprise dans les quartiers les plus sensibles de Cayenne. Ambiance détendue, situation cocasse à la reconnaissance de l’odeur du cannabis, cette autre séquence inattendue laisse là encore un sentiment partagé parmi les Guyanais. « Il va là où il y a de la misère, pour se montrer. Les gens du quartier vont être contents. Ils vont se dire : le président est venu nous voir. Mais il oublie les vraies revendications de la Guyane », regrette Marie-Louise, professeur des écoles, au Parisien.
Avec un membre des Grands Frères. J’échange avec tous ceux qui acceptent le dialogue à visage découvert, sans cagoule. pic.twitter.com/vNzJufmvGQ
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 28 octobre 2017
Prochain rendez-vous : la Nouvelle-Calédonie ?
Lors de son discours de lancement des Assises des Outre-mer, le Président de la République a évoqué le cas d’un autre territoire d’Outre-mer : la Nouvelle-Calédonie. A un an du référendum d’autodétermination, la tension y monte alors que parallèlement, l’économie patine. Le Président de la République s’y rendra avant mai, a-t-il indiqué, au lancement des assises ce samedi.