EDITO. « Sommes-nous déjà en guerre ? Dire l’horreur d’aujourd’hui », par Luc Laventure

EDITO. « Sommes-nous déjà en guerre ? Dire l’horreur d’aujourd’hui », par Luc Laventure

Et si les Outre-mer pouvaient donner quelques pistes d’un « vivre-ensemble à la française » ?  

« Sommes-nous déjà en guerre ? Dire l’horreur d’aujourd’hui ». Tel était l’intitulé d’un colloque sous la Présidence du Professeur Alexandre Minkowski, en 1998. L’un des thèmes principaux de ce colloque, à l’initiative de Didier Bromberg, Rédacteur en chef de la Revue Psychiatries, était : « Doit-on percevoir les signes avant-coureurs d’une guerre civile ? ». Cette question s’était donc déjà posée il y a 22 ans !

Les violences actuelles, relayées par les médias, et les propos qui circulent sur les réseaux sociaux rendent, peut-être, de manière encore plus urgente, la nécessité de repenser le rapport à l’altérité dans notre modèle Républicain.

L’affaire « des foulards de Creil » en 1989 constituait déjà un signal. Ernest Chénière, principal du collège de Creil, dans son souhait de protéger la laïcité, avait refusé l’entrée de deux jeunes élèves voilées dans son établissement. Par respect de la stricte application de la laïcité qui permet à tout individu, non-fonctionnaire d’État, de vivre sa diversité culturelle et cultuelle, en tout lieu, la République lui a donné tort…

Pourtant en 2004, c’est dans la confrontation que la République a fait évoluer la loi sur la laïcité, en interdisant aux élèves de porter un signe religieux au sein des établissements scolaires. Depuis, on a formé des experts, mais les questions demeurent.

Plus de trente ans plus tard, vivons-nous une guerre ?

Une guerre de religions ?

Une guerre de civilisations ?

Récemment, le père Michel Viot, du diocèse de Blois, s’exprimait sur un plateau de CNEWS : « Je suis un enfant de l’école publique.  Mon père était instituteur laïque. Il était même franc-maçon, socialiste. J’ai été éduqué dans l’école publique de la laïcité. Il n’y avait pas de communautarisme parce que la laïcité c’était une neutralité bienveillante, apaisée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui (…). Cela prend du temps d’éduquer et en ce moment il y a le feu à la maison. Donc on ne va pas rajouter du feu. Il faut être raisonnable ».

Il semble qu’à notre époque de technologie avancée, d’individualisme exacerbé, de selfies tonitruants, nous sommes passés du désir de faire des choses ensemble, à une notion très égoïste du « je fais ce que je veux. Je fais ce qu’il me plaît ».  La crise du Covid montre les limites du sentiment de l’inutilité des règles communes.

Les drames de ces derniers jours ont provoqué des réactions exacerbées, des surenchères quelques fois dangereuses. Partout, on semble assister à un phénomène de déconstruction sans savoir vraiment ce que l’on veut reconstruire.

Et si les Outre-mer pouvaient donner quelques pistes d’un « vivre-ensemble à la française ? »

Comment se réunir ?  Nos territoires se sont construits au fil des ans, ou plutôt ont construit leur collectif sur leurs différences d’origines, leurs différences ethniques, religieuses, et culturelles sans que l’espace public ne semble menacé.

N’est-il pas temps de reprendre les choses dans leur globalité et de s’interroger sur le modèle du « vivre-ensemble » que sont les outre-mer ? L’Hexagone quant à lui, avec ses racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines qui ont permis de valoriser l’individu sur le collectif, s’interroge fortement sur la façon dont il convient de dépasser ses carcans historiques, géographiques et ethniques qui semblent définir cette fameuse « identité française ».

Comment vivre ensemble en paix dans la diversité ?

Les Outre-mer peuvent sans prétention mais sans complexe, juste par leur vécu, quelquefois douloureux, apporter leur expérience à la construction d’une Nation appelée à l’Universalité. Il n’y a pas de « Français de souche », il y a des « Français de choix ». 

Et c’est là toute la différence entre la France et les constructions anglo-saxonnes.

C’est ce qui fait que cette notion de transcendance permet à un Mélanésien, à un Polynésien, à un Amazonien et à un Caribéen de pouvoir revendiquer des valeurs communes sur le plan des idées, de la langue : une certaine conception de la liberté et de ce qu’on appelle même dans les pays du Pacifique : une communauté de destin.

Cette légitimité, les citoyens des Outre-mer l’ont. Ils l’ont acquise à travers les différentes strates de leur Histoire. La dernière en date étant ce qu’on appelle « l’impôt du sang ».

On ne le dit pas assez, les citoyens d’Outre-mer ont payé cet impôt. Ces Français d’Outre-mer, ils sont présents sur tous les théâtres d’opérations où se trouve la France. Ces Français d’outre-mer ont en héritage le fait que leurs parents se soient battus en « volontaires » lors de la Seconde Guerre Mondiale, pour que triomphe une certaine idée de la liberté incarnée par la République française. Même si, on peut avoir parfois à l’esprit cette réflexion qu’a eu un jour Frantz Fanon : « Rien ici, rien qui justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout ».

Les Outre-mer, dans cette turbulence de l’actualité qui émeut l’ensemble de nos compatriotes, peuvent contribuer à nourrir une réflexion du « vivre-ensemble », l’analyser et proposer des pistes d’amélioration pour que les choses ne dégénèrent pas.

Cette réflexion renouera ainsi avec les « Pères Fondateurs » de La République, non de la révolution de 1793, mais de la nuit du 4 août et de l’abolition des privilèges. Ce sera ainsi une façon de retrouver les fondamentaux de la République, symbolisé notamment par le fameux Serment du « Jeu de paume » où la société d’ordre s’est fondue dans la représentation nationale pour s’unir en conscience dans une citoyenneté rassembleuse, premier ciment de notre « Vivre-ensemble ».

En effet, c’est bien cette façon d’avoir un destin commun, dans la diversité, dans nos différences ethniques, physiques, religieuses, qui est aujourd’hui en question.  En ce début de siècle et dans ce contexte de mondialisation et donc de mise en contact de fortes diversités, l’enjeu majeur pour le maintien des valeurs de La République est de savoir se renouveler en permettant de reconstruire un « agora forum ».

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L’exemple qui nous vient immédiatement à l’esprit est ce qui se vit au quotidien à La Réunion où 4 grandes religions vivent ensemble sur un territoire de presque 1 million de personnes (pus de 800 000 habitants). C’est ce qui se passe à Mayotte où malgré les crispations sociales et économiques, les bienfaits de la République sont applaudis. C’est ce qui se passe en Guyane, où malgré quelques tensions, les Peuples Premiers construisent en lien avec les Créoles venus de plusieurs coins de la Caraïbe un territoire amazonien…

Je voudrai cette semaine interroger, donner la parole à des acteurs de terrain qui bâtissent cette France, cette laïcité de tous les jours.

J’ai demandé à Thierry Malbert, Docteur en Anthropologie, Maître de Conférences en Sciences de l’éducation à l’Université de La Réunion, membre du Laboratoire de recherche sur les espaces créoles et francophones, et responsable du Diplôme Universitaire « République et Religions », de m’aider, de nous aider à construire ce débat dans les jours à venir.

Nous essayerons de décrypter, d’analyser ces problématiques qui cristallisent aujourd’hui encore tant d’incompréhension, de divergences.

Il y a toujours des solutions quand il y a de la bonne volonté  : Les compétences de l’Outre-mer, DES « Outremers »,  sont là pour y contribuer.

Luc Laventure

Crédits images « une » : Facebook Méo974