Toute la semaine, Outremers360 vous propose un dossier sur l’usage des plantes médicinales dans les territoires ultramarins.Le dernier volet de notre série est consacré à la formation des personnels soignants aux pratiques locales. L’Université de la Nouvelle-Calédonie envisage dès la rentrée prochaine l’ouverture d’un diplôme universitaire en ethnomédecine, une médecine qui prend en compte les méthodes ancestrales et traditionnelles.Une série réalisée par Marion Durand.
C’est une première dans le Pacifique. Une formation dédiée aux médecines traditionnelles et ancestrales sera bientôt proposée par l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC). Après La Réunion, le Caillou est le deuxième territoire ultramarin à réfléchir à un diplôme universitaire (DU) en ethnomédecine pour répondre aux besoins des personnels soignants. « Les professionnels de santé manquent de connaissances à propos de cette médecine traditionnelle qui se pratique au sein de la sphère privée et familiale. Des médecins, infirmiers, kinés et de nombreuses autres professions médicales nous ont fait part de leur souhait d’être formé pour mieux répondre aux besoins des patients », justifie Mariko Matsui, chercheure en immunologie à l’Institut Pasteur et membre du comité de réflexion autour de ce DU.
Pour l’heure, la direction de l’UNC attend le contenu détaillé de cette future formation pour donner leur feu vert, mais « c’est en très bonne voie » nous confie Laurence Levert, directrice du pôle formation continue et alternance de l’établissement. Ce nouveau diplôme pourrait être inauguré à la rentrée prochaine, en février 2024, et les inscriptions ouvertes dès novembre selon nos informations.
Sensibiliser les personnels soignants
Ce DU d’un an (environ 120 heures de cours) sera divisé en cinq modules : anthropologie de la santé ; environnement et risques ; traditions médicales et ethnobotaniques ; ethnopharmacologie ; droit et éthique. « Cette formation a été construite pour répondre aux spécificités locales », affirme Mariko Matsui, qui assurera les cours consacrés à l’activité biologique des substances naturelles. « Les cours de droit, dispensés par Antoine Leca, professeur à l’Université Aix-Marseille, aborderont le droit coutumier. Les cours de pharmacologie seront axés autour des plantes mélanésiennes. On parlera aussi de la perception de la médecine traditionnelle en milieu kanak avec l’intervention de la doctorante A-Tena Pidjo. »
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La chercheuse en immunologie dévoile les autres intervenants qui prendront part à ce cursus : Edouard Hnawia, enseignant en chimie et représentant de l’unité PharmaDev à l’Institut de recherche pour le développement en Nouvelle-Calédonie (IRD), l’ethnopharmacologue François Chassagne, l’anthropologue Catherine Sabinot ou le directeur du DU similaire à la Réunion, François Taglioni.
Le coût de la formation n’a pas été dévoilé. Le diplôme sera ouvert à une vingtaine d’inscrits. Pour l’heure, seuls les professionnels ou étudiants en santé (médecins et paramédicaux) devraient être concernés par cette formation. Mais l’équipe encadrante songe déjà à la rendre accessible aux intéressés hors du milieu médical, comme les tradipraticiens, qui pourront suivre les cours d’un ou de plusieurs modules selon leur choix et leurs besoins.
Ethnomédecine, entre ignorance et amalgames
À La Réunion, une formation similaire existe depuis 2011. Une promo composée d’une vingtaine d’élèves est diplômée tous les deux ans et la liste d’attente s’allonge au fil des années. « Les étudiants sont surtout des professionnels de santé en exercice, des médecins généralistes, des infirmiers, des sages-femmes », liste Laurence Pourchez, instigatrice de ce DU dans le département français. « A La Réunion, il y a un rapport très fort à la médecine traditionnelle. Lorsqu’on est un professionnel de santé, il faut connaître ces traditions, les usages et les habitudes des populations pour les soigner correctement. »NOUS
Suite à l’engouement autour du DU réunionnais, Laurence Pourchez a porté le même projet dans l’Hexagone. En 2020, l’anthropologue a inauguré à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) une formation à destination des professionnels parisiens et nationaux. La première promotion a compté 25 inscrits mais la seconde, en plein Covid, seulement une petite dizaine. « Les soignants étaient épuisés par l’épidémie et il y a eu une mauvaise communication autour du diplôme, regrette-t-elle. Faute de rentabilité, l’Inalco a fermé le DU. Ce n’est peut-être pas définitif, mais ce n’est pas simple. Ce qui domine dans une discipline comme l’ethnomédecine c’est l’ignorance et les amalgames. Quand on en parle, les gens pensent d’abord aux tendances gourous alors que c’est avant tout une discipline scientifique ».
Le milieu académique, du moins en France hexagonale, reste selon la spécialiste, assez « suspicieux » vis-à-vis de la médecine traditionnelle. « Il y a un amalgame autour des termes de ‘médecine douce’, ‘médecine alternative’. Bien sûr que les charlatans existent et qu’il y a des dérives sectaires. Mais il ne faut pas rejeter en bloc tout ce qui n’est pas biomédical ».
Pour l’heure, l’Institut parisien n’a pas indiqué une prochaine réouverture du diplôme universitaire. On souhaite à la formation calédonienne, un meilleur succès.
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