Les droits de douane américains imposés aux Outre-mer suscitent colère, consternation, incompréhension et inquiétudes

©Grand Port Maritime de la Martinique (Illustration)

Les droits de douane américains imposés aux Outre-mer suscitent colère, consternation, incompréhension et inquiétudes

Donald Trump « est un ignorant », a commenté jeudi la présidente de la Région Réunion, Huguette Bello, en réaction aux plans du gouvernement américain imposant aux territoires ultramarins des droits de douane différents du reste de l'Union européenne. D'autres élus ultramarins font part de leur incompréhension et de leurs inquiétudes face à ces annonces. 

« Donald Trump est un ignorant », a commenté auprès de l'AFP Huguette Bello, un temps pressentie l'été dernier pour être Premier ministre, alors que La Réunion est particulièrement touchée par la décision américaine et verra ses produits taxés à hauteur de 37%, contre 20% pour l'UE. Pour la présidente (DVG) de la collectivité régionale, « La Réunion fait partie de l'ensemble douanier européen, des droits de douane spécifiques ne peuvent donc pas nous être appliqués ».

Selon un tableau de la Maison Blanche récapitulant les nouvelles surtaxes douanières américaines, les départements et territoires ultramarins vont être soumis dans les prochains jours à des niveaux de taxation individuels, allant de 10% pour les Antilles, la Guyane, Mayotte et la Polynésie française, et jusqu'à 50% pour les produits importés de Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans un communiqué, la région Réunion a fait part de sa « consternation » face à une décision « qui n'a aucun sens » selon elle.

« Nonobstant les incohérences de ces propositions et les risques qu'elles font courir à l'économie mondiale, certaines d'entre elles apparaissent irréalistes et même juridiquement infondées », ajoute le communiqué, qui critique les « manœuvres de désinformation » du président américain. « À l’heure où nous accompagnons nos entrepreneurs vers de nouveaux marchés, ces barrières douanières risquent de compromettre des années d’efforts et d’investissements » a réagit de son côté le président du Département Cyrille Melchior.

« La Réunion, région ultrapériphérique européenne, est pleinement intégrée dans les échanges commerciaux de l’Union. Toute décision tarifaire prise à l’encontre de l’UE affecte donc aussi les acteurs économiques ultramarins » rappelle-t-il, appelant à une réaction forte de l’État et de l’Union européenne.   

Les échanges entre La Réunion et les États-Unis sont faibles, mais pas inexistants. Selon l'Iedom, l'île a exporté pour 391,3 millions d'euros de biens en 2023. Et si la France hexagonale est le principal partenaire de l'île, devant la Chine et le reste de l'Union européenne, l'île exporte des produits de pêche pour un peu moins de 40 millions d'euros aux États-Unis, soit 30% de sa pêche. Dans une moindre mesure, elle y exporte aussi ses sucres spéciaux et autres rhums, au même titre que les Antilles.

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D’après le groupe réunionnais Réunimer, l’exportation de poisson vers les États-Unis a d’ores et déjà marqué un coup d’arrêt ce jeudi. « Sur la base des éléments communiqués par l’administration américaine, nos clients ont déjà arrêté leurs commandes » a confié le président du groupe Sébastien Camus, interrogé par Réunion La 1ère.  

« Pas de cohérence »

Les annonces de Donald Trump ont suscité incompréhension et perplexité dans les territoires ultramarins. « On essaye de comprendre la logique qui arrive à ces différents taux de douane qui sont imposés aux territoires ultramarins » a estimé pour sa part la sénatrice de Saint-Barthélemy Micheline Jacques, en marge de la présentation du rapport contre la vie chère en Outre-mer, interloquée par le taux appliqué à la Chine plus bas que celui appliqué à La Réunion. « Il n'y a pas de cohérence ».

« Saint-Pierre et Miquelon risque d'être confronté à la double peine » ajoute la sénatrice, « parce que d'une part, sa seule économie c'est la pêche qui est vendue aux États-Unis. Et deuxièmement, ce sont les produits américains qui y sont importés, principalement du Canada. La riposte canadienne aux produits américains risque d'avoir un impact considérable sur les habitants de l’archipel ».

« On est un petit marché d'un peu plus de 6 000 habitants, je ne pense pas que ce soit nous qui soyons à l'origine du déséquilibre de la balance du commerce extérieur américain », a ironisé le député de l’archipel Stéphane Lenormand. Selon l'Iedom, l'économie de l'archipel se caractérise par la prépondérance des importations et la faiblesse des exportations. La France et le Canada sont les principaux partenaires de l'archipel mais, en 2023, les exportations enregistrées par les douanes françaises -du flétan principalement- ont été majoritairement tournées vers les États-Unis.

« On peut être impacté sur la pêche puisqu'on peut être amenés à vendre sur le marché américain. Est-ce que ça va être concerné par ce genre de taxes ? Je ne sais pas », s'est encore interrogé le député en exprimant la « difficulté de voir les conséquences réelles » des droits de douane imposés par le gouvernement américain.

La pêche polynésienne menacée

L'absence de produits de la pêche déclarés dans les exportations de l'archipel rend difficile l'analyse de la balance mais « les chiffres en présence montrent une stabilité du déficit commercial sur un an, à hauteur de 100,3 millions d'euros », est-il précisé dans le rapport annuel économique de Saint-Pierre-et-Miquelon par l'Iedom. Selon le député, « Trump pose les bases d'une guerre économique » qui aura des impacts en Europe « mais aussi à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que c'est un des territoires d'outre-mer qui souffre le plus de la vie chère ».

« Nous sommes bien évidemment très attentifs à ce qui se passe aux États-Unis en ce moment » a confié pour sa part le sénateur de Polynésie, Teva Rohfritsch, alors que ce territoire est de ceux qui importent et exportent le plus aux États-Unis -produits de la pêche, perliculture, vanille- du fait de sa proximité géographique. « La première côte avec laquelle nous travaillons est bien la côte californienne. Nos importateurs sont sur le qui-vive depuis l'élection de Donald Trump », a-t-il confié.

« Le continent américain est le deuxième importateur de produits polynésiens où les États-Unis, avec 2,6 milliards de francs, captent 12 % de la valeur des produits locaux », notait l’Institut de la Statistique de Polynésie dans son Bilan du commerce extérieur de 2023, rappelle TNTV. Cette année-là, les États-Unis étaient « les principaux importateurs de poissons polynésiens (92 % des produits de la pêche exportés en valeur), avec 1 600 tonnes importées pour une valeur de 2,1 milliards de francs », devant la France hexagonale.

« Contestation de la présence française dans ces territoires »

Pour ce qui est de la perle de culture, les États-Unis étaient également le « troisième client » de la Polynésie, derrière Hong Kong et le Japon, « avec 2 % du volume total ». Enfin, 6% des exportations de vanille étaient également destinés aux États-Unis. Autre secteur sous surveillance en Polynésie : le tourisme. Les Américains constituent la première clientèle étrangère du territoire. Or une dépréciation du dollar, le but recherché par l'administration Trump selon Ivan Odonnat, dirigeant des Instituts d'émission d'Outre-mer (Iedom-Ieom) pourrait rendre les séjours en Polynésie plus coûteux pour ces visiteurs.

Pour l'ancien ministre des Outre-mer Victorin Lurel, la décision américaine « est une attaque qui n'est même pas voilée contre la France, c'est quelque part une contestation de la présence française dans ces territoires », a commenté le sénateur PS de Guadeloupe Victorin Lurel, appelant à « une réaction du président de la République, du gouvernement, sur cette affaire ». 

« La liste sortie hier soir est inquiétante pour nos territoires ultramarins », a concédé le chef de l'État, s'exprimant lors d'une réunion d'urgence avec les acteurs des filières économiques, citant notamment La Réunion et Saint-Pierre et Miquelon. « L'intention initiale de taxer différemment les territoires ultramarins est profondément politique. Elle témoigne surtout du cumul d'incohérences, d'absurdité et d'incompétence », a réagi plus tard le ministre des Outre-mer Manuel Valls.

En Outre-mer, seuls la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Barthélemy et Saint-Martin ont été épargnés par ces nouveaux droits de douane. « Le moins qu'on puisse dire, c'est que les outre-mer ne sont pas des puissances commerciales », tranche auprès de l'AFP Ivan Odonnat. À l'exception de la Nouvelle-Calédonie, qui exporte du nickel - mais vers l'Asie, et qui ne figure pas dans le tableau de Donald Trump -, la quasi-totalité des territoires présentent un déficit commercial massif.

Une logique américaine au mépris du droit européen

À La Réunion, les exportations de biens atteignaient en 2022 environ 320 millions d'euros contre sept milliards d'euros d'importations annuelles, selon Ivan Odonnat. Les taux de couverture – le rapport entre exportations et importations – sont très faibles: entre 5% et 15%, contre environ 90% pour la France. « Ce sont des territoires qui n'existent nulle part sur la carte du commerce international », insiste Ivan Odonnat, qui doute de la pertinence des mesures de Donald Trump.

Sur le papier, les DROM, comme l'est La Réunion, font partie intégrante du territoire douanier de l'Union européenne. À ce titre, ils devraient être soumis à la même taxation que l’Hexagone. Les COM, elles, disposent de plus de souplesse tarifaire. Pourtant, Washington a visiblement choisi d'ignorer ces subtilités juridiques. « Les Américains ont une vision du monde qui est la leur », glisse encore le directeur de l'Iedom-Ieom : « Pour eux, les territoires français d'outre-mer sont surtout d'outre-mer et à peine français ».

Au-delà des considérations symboliques, ces nouvelles taxes sont surtout « des éléments de perturbation dans l'ordre commercial » mondial, conclut Ivan Odonnat. De nature à « compliquer l'équation économique des outre-mer », ajoute-t-il.

Outremers360 avec AFP