La Délégation sénatoriale aux Outre-mer, présidée par Micheline Jacques (Les Républicains, Saint-Barthélemy) a adopté à l’unanimité jeudi 23 janvier le rapport d’information sur l’ « Adaptation des modes d’action de l’État dans les Outre-mer », dont les rapporteurs sont Philippe Bas (Les Républicains, Manche) et Victorin Lurel (Groupe socialiste, écologiste et républicain, Guadeloupe). Constatant la montée d’une insécurité inquiétante dans les territoires ultramarins, les sénateurs recommandent notamment une révision de certaines dispositions constitutionnelles relatives aux Outre-mer et un changement radical des méthodes de l’État.
« Il s’agit d’un rapport ambitieux et inédit », a souligné la présidente de la Délégation Micheline Jacques dans son introduction à la conférence de presse. « Cette étude a fait l’objet de nombreuses auditions au Sénat mais surtout lors de nombreux déplacements dans tous les territoires et dans tous les bassins. C’était une façon de mieux s’imprégner des réalités. »
« La situation de la sécurité Outre-mer nous a paru très grave et ne cesse de se dégrader », a lancé d’emblée Philippe Bas. Dès lors, il ne s’agit pas de s’intéresser seulement aux évolutions institutionnelles, aux questions économiques et sociales, mais également aux missions de l’État. Le rapport déplore la multiplication et l’intensification des crises dans les Outre-mer, des actes de violence de plus en plus importants avec une aggravation des crimes et délits « dont les évènements récents à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et en Martinique témoignent, interrogent la capacité de l’État à assurer pleinement ses missions premières et à construire des politiques publiques répondant efficacement aux réalités des territoires et aux besoins de leurs habitants ».
En Nouvelle-Calédonie, durant les mobilisations débutées en mai 2024, environ 700 entreprises et une grande partie des circuits de distributions ont été détruits, relève le document. En Martinique, ce sont quelque 142 entreprises qui auraient été pillées ou incendiées. En 2023, 50% des agressions de gendarmes départementaux et de gendarmes mobiles ont été commises dans les territoires ultramarins, a par ailleurs précisé Philippe Bas. « Les Antilles-Guyane représentent aussi 50% de la cocaïne saisie en France, alors que 10% des violences intrafamiliales, et 11% des féminicides, pour un peu plus de 4% de la population, se situent dans les Outre-mer », a-t-il ajouté.
Le sénateur a également évoqué la sous-capacité carcérale en Outre-mer et la question de l’immigration : 10% d’étrangers en France contre 50% à Mayotte et un peu plus de 30% en Guyane par exemple. « Ces chiffres malheureusement ne cessent de s’aggraver. Pourtant l’État n’est pas resté inerte. Les moyens en gendarmes, policiers, magistrats, greffiers, ont augmenté. Il y a plus de magistrats par habitant Outre-mer que dans l’Hexagone par rapport à la population, mais il n’y en a pas suffisamment par rapport au nombre de délits et de crimes. Il est aussi très difficile de mettre en œuvre des poursuites et de prononcer des condamnations dans des délais suffisamment rapides. »
Pour Victorin Lurel, « ce rapport donne une vision globale de la situation des Outre-mer sur le plan régalien. » Le sénateur guadeloupéen a fait remarquer que la plupart des défis sont plutôt exogènes, à savoir le narcotrafic, le trafic d’armes, le blanchiment d’argent, l’immigration clandestine, l’orpaillage illégal et les ingérences étrangères sur le plan informationnel (conférence de Bakou en Azerbaïdjan fustigeant la France par exemple).
« Si l’on devait face à ces menaces ne donner qu’une réponse administrative et judiciaire, ça ne changerait pas la donne », a-t-il affirmé. « Il faut changer de paradigme et avoir une attitude plus offensive pour rétablir le plein exercice de notre souveraineté dans nos compétences régaliennes Outre-mer. Il faut rétablir un rapport de dissuasion pour repousser les menaces à nos frontières et les traiter le plus en amont possible. » Une des premières actions serait d’instaurer une diplomatie française des Outre-mer, c’est-à-dire une diplomatie qui définirait les relations avec les pays voisins des Outre-mer en donnant la priorité aux intérêts des territoires ultramarins français.
Dans le but de renforcer les missions fondamentales de l’État (sécurité, justice, protection des frontières), le rapport formule 38 recommandations. Parmi ces dernières : « densifier l’implantation territoriale des forces de sécurité, démultiplier la lutte contre les violences intrafamiliales, rehausser l’encadrement judiciaire avec plus d’enquêteurs et de magistrats spécialistes de la criminalité organisée, renforcer une police scientifique et technique de proximité, réussir le ‘rideau de fer’ à Mayotte pour opposer des obstacles enfin efficaces à une immigration massive, consolider la centralité du préfet pour l’exercice des pouvoirs régaliens, y compris dans l’ordre diplomatique et pour la protection des frontières terrestres et maritimes. »
Enfin, face à des menaces de plus en plus extérieures, l’État devrait « réaffirmer sa souveraineté et user pleinement de ses prérogatives ». Dans cette perspective, les sénateurs préconisent : « la priorité à la coopération régionale policière et judiciaire et à une diplomatie française des Outre-mer ; un durcissement de l’emploi des forces, notamment contre l’orpaillage illégal en Guyane ; la restauration de la crédibilité de toutes nos frontières maritimes et terrestres, notamment avec un plan de modernisation à cinq ans et la création d’une force aux frontières, grâce à une coordination étroite de l’ensemble des forces de sécurité (gendarmerie, police, armée, douane) opérant sur chaque territoire ».
PM