Dans son roman illustré paru aux éditions Anacaona, la Franco-brésilienne Paula Anacaona nous livre une libre interprétation de la légende de Solitude, figure historique et emblématique de la résistance et de la lutte contre l’esclavage en Guadeloupe. Une histoire réécrite pour inverser la perspective du récit dominant et faire entendre la voix de la résistance.

Paula Anacaona, cette autrice et éditrice franco-brésilienne s’est fait une spécialité : celle de mettre à l’honneur et de redonner ses lettres de noblesse à des femmes qui, grâce à leur résilience puisée dans une force ancestrale, sont parvenues à devenir des héroïnes pour leur peuple dans la Caraïbe.

C’était déjà le cas avec son roman « 1492, l’insurgée des Caraïbes », l’histoire restée longtemps méconnue de la reine Taïno qui régnait alors sur l’un des royaumes d’Ayiti (Haïti aujourd’hui) au XVème siècle, devenue la première résistante à la colonisation d’Haïti en affrontant les troupes de Christophe Colomb. Les Taïnos étant les descendants des Arawaks, premiers peuples de la Caraïbe.

Aujourd’hui, Paula Anacaona récidive avec « Solitude, la flamboyante », une libre interprétation de la vie de Solitude, l’héroîne guadeloupéenne et figure historique de la lutte contre l’esclavage, mais basée sur un véritable travail de mémoire et de recherches historiques. Un roman illustré comme le précédent par sa complice Claudia Amaral.

Fruit d’un viol

Rosalie plus connue sous le nom de Solitude – nom qu’elle s’est elle-même choisie – était une métisse, fruit d’un viol commis par un marin dans le bateau de la déportation de sa mère Bayangumay de l’Afrique vers les Antilles. Elle naît aux environs de 1772 en Guadeloupe, devenue sa terre d’accueil, mais aussi sa terre de souffrances. Avec un statut certes envié de demoiselle de compagnie que lui confère son métissage, elle sera esclave pendant plus de 20 ans, passant de domaine en domaine.

Dans les années 1790, l’histoire est en marche. Louis XVI est décapité et l’esprit de la Révolution française gagne les rives des Antilles et donc de la Guadeloupe. Un vent de révolte souffle sur ces territoires provoquant troubles et émeutes au sein des esclaves, dont certains désertent les plantations et commencent à marronner. Le 4 février 1794, l’esclavage est aboli par la Convention qui stipule que tous les hommes naissent libres et égaux en droit.

Cependant, lorsque la nouvelle arrive en Guadeloupe, celle-ci est occupée par les Anglais. Certains anciens esclaves choisissent alors de lutter contre les Anglais contre la promesse de recouvrer une totale liberté et les moyens d’y parvenir en cas de victoire. Las ! Les promesses n’engageant que ceux qui les reçoivent, une fois la victoire acquise, les autorités locales refusent d’accéder aux exigences de liberté de ces supplétifs occasionnels.

Mus par leur désir de liberté, ceux-ci se révoltent et prennent le pouvoir, parmi eux le colonel Delgrès, un lettré martiniquais et Ignace. Les colons sont en fuite et le vent de la liberté souffle dans l’île. Mais l’euphorie de cette liberté conquise est de courte durée. Entre-temps, Napoléon Bonaparte est parvenu au pouvoir en France et rétablit aussitôt l’esclavage. Il charge alors le général Richepance de mater la rebellion et de remettre de l’ordre dans cette colonie. Ce dernier débarque à Point-à-Pitre à la tête d’une armée de 4 000 hommes avec pour objectif de faire rendre gorge à ces insurgés.

Vivre libre ou mourir

Le colonel Delgrès prend la tête de la résistance qui comprend de nombreux femmes et hommes, dont Solitude, alors enceinte, ce qui ne l’empêche aucunement de participer à tous les combats au côté de son compagnon Moudougué Sanga qu’elle a rencontré lors de son marronnage sur les hauteurs de la Petite Rivère à Goyave et de la Soufrière.

Cependant, les forces de répression plus équipées et mieux aguerries ne tardent pas à gagner du terrain, obligeant les insurgés à se réfugier dans la forteresse de Matouba. Après plusieurs jours de siège, en désespoir de cause, les assiégés décident de faire sauter le bâtiment plutôt que de se rendre aux cris de « Vivre libre ou mourir ». Parmi les 300 résistants, quelques uns survivront dont Solitude qui sera arrêtée par les forces du général Richepance. Durant cet épisode, la répression aura fait des milliers de victimes sur l’île.

En raison de sa grossesse, Solitude ne sera pas exécutée tout de suite. Le 28 novembre 1802,  elle mettra au monde un petit garçon qui naît esclave et dont on perd la trace. Pour Solitude, les avis diffèrent sur sa disparition, mais le plus probable c’est qu’elle a été pendue au lendemain de son accouchement. Certains toutefois doutent encore et continuent à penser qu’elle aura échappé à la pendaison. Elle avait à peine 30 ans  à ce moment là.

Figure emblématique de la lutte anti-esclavagiste

En tout cas, cette figure emblématique de la résistance à l’oppression coloniale est tombée dans l’oubli pendant de nombreuses années jusqu’à ce que l’écrivain André  Schwarz-Bart l’en sorte en publiant en février 1972 aux éditions du Seuil « Mulatresse Solitude ».

Une postérité qui a depuis fait son chemin puisque en 1999 une statue est érigée à sa mémoire sur le boulevard des héros aux Abymes, puis une rue toujours dans la ville des Abymes. Plus récemment, en septembre 2020, Anne Hidalgo, maire de Paris et Jacques Martial, l’acteur guadeloupéen et conseiller de Paris chargé des Outre-mer, inauguraient le « Jardin Solitude » dans le 17ème arrondissement de Paris et annonçaient le projet d’installer à terme sa statue dans ce jardin. Il s’agirait alors  de la première statue de femme noire à Paris qui ne compte qu’une quarantaine de femmes historiques sur le millier de statues parisiennes.

Une femme moderne

Si l’auteur du « Dernier des Justes » s’est surtout attaché à raconter le tragique destin de ce personnage devenu mythique, Paula Anacaona a préféré puiser dans la légende Solitude et souligner la résistance spirituelle et culturelle de ces femmes et hommes luttant contre cette société prédatrice et exploitatrice. Dans ce roman, elle décrit sans ambages – s’appuyant sur force détails (dates, chiffres, faits chronologiques…) – la complexité des rapports entre toutes les composantes de cette société esclavagiste et la stratégie particulièrement diabolique mise en place par les colons pour  assurer  leur contrôle et régner en maître sur leur petit monde.

Librement inspirée de la vie de l’héroïne guadeloupéenne et mêlant histoire et mémoire, l’autrice franco-brésilienne fait apparaître « Solitude, la flambloyante », terme qu’elle préfère à « Mulatresse », comme une femme moderne, menant un combat  antiraciste, écologiste et décolonial. Manière de renverser la perspective du récit  dominant et faire entendre la voix de la résistance.

E.B.

« Solitude,la flamboyante » de Paula Anacaona
Anacaona Edtions
Illustration :Claudia Amaral
230 pages