[EXPERTISE] Rédiger la loi pour les Outre-mer: Un talent constamment remis en question, l’exemple de Saint-Martin

[EXPERTISE] Rédiger la loi pour les Outre-mer: Un talent constamment remis en question, l’exemple de Saint-Martin

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La rédaction des lois et des règlements pour les Outre-mers requiert de prendre en considération la situation de chaque collectivité ultramarine. Elle nécessite également de prendre minutieusement en compte les compétences relevant de l’Etat ou de chacune des collectivités intéressées. A défaut, des contradictions, des lacunes ou des surabondances sont susceptibles de se produire. L’exemple qui suit, relatif à Saint-Martin, est, à ce titre, très éloquent. Une expertise d’Edwin Matutano, avocat à la Cour et membre de l’A.J.D.O.M.

Le régime normatif de la collectivité territoriale de Saint-Martin relève de l’article 74 de la Constitution.

En vertu du premier alinéa de l’article LO. 6313-1 du code général des collectivités territoriales, les dispositions législatives et réglementaires y sont applicables de plein droit, à l’exception de celles intervenant dans les matières relevant de la loi organique en application de l’article 74 de la Constitution ou de la compétence de la collectivité en application de l’article LO. 6314-3 dudit code. Saint-Martin est donc soumise à un régime normatif mixte, ressortissant principalement à l’identité législative et accessoirement, au principe de la spécialité législative, cette dernière étant assise sur la reconnaissance à la collectivité territoriale de compétences normatives dans les domaines législatif et réglementaire.

En conséquence, l’article LO. 6314-3, à l’instar des dispositions analogues du code général des collectivités territoriales relatives aux collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon de Saint-Barthélemy soumises à un régime législatif similaire, dresse une liste des matières dans lesquelles la collectivité territoriale de Saint-Martin a compétence pour fixer les règles y afférentes.

L’article est divisé en deux paragraphes, identifiés par une numérotation en chiffres romains. Le I de l’article énonce les matières dans lesquelles Saint-Martin a eu compétence dès l’entrée en vigueur de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, qui l’a inséré, soit le 23 février 2007, date du lendemain de la publication de la loi organique au Journal officiel.
Le II de l’article LO. 6314-3 attribue à la collectivité territoriale les mêmes compétences dans une autre série de matières (urbanisme, construction, habitation, logement, énergie), « à compter de sa première réunion suivant son renouvellement postérieurement au 1er janvier 2012 ».

La compétence de la collectivité territoriale de Saint-Martin a donc été ici subordonnée à la survenance d’un événement futur, non déterminé lorsque les dispositions du II de l’article LO.6414-3 ont été rédigées.

Or, les élections pour le renouvellement du conseil territorial de Saint-Martin ont eu lieu les 18 et 25 mars 2012, la première réunion de cet organe délibérant s’étant tenue le 1 er avril 2012. Cette dernière date a donc constitué le point de départ, le déclenchement de la compétence conférée à Saint-Martin pour fixer les règles dans les cinq matières couvertes par les dispositions du II de l’article L0. 6314-3 du code général des collectivités territoriales.

Il s’avère que la loi n° 2012-376 du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire (J.O. du 21 mars 2012), intervenue dans le domaine de la construction énuméré au II de l’article LO. 6314-3 précité, a été adoptée peu de temps avant la survenance du fait générateur de la compétence de la collectivité ultramarine.

A la date de son adoption, la loi relevait assurément de la compétence de l’Etat.

Le Parlement français a adopté définitivement jeudi un projet de loi renforçant les moyens de lutte contre la piraterie maritime qui s'est développée ces dernières années notamment dans l'océan Indien. Les députés ont adopté à la quasi-unanimité sans le modifier ce projet de loi le texte que le Sénat avait voté le 6 mai dernier. /photo d'archives/REUTERS/

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Cependant, cette loi du 20 mars 2012 a été rapidement abrogée, par l’effet de la loi n° 2012-955 du 6 août 2012 visant à abroger la loi n° 2012-376 du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire (J.O. du 7 août 2012) à la suite des élections présidentielle et législatives.

Il va de soi que la loi du 6 août 2012 dont l’unique objet était d’abroger celle du 20 marsprécédent, est intervenue dans le même champ matériel, soit la construction. Or, entre-temps, le fait générateur du déclenchement de la compétence de Saint-Martin en matière de construction s’était produit, le 1 er avril 2012.

Aussi, en droit, en raison de la portée du II de l’article LO. 6314-3 du code général des collectivités territoriales, la loi du 6 août 2012 n’a-t-elle pu abroger celle du 20 mars 2012 à Saint-Martin, puisque le transfert de compétence avait eu lieu précédemment, sur le fondement d’une disposition de loi organique.

Lors de l’adoption de la loi n° 2012-955 du 6 août 2012, la question des effets sur la compétence accordée à la Saint-Martin n’a été soulevée à aucun moment, ainsi qu’en témoignent ses travaux préparatoires.

Par conséquent, sans que nombre de citoyens –y inclus des praticiens du droit- en aient eu conscience, la loi du 6 août 2012 ne saurait avoir été applicable dans la collectivité territoriale de Saint-Martin et en revanche, la loi du 20 mars 2012 y a été, très discrètement, maintenue en vigueur (1).

Et si la collectivité territoriale s’avisait d’exercer ses compétences dans le champ de la loi du 20 mars 2012, le risque de conflit de lois apparaîtrait.

Cet exemple pratique de légistique intéressant l’Outre-mer démontre les difficultés découlant de la juxtaposition des compétences pour l’adoption des normes législatives et réglementaires et souligne à l’envi la nécessité d’un suivi méticuleux par les autorités idoines, nationales et locales, des transferts intervenus, étant rappelé que le Conseil d’État a jugé que seule la loi organique peut imposer des règles de résolution des conflits entre les lois applicables en métropole et les règles de droit spécifiques de l’outre-mer (CE 4 novembre 2005, n° 28003,Président de la Polynésie française).

L’accès au droit et son intelligibilité dans les Outre-mers dépendent autant de l’exercice coordonné des compétences respectives de l’Etat et des collectivités ultramarines, que du respect des principes de l’identité et de la spécialité législatives, contraintes qui pèsent sur l’auteur de chaque texte normatif, y compris sur le codificateur.

Edwin MATUTANO, Avocat à la cour
Docteur en droit
Enseignant à l’Université de Lille
Membre de l’A.J.D.O.M.

Notes:
(1) Il convient de rappeler que, les dispositions du II de l’article LO. 6214-3 du code général des collectivités territoriales ont prévu un mécanisme comparable pour attribuer compétence à la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy en matière douanière, à l’exception des mesures de prohibition à l’importation et à l’exportation qui relèvent de l’ordre public et des engagements internationaux de la France, des règles relatives aux pouvoirs de recherche et de constatation des infractions pénales et des procédures contentieuses en matière douanière. La compétence de la collectivité ultramarine a ainsi été subordonnée à son accession au statut de pays et territoire d’outre-mer de l’Union européenne, laquelle accession n’avait pas eu lieu lors de l’adoption de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 et n’intervint qu’au 1 er janvier 2012, en application de l’article 1 er de la décision du Conseil européen n° 2010/718/UE du 29 octobre 2010 modifiant le statut à l’égard de l’Union européenne de l’île de Saint-Barthélemy (JOUE, n° L325, 9 décembre 2010, p.4).