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Autrefois poumon économique de la Martinique, Fort-de-France se vide depuis quelques années de ces commerces au profit de l’installation de centre commerciaux en périphérie du chef-lieu de la Martinique. La ville n’échappe pas à ce que l’on appelle la dévitalisation des centres-villes. Pour lutter contre ce phénomène, Fort-de-France fait partie des 222 villes bénéficiaires du plan « Action Coeur de ville» lancé par le gouvernement en décembre 2017. Objectif : Permettre à Fort-de-France de retrouver son dynamisme et son attractivité économiques d’antan. Dans cette expertise, Rudy Bingué (Etudiant en Master 2 d’aménagement) et Pascal Saffache (Professeur des Universités) nous dressent la cartographie de la dévitalisation de Fort-de-France mais aussi poussent la réflexion sur le « modèle de développement commercial» à adopter.
La dévitalisation des centres-villes : une tendance nationale
Depuis plus d’une vingtaine d’années, du fait de la déprise démographique et économique, la ville de Fort-de-France se dévitalise ; on observe en effet un déplacement de l’activité économique du centre-ville vers la périphérie. Cela suit la tendance nationale qui sous-tend que l’extension urbaine favorise le développement de zones commerciales périphériques qui diminuent ainsi l’attrait des centres-villes. D’un système de commerces agglomérés, constitués de boutiques de luxe, d’habillement, de sport, etc. on est passé à un modèle commercial périphérique caractérisé par de vastes surfaces de vente.
Peu à peu, le commerce périphérique, autrefois spécialisé dans l’ameublement, l’électroménager et la jardinerie, s’est inscrit en concurrence avec le commerce des « centres- villes », par l’accaparement du secteur agro-alimentaire. Parallèlement, des enseignes comme « Galeries Lafayette », « Roger Albert » ou encore « La Librairie Antillaise », autrefois présentes en centre-ville, ont accru leurs surfaces dans les centres commerciaux périphériques.
Cette dynamique centrifuge s’est aussi imposée du fait des problèmes d’accessibilité et de stationnement dans les centres-villes ; on note d’ailleurs que tous les concessionnaires automobiles qui étaient présents sur l’avenue Maurice Bishop à Fort-de-France, ont migré vers la zone du Lareinty au Lamentin.
Le centre-ville foyalais s’est donc progressivement fragmenté et spécialisé dans les services à la personne (coiffure, esthétique…), la restauration, et les services bancaires et assuranciels (Crédit Mutuel à l’angle des rues Joseph Compère et Ernest Deproges ; Bred à la Place du Monseigneur Roméro, etc.). Seul le centre commercial Perrinon maintient encore une pseudo-vitalité économique au centre-ville de Fort-de-France.
Deux tendances contradictoires sont observées aujourd’hui au centre-ville de Fort-de-France : une hyper concentration des commerce de luxe et de loisirs, au profit des touristes et d’une frange aisée de la population, et d’autre part, une banalisation de l’éventail commercial, avec la présence de nombreux bazars et de services du quotidien (restaurants, fast-foods, agences en tous genres) pour la clientèle qui travaille dans les bureaux ou qui vient tout simplement se promener. L’image commerciale du centre-ville de Fort-de-France s’est donc altérée.
Le renforcement de la grande distribution
Dans le même temps, le secteur de la grande distribution n’a cessé de se renforcer. En 2014, la Commission Départementale d’Aménagement Commercial de Martinique (CDAC) a émis un avis favorable pour l’extension des magasins d’ameublement BUT au Lamentin et Carrefour Génipa à Ducos (respectivement 5200 m 2 et 1418 m 2 ). Le centre commercial Génipa, construit en 2007, est alors passé de 7 à 35 boutiques (en 2015).
Parallèlement, on constate une réduction significative du nombre d’acteurs. C’est le cas avec le rachat de Cora-Cluny et Océanis-Géant au Robert, propriétés respectives des Groupes Renoir et Ho-Hio-Hen, rachetés par le Groupe Bernard Hayot ; il en est de même des centres commerciaux Le Rond-Point et Champion Landy, rachetés par le Groupe Parfait. Les oligopoles se renforcent, ce qui pose le problème de la concurrence.
Grande distribution et déstructuration du lien social ?
Si le commerce périphérique génère des emplois, il en détruit autant et surtout il annihile le lien social. Les centralités se déplacent donc des centres-villes vers la périphérie. Citoyens et élus tentent de résister, c’est le cas du conseil municipal de Sainte-Luce qui s’oppose, depuis 2015, à la construction d’un centre commercial à Gros Raisin. Parallèlement, le groupe Créo de Patrick Fabre, a ouvert une nouvelle enseigne : Caraïbe Price. Déjà propriétaire de sept magasins Franprix, le groupe vient de construire deux magasins au Lorrain et aux Trois-Ilets. Pourtant, en 2007, une étude de la Répression des Fraudes notait que la Martinique était déjà suffisamment pourvue en centres commerciaux…
Il reste donc à savoir quel modèle la Martinique souhaite adopter ? Souhaite-elle devenir totalement dépendante des importations et n’être qu’une plate-forme de redistribution de biens produits ailleurs, ou désire-t-elle développer un commerce susceptible d’écouler la production locale, tout en maintenant les fragiles liens sociaux ? Tout est encore possible…
Par Rudy Bingué (Etudiant en Master 2 d’aménagement) et Pascal Saffache (Professeur des Universités)