La Polynésie a le Patutiki dans la peau, un temps mise à mal par les missionnaires évangélisateurs, l’histoire d’amour et d’encre a de très beaux jours devant elle. Une culture à découvrir dans un reportage d’Auriana Annonay.
À l’origine, il y avait le tatau. Si cette pratique ancestrale est difficile à dater avec précision, en retracer l’histoire l’est tout autant. Ce qui est certain, c’est l’étymologie du mot tatouage, dont le berceau se trouve en Océanie, dans les îles polynésiennes. « TATAU » qui signifie frapper, découle de l’expression TA-ATUA, TA étant le dessin inscrit dans la peau et ATUA étant le ou les dieux.
À travers les légendes tahitiennes, cette coutume sacralisée consistant à graver dans la chair ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, aurait été transmise par des ancêtres divins. À cette époque, le tatouage était symbole de force, de pouvoir et de richesse et assurait santé, équilibre et fertilité.
Véritable rituel d’intronisation, il permettait d’affirmer sa maturité sexuelle, son appartenance à une caste, une famille, un territoire ou un clan. Cuirasse, armoirie, marqueur social, également attribut de séduction et critère de beauté chez les femmes, celles-ci se faisaient tatouer les mains, les bras, les pieds et les lèvres. Seules les épouses de chefs avaient accès au tatouage des cuisses et des fesses. Le tatouage était également témoin des accomplissements personnels au moment de se confronter au jugement divin.
À l’arrivée des missionnaires protestants en 1797 sur Tahiti, cette tradition considérée comme de la barbarie et de la mutilation par ces derniers fût mise au cachot pendant plus de 150 ans par les autorités religieuses. En cause : La connotation divine ainsi que les techniques de l’époque, employant dents de requin et os taillés. Grâce aux travaux de l’ethnologue allemand Karl Von Steinen sur les pratiques ornementales des îles Marquises, et dans une démarche de retour à une identité culturelle spoliée, le tatouage traditionnel polynésien a pu renaître de ses cendres, et a même conquis hors territoire de nouveaux amateurs en quête du fameux Mana (pouvoir).
Lolo Tattoo, Architecte des corps
Laurent Gavietto se définit lui-même comme un petit enfant de la Polynésie, où il est né et a grandi. Parti à Montréal afin d’y étudier l’architecture de paysage, « Lolo » a été immergé dans la culture du Patutiki à travers son colocataire Tevei : la petite graine de vocation a commencé à germer à ce moment-là. Tevei avait déjà entrepris de s’initier à cet univers en compagnie d’un mentor, et par « effet tampon » a rayonné sur son ami qui a décidé de se lancer, piqué par la curiosité.
Retrouvez le reportage d’Auriana Annonay l’artiste Lolo Tattoo en cliquant sur ce lien.
Son premier projet, Laurent l’a réalisé sur lui-même, sur son pied. Sa deuxième création, il l’a faite sur son cousin, puis le bouche-à-oreille aidant, ce sont ses voisins et camarades de classe qui ont décidé de se prêter au jeu. De ces expériences, il a retenu l’échange et le partage privilégié, des moments dont il se souvient encore.
De retour sur sa terre natale, diplôme de paysagiste en poche, après une période professionnellement peu épanouissante et de grandes remises en question, Lolo a finalement été rattrapé par un besoin de reconnexion à sa culture, et a troqué ses croquis d’architecte contre des esquisses à même la peau. Les lignes ont toujours été là, c’est le support qui a évolué.
Il s’est lancé dans cette aventure il y a maintenant 5 ans, et exerce de façon professionnelle depuis 3 ans, un choix qui a été récompensé par un premier prix dans la catégorie black de la convention Polynesia Tatau de 2019. Pour l’anecdote, il n’avait pas prévu de se présenter au concours de la convention, et le client, Max, s’était précédemment engagé auprès d’un autre artiste.
Après une rencontre fortuite lors d’une pause cigarette à l’extérieur du bâtiment et sans connaître l’activité du jeune tatoueur, après avoir retrouvé Lolo au sein de la convention sur son stand, c’est tout naturellement que les choses se sont enchaînées : Max a annulé son autre rendez-vous et confié son projet à Laurent, guidé par son excellent feeling. Une synchronicité bienvenue après une période « sombre et sans couleurs ».
Depuis, Lolo reçoit régulièrement des clients de passage qui profitent de leur voyage pour s’offrir un souvenir sur mesure, mais aussi une clientèle plus locale pour les grosses pièces qui nécessitent un travail de plusieurs séances. Son inspiration ne tarit pas, il la trouve dans la nature et dans ses interactions avec les autres. Pour lui, de la même manière qu’il existe une multitude de manières d’assembler les mots en vers pour un poète, une infinité de combinaisons de motifs s’offrent au tatoueur, en fonction de sa propre sensibilité et créativité. Chaque dessinateur a donc la possibilité d’avoir un style qui lui est propre.
J’ai eu la chance de rencontrer ce jeune artiste prometteur dans son salon de Papeete, et vous ai ramené quelques images. Merci à l’aimable participation de Benjamin Laurent, qui a accepté d’être filmé pendant sa séance et longue vie artistique à Lolo Tattoo.
Auriana Annonay, vagabondes des iles.
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