Près de 500 affaires de violences faites aux femmes chaque année en Polynésie française

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Près de 500 affaires de violences faites aux femmes chaque année en Polynésie française

Les premiers chiffres de l’Observatoire des violences faites aux femmes, qui sera officiellement lancée le 18 novembre, montre une situation « alarmante » en Polynésie. 496 affaires de ce type ont été jugées au tribunal correctionnel de Papeete en un an, avec dans un tiers des cas une situation de récidive, et dix féminicides sont passés aux assises ces sept dernières années. Des chiffres « inédits » qui doivent créer un « électrochoc » et qui appellent à une réponse « structurée », pour la vice-présidente Minarii Galenon et la première présidente de la Cour d’appel Gwenola Joly-Coz. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

Près d’une dizaine de fois par semaine en moyenne, une Polynésienne est à la barre pour relater des blessures, physiques mais aussi morales, que lui a infligés son compagnon. Sur un an, entre août 2024 et août 2025, le tribunal correctionnel de Papeete a ainsi traité 496 affaires de ce type. 

Des données judiciaires glaçantes et « inédites », comme le souligne la première présidente de la Cour d’appel Gwenola Joly-Coz, qui a présenté vendredi, aux côtés de la vice-présidente Minarii Galenon, les premiers chiffres du nouvel Observatoire des Violences faites aux femmes et Intrafamiliales, déjà annoncé par le gouvernement voilà quelques semaines et qui sera officiellement lancé le 18 novembre.

Un observatoire qui vise donc à collecter, analyser et créer la discussion autour des données de ce type de violences, qui manquaient jusque-là cruellement au débat en Polynésie. Comme dans beaucoup d’autres territoires en France, seuls des chiffres des forces de sécurité sont compilés, notamment les dépôts de plaintes ou le nombre d’interventions de terrain. Mais, quand elles sont rendues publiques par le Haut-commissariat -ce qui n’a pas été systématiquement le cas ces dernières années- ces statistiques n’isolent pas les violences faites aux femmes. 

Le « plan d’actions de la sécurité du quotidien » publié en février dernier englobait par exemples ces violences dans les atteintes à l’intégrité physique -alors en baisse en Polynésie-, avec la simple précision que ces atteintes étaient commises à 56% par des proches de la victime.

« 18 cadavres » liés au violences familiales

Gwenola Joly-Coz, engagée depuis le début de sa carrière sur les questions de droit des femmes, et qui a pris ses fonctions à la Cour d’appel de Papeete en début d’année, a ainsi demandé à ses services de compiler des chiffres issus de l’activité judiciaires. Une démarche loin d’être fréquente au niveau national, précise la magistrate qui veut faire de l’observatoire polynésien un « exemple » pour la France entière.

On apprend parmi les premières données, que sur les 496 affaires de correctionnelle recensées, 51% des auteurs sont condamnés à des peines de moins d’un an de prison -un chiffre qui ne choque pas la magistrate, qui rappelle que les centres pénitentiaires français débordent de maris violents et que des alternatives existent- ou encore que 30% d’entre eux sont en état de récidive.

Les données concernent aussi les assises qui ont dû juger, ces sept dernières années à Papeete, des affaires entourant « 18 cadavres retrouvés dans les familles et dans les maisons polynésiennes », comme le pointe la première présidente. 18 morts liés aux violences intrafamiliales, puisqu’il s’agit de 10 féminicides, trois infanticides, et cinq homicides d’hommes tués par jalousie ou parce qu’ils tentaient de s’interposer dans des violences familiales. 

Et 18 auteurs qui sont des hommes, souligne l’ancienne directrice de cabinet de la secrétaire d’État des droits des femmes. « C’est absolument énorme » vu la taille du territoire, commente-t-elle. Aucun doute, ces chiffres doivent interpeller, et nourrir une réflexion qui se doit d’être « aussi exigeante » que celle qui est mené sur la criminalité organisée.

Pas de comparaison avec les autres juridictions françaises à ce stade : « Ce n’est pas ce que j’ai envie de dire », reprend Gwenola Joly-Coz. « Parce que se comparer ce n’est pas forcément ça qui va nous aider à nous améliorer, nous, ici ». La magistrate veut plutôt profiter de l’observatoire pour « mener une réflexion globale qui nous amène du sexisme au féminicide ».

Créer « l’électrochoc »

D’autres chiffres seront détaillés le 18 novembre, pour le lancement officiel de l’observatoire, à l’occasion duquel des tables rondes seront organisées avec des élus, représentants des forces de l’ordre, des associations ou des administrations engagés sur les questions de violences faites aux femmes. 

Mais pour Minarii Galenon, qui assure avoir demandé depuis « des années », face à la situation « alarmante » de la Polynésie des outils pour « rendre compte de la réalité », les données récoltées doivent surtout servir « d’électrochoc » pour la population. Et alimenté la sensibilisation et la prévention, qui relève de la compétence du Pays.

La vice-présidente de la Polynésie, ministre des Solidarités et de la condition féminine -qui fut un temps présidente du Conseil des femmes de Polynésie- ne met pourtant en avant, du côté des nouvelles actions de son ministère en la matière, que l’accompagnement proposé dans le cadre des « Camps familles », et les réunions itinérantes du Congrès des femmes, assurant tout de même préparer d’autres actions, comme la création d’un « Conseil des hommes bienveillants ». 

La vice-présidente tient quoiqu’il arrive à mêler les réflexions sur les violences faites aux femmes, aux autres violences familiales, sur les matahiapo (personnes âgées, ndlr), les personnes fragiles et surtout les enfants. Le président Moetai Brotherson, lui aussi présent pour cette présentation, s’est félicité d’un outil utile pour « adapter les politiques publiques », dans une société sur laquelle, « malgré ses évolutions, pèse le poids des siècles de construction patriarcale et machiste ».

Charlie René pour Radio 1 Tahiti