Gérald Cortot, ancien directeur de cabinet et bras droit de Jean-Marie Tjibaou, membre de l'Union calédonienne (UC) et témoin actif de la construction des accords de Matignon-Oudinot en 1988, a donné son avis sur la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie lors d'une interview avec nos confrères de CALEDONIA.
Alors que le territoire entre dans sa troisième semaine de violences en réaction au texte relatif au dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, la situation reste extrêmement tendue, et le dialogue particulièrement difficile, Gérald Cortot était interviewé par nos confrères de CALEDONIA, afin de recueillir son avis, son regard, sur une crise majeure du territoire, hanté par le spectre des événements de 1988.
Dans ce contexte difficile, Comment en sommes-nous arrivés là, première question posée à l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Tjibaou : « Le Grand Nouméa n’est pas toute la Calédonie. Et je crois que ce qui se passe en brousse est important. On doit pousser à ce que cette lumière, qui semble éclairer le pays meurtri, puisse contribuer à faire avancer les choses ».
Interrogé sur les trois personnes missionnées pour renouer le dialogue, à savoir Rémi Bastille, Éric Thiers et Frédéric Potier, Gérald Cortot a exprimé des réserves quant à leur capacité à relever le défi : « Le Président a laissé derrière lui 3 fonctionnaires pour aider à renouer les fils de la négociation politique et parallèlement, le processus de reconstruction. Une mission a été demandée par une large majorité du pays, et même par des personnes qui entouraient le président de la République. Je pense qu’il aurait été intéressant que cette mission soit d’un haut niveau, parce qu’aujourd’hui, la question qu’on peut se poser, c’est jusqu’où peuvent aller ces 3 fonctionnaires, et quel est le niveau de leur habilitation ? Il manque là, au niveau de cette mission, des personnes reconnues des accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa ».
Concernant la question du dégel du corps électoral, Gérald Cortot a estimé que ce n'était plus le problème principal aujourd'hui. Il a appelé à prendre de la hauteur, non seulement pour les gens sur le terrain, mais aussi pour le Président : « Le problème du corps électoral n’est plus le problème principal aujourd’hui. Il est nécessaire que l’on prenne de la hauteur, pas que les gens sur le terrain, mais que le président fasse aussi un geste. Et quelque part, retirer ce texte, ce n’est pas faire preuve de faiblesse, mais au contraire, faire preuve d’intelligence. Ça serait un geste fort, qui permettrait sûrement un apaisement au niveau du pays, et surtout, une discussion ouverte. Surtout que ce corps électoral, dans le cadre de la discussion générale et du projet global, on le retrouvera en discussion obligatoirement ».
Sur le sujet de la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT), Gérald Cortot a noté qu'il y avait eu un mouvement similaire en 84-88, mais qu'il n'y avait peut-être pas autant de jeunes sur le terrain à cette époque. Il a également souligné que, contrairement à la situation actuelle, il y avait des leaders politiques qui étaient écoutés à l'époque : « Il y avait eu à l’époque, en 84-88, un mouvement. Je dirais que ce mouvement-là, il n’y avait peut-être pas autant de très jeunes personnes que l’on retrouve aujourd’hui sur le terrain. Il y avait en revanche à cette époque des leaders politiques qui étaient écoutés. Aujourd’hui, c’est plus difficile ».
S'adressant à la jeunesse, Gérald Cortot a déclaré qu'il était important qu'elle fasse attention à ce qu'elle fait et qu'elle prenne en compte le fait que le pays puisse leur offrir un avenir serein : « Je crois qu’il faut que cette jeunesse fasse attention à ce qu’elle est en train de faire, et je dirais que le président de la République dit avoir été frappé par le découragement des jeunes et de leur besoin d’avoir une vision commune. Alors, personne ne peut dire le contraire, mais est-ce que nous sommes capables de faire en sorte que cette jeunesse, qui ne se sent pas simplement découragée, mais qui est désespérée, puisse prendre en compte le fait que le pays puisse leur offrir un avenir serein ? ».
Pour l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Tjibaou, témoin des difficiles événements du territoire à la fin des années 80, Gérard Cortot, il subsiste un risque que l’histoire se répète, résidant dans une potentielle inflexibilité de l’État : « Ça serait que le président Macron veuille continuer à passer en force son texte sur le dégel du corps électoral, qui, je le répète, dans le projet global sera un élément important, parce que ce corps électoral c’est le réacteur de l’accord de Nouméa ».
Enfin, Gérald Cortot a conclu par une déclaration qui serait pour lui porteuse d’une solution d’un dialogue pour l’avenir du territoire, mettant en avant ce qu'il considère comme un aspect capital pour la confiance et la construction avec l’État, que celui-ci soit pleinement honnête dans ses intentions et ses intérêts, afin d’aller de l’avant, selon le membre de l’Union Calédonienne : « L’État doit être capable, pour faire un tronçon supplémentaire, de nous dire, qu’est-ce qu’il fait que cette partie du monde soit importante pour lui. Qu’est-ce qui l’intéresse dans cette partie du monde ? Que d’une façon détaillée, il puisse nous le dire de sorte que, les éléments qui font que sa présence dans cette partie du monde l’intéresse, que ces éléments-là puissent se conjuguer avec ceux de la Nouvelle-Calédonie. À partir du moment où on ne fera que des documents à charge, et qu’on n’ira pas jusqu’au bout des choses, il sera difficile de faire un pas supplémentaire, en sachant qu’il est obligatoire, parce qu’on ne peut pas reculer, avec l’accord de Nouméa. L’accord de Nouméa est très clair, on ne peut pas revenir dessus ».
Damien Chaillot