Nouvelle-Calédonie : L’usine de Vale évacuée, le site sous protection mais les tensions toujours préoccupantes

Nouvelle-Calédonie : L’usine de Vale évacuée, le site sous protection mais les tensions toujours préoccupantes

L’usine de nickel de Vale en Nouvelle-Calédonie, dont la vente suscite la colère des indépendantistes et des chefferies kanak, a été mise sous protection de la gendarmerie et ses employés évacués jeudi en raison de tentatives d’intrusion violentes, a indiqué le haut-commissariat de la République.

« Plusieurs tentatives d’intrusion se sont déroulées sur le site industriel, classé Seveso. (…) Les forces de l’ordre ont dû faire usage des armes pour repousser deux pickups qui fonçaient sur les gendarmes. Des dégradations ont été une nouvelle fois commises et un bâtiment administratif incendié », a indiqué le haut-commissariat de la République. Aucun blessé n’est à déplorer et le site de cette usine métallurgique de cobalt et de nickel, qui utilise un procédé de traitement à l’acide sulfurique, « est tenu par les forces de l’ordre » depuis le milieu d’après-midi.

Selon Nouvelle-Calédonie la 1ère, environ 300 salariés de l’usine ont été évacués « par précaution », tandis que l’usine hydrométallurgique et l’usine d’acide sont à l’arrêt. Laurent Prévost, haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, a « condamné fermement ces actes irresponsables », à l’instar de Sonia Backès (loyaliste), présidente de la province sud, qui a dénoncé des « manœuvres inconscientes ». « Plus que jamais, il faut que l’escalade dans la violence que connaît notre pays s’arrête sans délai », a réagi le député Philippe Dunoyer. « Chacun doit privilégier la voie du dialogue et de la recherche d’un consensus plutôt que de laisser les fantômes des « événements » nous rattraper ».

Les violences vont crescendo en Nouvelle-Calédonie après l’annonce mercredi par le groupe brésilien Vale de la vente de son usine de nickel à un consortium calédonien et international, incluant le négociant en matières premières, Trafigura, et baptisé Prony Ressources. Le collectif « usine du sud : usine pays » et l’Instance coutumière autochtone de négociations (ICAN) soutenus par les indépendantistes du FLNKS sont « totalement opposés » à ce projet, qui consacre selon eux « la mainmise des multinationales sur les richesses du pays ».

« Nous sommes de plus en plus déterminés et notre mobilisation s’inscrit dans le temps », a déclaré Victor Tutugoro, porte-parole du bureau politique du FLNKS, mettant en cause « l’implication douteuse de l’État », qui intervient dans le projet par le biais d’aides financières. Paris avait octroyé un prêt de 500 millions d’euros à Vale NC en 2016, en pleine crise du nickel. Une réunion doit avoir lieu ce jeudi en visioconférence avec le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, sur le thème du nickel dans le cadre des discussions sur l’avenir institutionnel. Le FLNKS a annoncé qu’il n’y participerait pas.

Mardi devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre, interpellé par Jean-Christophe Lagarde au nom des députés calédoniens, a assuré que l’État poursuivra « inlassablement » le dialogue « jusqu’à parvenir avec l’ensemble des acteurs, à une solution négociée ». « Il y a une seule offre sur la table sur laquelle nous devons continuer à travailler », avait-il ajouté. Le lendemain au Sénat, le ministre des Outre-mer a confirmé cette unique offre en insistant sur la sauvegarde des 3 000 emplois directs de l’Usine.

« On ne sortira pas des affrontements en cours en imposant une solution quelle qu’elle soit », a déploré le sénateur Gérard Poadja. « Seul un consensus, entre l’État, les indépendantistes et les non-indépendantistes nous permettra de préserver les 3 000 emplois en jeu et de rétablir la paix civile ». La situation est d’autant plus préoccupante que des leaders politiques non indépendantistes ont également appelé à la mobilisation. Sur les réseaux sociaux, les images de personnes circulant avec des armes à feu ont forcé le Haut-commissaire à interdire leur port et leur transport.

Jeudi, les blocages et les barrages, en cours depuis lundi, se sont poursuivis, ravivant les clivages entre loyalistes et indépendantistes. Au Mont-Dore, en périphérie de Nouméa, des affrontements ont opposé forces de l’ordre et manifestants, et au niveau des villages de Bourail et de La Foa, la route principale de l’île est bloquée en alternance. Sur Facebook, le FLNKS compte « 14 points de blocage sur l’ensemble du pays » ; 32 tenus par le syndicat USTKE et « 9 000 personnes » mobilisées sur ces barrages.

A Kouaoua, sur la côte est, le convoyeur permettant de descendre le minerai jusqu’au bord de mer d’un site minier de la Société Le Nickel (SLN), opérateur historique du nickel calédonien, a été « incendié sur 1,5 kilomètre ». Cette « nouvelle attaque (…) impacte directement plus de 300 emplois » et « aggrave la situation critique de l’entreprise », a déclaré la direction de cette filiale du groupe français Eramet. Cet équipement, appelé serpentine, fait régulièrement l’objet d’incendies.

Le parquet de Nouméa a indiqué que 5 des 49 personnes interpellées lors des violences de lundi à Nouméa avaient été incarcérées dans l’attente de leur procès en comparution immédiate vendredi. Le FLNKS, l’ICAN et le collectif « Usine du sud : usine pays » a annoncé une mobilisation devant le tribunal de Nouméa. Compte tenu « de la forte mobilisation des forces de l’ordre », le gouvernement calédonien a annoncé la suspension de tous les vols internationaux de passagers, peu nombreux compte tenu de l’épidémie de coronavirus.

Le président du gouvernement et le Haut-commissaire ont également décidé de mobiliser les forces de l’ordre actuellement en quatorzaine obligatoire. Une décision qui a provoqué l’ire des indépendantistes et coutumiers. Les cinq membres indépendantistes du gouvernement collégial calédonien ont notamment fait savoir qu’ils étaient opposés à cette sortie prématurée des gendarmes en quatorzaine, soulignant « un risque important pour l’archipel » épargné par l’épidémie et « une initiative qui ne respecte pas la collégialité ».

Cette crise survient alors que le processus de décolonisation de l’accord de Nouméa (1998) arrive à son terme. Le 4 octobre, un deuxième référendum sur l’indépendance a été remporté d’une courte avance par les non-indépendantistes (53,3%). Un troisième doit avoir lieu d’ici 2022.

Avec AFP.