Environ 40 000 personnes -selon les forces de l'ordre-, indépendantistes et non-indépendantistes, se sont mobilisées samedi à Nouméa, au sujet de l'élargissement du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales en Nouvelle-Calédonie.
Les manifestants se sont retrouvés dans le centre-ville, séparés par un « cordon sanitaire » mis en place par les forces de l'ordre. Le projet de loi constitutionnelle visant à ouvrir le corps électoral aux personnes résidant sur le territoire depuis au moins dix ans est en cours d'examen au Parlement et a ravivé les tensions entre les partisans de l'indépendance et ses opposants. Après avoir été adopté au Sénat, il doit être examiné par l'Assemblée nationale dans le courant du mois de mai.
« Montrer aux parlementaires qu’on est là »
« Paris, entends-nous ! », a scandé devant une foule essentiellement européenne Sonia Backès, la cheffe de file loyaliste, à l'initiative de cette mobilisation avec le Rassemblement-LR (droite) pour montrer son attachement à la France et à l'ouverture du corps électoral. Le cortège a effectué une boucle au son de la Marseillaise et au rythme des slogans : « On est chez nous ! », « Pas de liberté sans démocratie ! La démocratie, c'est nous ! La France c'est nous ! », ou encore : « Fiers d'être Calédoniens, fiers d'être Français ! ».
« C’est la première fois qu’on a autant de monde dans une mobilisation où il y avait une véritable ferveur pour passer un message clair : nous voulons rester Français », a poursuivi Sonia Backès, interrogée par nos partenaires des Nouvelles Calédoniennes. « L’idée c’était de faire une démonstration de force pour montrer aux parlementaires qu’on est là. On ne casse rien, on n’insulte personne, mais on compte bien se faire entendre. Maintenant, il faut que le processus du dégel du corps électoral avance » a martelé celle qui fut secrétaire d’État à la Citoyenneté entre juillet 2022 et septembre 2023.
« Ce n'est pas une démarche contre le peuple kanak mais ce n'est pas normal que nous n'ayons pas ce droit citoyen. C'est une aberration que l'on n'ait pas les mêmes droits qu'ailleurs dans la République ! », a déclaré à l'AFP Bertrand, un manifestant de 67 ans installé depuis trois mois en Nouvelle-Calédonie. « Ici, c'est la France. On a voté trois fois non à l'indépendance. Si les indépendantistes n'ont pas voulu voter, c'est leur problème. Je suis là parce que je veux que tous les gens puissent voter chez eux », a déclaré Guillaume, 17 ans, né en Guyane et arrivé en Nouvelle-Calédonie à l’âge d’un an.
De leur côté, les indépendantistes, opposés au dégel du corps électoral, ont investi la symbolique place de la Paix, où se situe la statue de l’historique poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. « La paix est menacée parce que l'État est sorti de son impartialité. Il a touché un tabou et il faut résister. Le dégel du corps électoral nous mène à la mort », a estimé Roch Wamytan, l'un des responsables de l'Union calédonienne, principal parti indépendantiste du FLNKS. On pouvait également lire de nombreux appels à ne pas signer le « pacte nickel » proposé par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire pour soutenir la filière industrielle calédonienne.
Le dégel du corps électoral « va nous rendre encore plus minoritaires »
« Je suis là pour défendre mes convictions et ma vision. On a un flux de population constant, venu de nombreuses communautés, qu’on accueille volontiers, mais dont le vote vient édulcorer notre voix lorsqu’il faut prendre des décisions importantes pour le pays » a déclaré un sympathisant indépendantiste interrogé par les Nouvelles Calédoniennes. « Bien sûr, je suis favorable à ce que tous les natifs, tous bords confondus, puissent voter. Mais dix ans glissants (le projet prévoit l’ouverture du droit de vote aux provinciales aux résidents de plus de 10 ans, ndlr), je suis désolé, je trouve que c’est trop court ».
Pour Valérie Digoué, originaire de Koné, le dégel du corps électoral « va nous rendre encore plus minoritaires qu’on ne l’est déjà dans notre pays. On a peur que le peuple kanak soit noyé dans la masse ». « Je suis de la génération où on a grandi après les Événements dans la paix et tous ensemble », poursuit-elle. « Mais là, les élus sont dans la provocation permanente dans les deux camps et les gens se radicalisent. Ça m’effraie. On n'aura jamais les mêmes opinions politiques, alors ça ne sert à rien de diviser encore plus la population. À notre âge, on arrive à se maîtriser en général, mais les jeunes, eux, n’ont peur de rien. Et les réseaux sociaux n’arrangent rien ».
Bataille des chiffres
De part et d’autre des manifestations, le nerf de la guerre est de brandir la meilleure participation. D’après les organisateurs loyalistes, 35 000 personnes ont fait le déplacement. Les forces de l'ordre en ont compté 20 500. Du côté indépendantiste, la cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) a compté jusqu’à 50 000 participants, 19 500 pour les forces de l’ordre. « S'il est très difficile d'avancer des chiffres précis, les deux manifestations, loyaliste et indépendantiste, ont réuni une foule impressionnante de personnes » notent Les Nouvelles Calédoniennes. Il y a quelques semaines, indépendantistes et loyalistes manifestaient déjà chacun de leurs côtés.
Pari et mobilisation réussis donc pour les leaders des deux camps, et malgré la tension palpable sur ce sujet du corps électoral -renvoyant à la notion de citoyenneté calédonienne-, les forces de l’ordre et le Haut-commissariat n’ont déploré aucun incident. Deux mobilisations qui illustrent toutefois la profonde fracture de la société calédonienne au lendemain des référendums d'autodétermination, et alors que l'archipel se cherche un avenir institutionnel dans un contexte de crise économique, très marquée dans la filière nickel.
Avec AFP et Les Nouvelles Calédoniennes