Montée des eaux, rivalités entre Washington et Pékin et troubles en Nouvelle-Calédonie : Une « polycrise » au sommet des îles du Pacifique

©Pacific Islands Forum

Montée des eaux, rivalités entre Washington et Pékin et troubles en Nouvelle-Calédonie : Une « polycrise » au sommet des îles du Pacifique

Les dirigeants du Forum des îles du Pacifique (FIP) se retrouvent lundi à Nuku'alofa, la capitale du royaume de Tonga, pour un sommet consacré à la « polycrise » que constituent l'engloutissement de leurs pays par la montée de l'océan, la rivalité entre Washington et Pékin dans la région ou encore les troubles en Nouvelle-Calédonie. Invité du sommet, Antonio Guterres viendra affirmer le soutien de l’ONU au Pacifique et « faire monter la pression » sur la communauté internationale.

Le FIP regroupe 18 États et territoires, dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, membres de plein exercice depuis 2016. Beaucoup de ses membres sont aujourd'hui menacés d'anéantissement pur et simple par la montée du niveau de l'océan due au réchauffement climatique. Un pays comme les Tuvalu (point culminant : 4,6 mètres) pourrait ainsi disparaître sous les flots d'ici à trente ans.

Invité du sommet, le chef des Nations Unies Antonio Guterres apportera son soutien aux dirigeants du Pacifique dans leur appel au secours. « Le changement climatique reste, comme toujours, la priorité absolue des dirigeants » du FIP, déclare Mihai Sora, directeur de la recherche sur le Pacifique à l'Institut Lowy, en Australie. « La présence du secrétaire général des Nations Unies a pour but d'attirer l'attention de la communauté internationale et de faire monter la pression ». 

Antonio Guterres avait déjà eu l’occasion de donner le ton de son intervention au sommet du FIP, depuis les Samoa où il était en visite ces derniers jours, rappellent nos partenaires de Radio 1 Tahiti. « Le niveau élevé et croissant des mers constitue une énorme menace pour les Samoa, le Pacifique et d’autres petits États insulaires en développement, et ces défis exigent une action internationale résolue » avait-il rappelé, parlant de territoires qui risquent d’être « anéantis » dans un futur proche.

L'Australie, à la fois membre du FIP et grande puissance minière qui tente tardivement redorer son blason en matière environnementale, se retrouvera en position délicate vis-à-vis de ses partenaires. Elle a pour ambition d'accueillir la conférence sur le climat COP31 en 2026 avec le soutien de ses voisins du Pacifique. Mais elle devra d'abord les convaincre de sa réelle volonté de réduire ses émissions.

Rivalité sino-américaine

Ce sommet sera le premier du nouveau secrétaire général du FIP, le Nauruan Baron Waqa, pourfendeur de la rivalité américano-chinoise dans la région. « On ne veut pas de leur bagarre dans notre arrière-cour. Qu'ils aillent faire ça ailleurs », a-t-il lancé en juillet dernier à l'intention de Pékin et de Washington. Un point de vue partagé par le secrétaire général des Nations Unies : « le Pacifique est mieux géré par les habitants des îles du Pacifique. Il ne doit jamais devenir un forum de compétition géostratégique ».

Pékin courtise résolument les petits pays du Pacifique, utilisant ses largesses pour construire complexes gouvernementaux, salles de sport, hôpitaux et routes. Le palais des congrès où se tient le sommet de Nuku'alofa, d'un coût de 25 millions de dollars, est d'ailleurs un cadeau chinois. Début juillet, Pékin a aussi livré un nouveau palais présidentiel au Vanuatu et prévoit également la construction d'un nouveau ministère des Finances et la rénovation du département des Affaires étrangères du pays insulaire.

Craignant que la Chine n'en profite pour installer des bases militaires permanentes dans la région, les États-Unis et l'Australie ont contre-attaqué en distribuant de l'aide, en signant des accords bilatéraux et en rouvrant des ambassades désaffectées depuis longtemps.

« Polycrise »

Ce cocktail de tensions géopolitiques et de menaces climatiques a été qualifié de « polycrise » par le Premier ministre des Fiji, Sitiveni Rabuka. A ces problèmes s'ajoutent cette année les violences qui font rage depuis mai dans le territoire français de Nouvelle-Calédonie, membre à part entière du FIP. Le Forum a tenté d'envoyer en Nouvelle-Calédonie une « mission d'enquête de haut niveau » pour aider à résoudre la crise, dont le détonateur a été un projet de réforme du corps électoral dans l'archipel. Mais cette mission a été reportée au dernier moment en raison d'un différend entre les autorités calédoniennes et Paris quant à son programme. 

« L’État français a décidé de contrôler seul le sujet et l’objet de la mission ainsi que ses futures conclusions », avait ainsi déclaré Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, auprès de RNZ. L’État avait de son côté rappelé ses prérogatives en matière de diplomatie et pointé, d’après LNC, un manque de coopération du gouvernement local. Pas de mission, ou en tout cas pas de mission à temps pour le sommet, donc. Ce qui n’empêchera pas les leaders du FIP d’aborder le brûlant sujet calédonien.

Les violences en Nouvelle-Calédonie, qui ont fait onze morts, ont éclaté le 13 mai pendant l'examen au Parlement français du projet de réforme électorale accusé de marginaliser la population autochtone kanak. Cette réforme a été depuis suspendue mais les indépendantistes, qui en demandent l'abandon pur et simple, restent mobilisés.

Lire aussi : Report d'une mission du Forum des îles du Pacifique en Nouvelle-Calédonie

La cause kanak trouve un large écho dans le bloc Pacifique, qui regorge d'anciennes colonies aujourd'hui farouchement fières de leur indépendance. Baron Waqa a notamment critiqué le transfèrement en France métropolitaine de détenus indépendantistes arrêtés pendant les émeutes. « La façon dont la France se comporte en Nouvelle-Calédonie suscite beaucoup d'inquiétude », affirme Tess Newton Cain, de l'Institut Griffith pour l'Asie, selon qui « la rhétorique française préoccupe vraiment les dirigeants du forum ».

Le sommet constitue un sérieux défi logistique pour Nuku'alofa, dont de nombreux hôtels ont été détruits par le tsunami provoqué par l'éruption cataclysmique du volcan Hunga Tonga-Hunga Ha'apai en 2022. Pour accueillir dignement les dizaines de chefs d'État et de gouvernement, de diplomates et d'hommes d'affaires invités, les 20 000 habitants de la capitale ont été priés d'ouvrir leurs chambres d'amis. Et une équipe de vétérinaires a été spécialement dépêchée des îles Fidji pour regrouper et stériliser les nombreux chiens errants à la morsure facile qui rôdent dans les rues.

Avec AFP et Radio 1 Tahiti