PORTRAIT: Le Guyanais Jean-Christophe Lafontaine, chef de clinique à Lille, aspire à un meilleur accompagnement des talents pour un retour dans les Outre-mer

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PORTRAIT: Le Guyanais Jean-Christophe Lafontaine, chef de clinique à Lille, aspire à un meilleur accompagnement des talents pour un retour dans les Outre-mer

C’est en décembre 2023 que nous rencontrions le Guyanais Jean-Christophe Lafontaine. Le jeune homme de 29 ans, chef de clinique hospitalo-universitaire au CHU de Lille, venait d’être distingué à l’occasion de la cérémonie des talents de l’Outre-mer du CASODOM. Il en profitait pour appeler publiquement à une meilleure prise en charge de la santé dans les Outre-mer, ainsi qu’un soutien pour aider les talents ultramarins à rentrer chez eux. Plusieurs mois plus tard, Jean-Christophe Lafontaine continue son bout de chemin en se consacrant à la clinique, à la recherche et à l’enseignement.

« J'espère sincèrement, avec mes compatriotes guyanais, que nous pourrons un jour combler le manque de représentation auquel nous sommes confrontés. Il y a de nombreux talents en Guyane, beaucoup d'entre eux travaillent dur, que ce soit à l'étranger ou en France hexagonale, sans nécessairement chercher la reconnaissance. Mon souhait est que nous puissions renforcer les liens avec la jeunesse de notre territoire, qui, bien que géographiquement isolée sur un bout de continent, mérite d'être mise en lumière. Je voudrais aussi aborder le domaine de la santé… Peu de personnes en parlent, souvent par manque de temps et de connaissance, mais il s'agit d'une question cruciale et alarmante. Nos peuples sont en retard dans ce domaine, un retard difficile à combler. Nombreux sont nos compatriotes ultramarins, comme moi, qui tentent de construire une carrière universitaire ou hospitalière en France, sans voir comment ils pourraient un jour ramener leur expertise chez eux. Aujourd'hui, j'ai l'opportunité de m'adresser à ce parterre de parlementaires et de personnalités influentes, et je tiens à insister sur l'importance d'aller chercher ces talents, notamment les médecins, qui sont trop pris par leurs obligations ou qui ne connaissent pas les dispositifs facilitant un retour au pays. Ce retour serait bénéfique non seulement pour nos peuples, mais aussi pour le développement de nos territoires. Nos populations souffrent, et il est crucial de prendre conscience de l'importance de la santé avant qu'il ne soit trop tard. J'insiste vraiment sur la nécessité de faciliter le retour de ces talents pour faire grandir nos pays ». 

C’est par ces quelques mots, il y a quelques mois, que Jean-Christophe Lafontaine s’adressait à la foule venue nombreuse au musée du Quai Branly à l’occasion de la cérémonie de récompense des talents de l’Outre-mer. Le Guyanais venait lui-même de recevoir son prix et clôturait ainsi l’évènement. Plusieurs mois plus tard, nous l’avons contacté pour lui demander s’il y avait eu des suites à cette prise de parole. C’est très fatigué que le médecin nous répondait :« Je suis désolé, j’étais de garde cette nuit », s’excusait-il en poursuivant : « Plusieurs personnes m'ont demandé mes coordonnées, mais cela n'a jamais abouti à rien de concret, ce qui, honnêtement, ne m'étonne pas vraiment. Moi, je poursuis mon chemin sans prétendre que ce discours puisse provoquer un changement radical. Mon projet a toujours été clair : me former au mieux, acquérir de nouvelles compétences, avec l'espoir de pouvoir un jour les mettre au service de notre communauté. Je ne cherchais pas à faire une grande déclaration... C'était plutôt un cri du cœur ».

Une ascension professionnelle au CHU de Lille entre clinique, recherche et enseignement

Bien loin du tumulte politico-médiatique, dans sa vie de tous les jours, Jean-Christophe Lafontaine est un homme passionné et déterminé, qui a su transformer les défis en opportunités en se créant une voie dans le domaine de la neurologie. « J'avais hésité initialement entre l'ophtalmologie et la neurologie. Mais en approfondissant mes connaissances, j'ai été fasciné par les mystères du cerveau et par la complexité des pathologies neurologiques. La neurologie offre un champ d'étude immense et constamment en évolution, ce qui correspond parfaitement à ma soif de connaissances et de défis ». 

Pour renforcer son expertise, il décide de compléter sa formation médicale par un master en recherche dans les neurosciences. « Je voulais comprendre en profondeur les mécanismes des maladies neurologiques, et la recherche me semblait être la voie idéale pour y parvenir. Ce master m'a permis de me familiariser avec les méthodologies de recherche et contribuera modestement à l'avancée des connaissances dans ce domaine ». Son travail de recherche porte notamment sur les maladies inflammatoires du système nerveux central, comme la sclérose en plaques. « Comprendre ces mécanismes est crucial pour développer de nouvelles approches thérapeutiques et améliorer la qualité de vie des patients atteints de ces pathologies ». 

Après avoir brillamment réussi ses études à Poitiers, Jean-Christophe Lafontaine rejoint le CHU de Lille pour son internat. « Intégrer le CHU de Lille a été une opportunité incroyable. J'ai pu travailler aux côtés de professionnels expérimentés et participer à des projets de recherche de pointe ». En parallèle, il s'investit également dans l'enseignement à la faculté de médecine de Lille. « Transmettre mon savoir aux étudiants est une véritable passion. J'aime partager mon expérience et aider les futurs médecins à développer leurs compétences et leur curiosité scientifique ».

Un départ précoce de la Guyane pour poursuivre une ambition

Si aujourd’hui, la voie semble toute tracée, cela ne s’est pas fait sans embûches pour le jeune Guyanais. « Je suis arrivé à Poitiers à l’âge de 17 ans. Ce qui m'a marqué en premier, c'est la solitude », se souvient-il. « Je n’ai aucune honte à dire que cela a été une période très difficile pour moi. J'ai quitté ma maison, mes parents, mon jardin pour me retrouver dans un appartement, avec des conditions de vie totalement différentes, notamment en termes d'ensoleillement… Ajouter à cela le stress des concours de première année de médecine, c'était un changement brutal ». 

Quand on demande au jeune homme ce qui l’a motivé à continuer, c’est de manière très déterminée qu’il répond : « On s'accroche à sa fierté quand on arrive ici. On nous fait remarquer notre accent, notre différence, parfois avec humour, parfois avec condescendance… Cela reste de l'ignorance… Beaucoup de gens ici ne connaissent même pas la Guyane, pensent que c'est près de Mayotte ou se demandent si j'ai passé mon bac en pirogue… Il faut rester fier de ses origines et se donner les moyens de réussir ». Réussir, c’est dans cette idée que dès le lycée, Jean-Christophe Lafontaine se distingue déjà en décrochant le deuxième prix au concours d'excellence régional. « Recevoir ce prix a été un véritable encouragement. Cela m'a donné la confiance nécessaire pour envisager des études de médecine, malgré la distance et les défis que cela impliquait… Chaque obstacle surmonté m'a rendu plus fort et plus déterminé à atteindre mes objectifs. Je pense que ces épreuves font partie intégrante de mon parcours et m'ont aidé à devenir le médecin que je suis aujourd'hui ». 

Et alors que dans ses prochains objectifs, Jean-Christophe Lafontaine vise sa titularisation ainsi que l’obtention de son Master 2 en recherche, il n’en oublie pas moins la Guyane dans ses projets. « Si je devais exprimer mon objectif ultime, ce serait de contribuer à élever le niveau de notre formation et de notre prise en charge médicale, à mon échelle, et de participer à la construction de cet édifice en Guyane. Ce serait là ma véritable aspiration ». En attendant que ce dessein puisse s’accomplir, le Guyanais compte bien tenter de réaliser, dans la foulée, une deuxième thèse et poursuivre sa carrière hospitalo-universitaire.

Abby Said Adinani