Ambassadrice de France auprès de l’Unesco jusqu’à ces dernières semaines, Véronique Roger-Lacan a été nommée par le président de la République, en visite à Nouméa, au poste d’Ambassadrice de France auprès de la Communauté du Pacifique. Avant son arrivée en Nouvelle-Calédonie dans les prochains jours, elle a accordé une interview à Outremers360, pour faire un bilan de son passage à l’Unesco -où elle a notamment suivi les candidatures de la Yole, des TAAF, de la Montagne Pelée et des îles Marquises-, et dresser les objectifs de sa future mission dans le Pacifique.
Vous avez quitté en août vos fonctions d’Ambassadrice de France à l’Unesco, que vous occupiez depuis 2019, quel bilan tirez-vous de ces quatre années ?
Un bilan magnifique parce que l'Unesco est une organisation incroyable. Tout le monde pense que c'est une bureaucratie, de l'administration, mais en vérité, c'est un mandat d’éducation, de science et de culture qui a une vraie emprise sur la vie de la planète entière.
Et pour un ambassadeur, nous sommes 193 ambassadeurs parce qu'on est 193 États membres, le symbole de la souveraineté d'un État à l'UNESCO, c'est le nombre d'inscriptions au Patrimoine mondial. Donc, il y a une sorte de compétition pour savoir qui va avoir le plus d'inscriptions au Patrimoine mondial et qui va exister en tant qu'État parce qu'il a un tel nombre d'inscriptions au patrimoine mondial.
Pour la France, c'est un peu plus particulier parce que ce n'est pas uniquement la métropole. C'est la France globale, la France diverse. Pour moi, en tant qu'ambassadrice de France, d'origine indienne, à l'Unesco, ça a été très important de promouvoir les candidatures de la Martinique et des îles Marquises pendant mon mandat.
Justement, vous avez suivi la Martinique, vous avez suivi les îles Marquises dont le dossier devrait aboutir en 2024. Vous avez aussi suivi les Terres australes et antarctiques françaises et la Yole. Le premier bien Outre-mer à l'Unesco, c'était en 2008 pour la Nouvelle-Calédonie et ses lagons. Comment est-ce qu'on peut interpréter ce « retard » des Outre-mer dans le processus d’inscription à l'Unesco ?
Je ne suis pas sûre que ça soit un retard. Je pense que pour chaque inscription, c'est un processus très long d'étude du patrimoine, de l'archéologie et chaque collectivité, chaque territoire va à son rythme. Chaque territoire est venu avec sa propre candidature et ce n'est pas une question d'État central, mais une question de qui propose quoi.
Donc, si on parle de retard, c'est que c'est un retard des territoires eux-mêmes, parce que tout d'un coup, ils se sont rendus compte que ça fait 20 ans, 25 ans qu'ils ignorent qu'il y a les candidatures au Patrimoine mondial et qu'eux ont un Patrimoine inouï qu'ils peuvent inscrire au Patrimoine mondial. Donc, c'est une bonne chose qu'ils se soient découverts des Patrimoines mondiaux magnifiques qu'ils veulent mettre au crédit de leur territoire d'abord, mais de la France aussi, parce qu'ils sont français.
On vient de le dire, la Martinique vient d’inscrire en septembre la Montagne Pelée et les Pitons du Nord : une juste reconnaissance ?
Pour moi, c'est une joie immense parce que quand je suis arrivée à l'Unesco en septembre 2019, on m'a parlé de la candidature de la Yole au Patrimoine immatériel. C'était un projet déjà très important pour la Martinique : à la fois très politique pour la Martinique dans la métropole, dans sa relation avec l'État, et en même temps, très citoyen. Et quand la Yole a été inscrite, ça a été une joie inouïe.
Et puis, on m'a parlé à très vite aussi de la candidature des volcans et forêts de la montagne Pelée et des pythons du Nord de la Martinique. Le processus d'inscription, ça passe d'abord par le Comité français du Patrimoine mondial qui examine plusieurs candidatures et tous les deux ans, décide de quelle candidature va être présentée par la France, donc une candidature unique pour le Comité du Patrimoine mondial. Et à ce moment- là, il y avait une sorte de discussion entre qui serait le premier, la Martinique ou Nice. Et finalement, il a été décidé que ce serait Nice.
Moi, je suis une fonctionnaire, une diplomate, donc je me suis engagée : faire en sorte, avec passion, que Nice soit inscrite l'année où on m'avait dit qu'elle fallait qu'elle soit inscrite. Mais je savais qu'il y avait quelque part la candidature de la Martinique et pour moi, c'était important que la Martinique soit inscrite aussi.
Une fois que Nice a été inscrite en juillet 2021, je suis passée de suite au travail sur la Martinique. Je me suis mise en relation avec Serge Letchimy, la Collectivité territoriale de la Martinique, le parc régional de la Martinique, tous les Martiniquais. Ça a été un travail magnifique et j'ai décidé d'emmener les ambassadeurs auprès de l'Unesco sur l’île, de les convaincre du bien-fondé de cette candidature.
De toute façon, à partir de du moment où la France décide que telle candidature sera sa candidature nationale, ça veut dire qu’elle estime que la candidature répond aux critères pour l’inscription et donc le job de l'ambassadeur ou de l'ambassadrice, c'est de convaincre les autres membres du Comité du Patrimoine mondial du bien-fondé de cette candidature. Et j'ai fait ça avec enthousiasme et grande affection pour la Martinique, puisqu'il y a beaucoup de choses qui me parlent.
La prochaine candidature, vraisemblablement, c’est celle des îles Marquises : avez-vous bon espoir ?
J'ai très bon espoir parce que c'est aussi une très belle candidature, parce que les porteurs de projet, dont l’ancien ministre de l'Environnement et du Tourisme de la Polynésie française, portent cette histoire des îles Marquises dans leur environnement local, mais aussi dans l'environnement français. C'est une candidature bien pensée. C'est dans notre intérêt à nous tous, les îles Marquises, la France, le monde, d'inclure ces îles dans le Patrimoine mondial.
Désormais, c’est dans le Pacifique qu’on vous retrouvera, en tant que représentante de la France auprès de la Communauté du Pacifique et du programme régional océanien de l’environnement. Quelles seront plus précisément vos missions ?
Je me réjouis et je suis très honorée de cette nomination. Le gouvernement français m'a nommée ambassadrice pour le Pacifique à Nouméa. Les autorités locales calédoniennes, polynésiennes et aussi Wallis et Futuna ont approuvé cette nomination. C'est une nomination conjointe Ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et du Ministère des Affaires étrangères.
Il y a quatre volets dans ma mission. Le premier volet, c'est l'intégration de la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis et Futuna dans leur environnement régional. Parce qu'il est extrêmement important de faire de sorte que ces collectivités territoriales puissent exercer les compétences de politique régionale qui leur ont été dévolues au fur et à mesure des processus d'autonomisation.
C'est très important de pouvoir faire ça en bonne intelligence, c'est- à-dire que ces territoires sont à la fois ceux qu'ils sont eux-mêmes, intrinsèquement, depuis toujours, et ce qu'ils veulent devenir, mais en même temps, le choix politique aujourd'hui, c'est qu'ils sont français. Notre job à eux et à moi, c'est de travailler pour qu'ensemble, on représente la position de la France. Parce que pour l'instant, c'est ça l'objectif institutionnel et politique, c'est de promouvoir ensemble la position de la France, chacun avec sa vision, la vision calédonienne, la vision polynésienne, la vision de Wallis et Futuna et la vision de l'État. Notre job, tous ensemble, ça va être de faire de sorte que tout ça coïncide, converge. Et je me réjouis vraiment de pouvoir agir pour cela et d'être basé sur place à Nouméa. Je pense que chacune des entités politiques a une vraie conviction historique, politique et que c'est passionnant de pouvoir créer une France diverse, intégrée sur ce plan.
Le deuxième volet, c'est la relation avec tous les États de la région. On a 14 États insulaires qui ont chacun leur voie, leur conception des choses. Et mon rôle, ce sera d’établir une coordination, une mise en musique et une interaction, avec mes collègues qui sont des ambassadeurs bilatéraux, auprès des Samoa, des Tonga, des Fidji, des Salomon, du Vanuatu, de Nouvelle-Zélande, d’Australie.
Le troisième volet, c'est la relation avec les grands partenaires : ce monde Pacifique est désormais une sorte de nouveau grand jeu, que tout le monde s'y précipite pour l'influence. On a les États-Unis, la Chine, le Japon, la Corée, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et aussi de l'Union européenne. Car même si la France est le seul pays de l’UE présent dans la zone, ça n'empêche pas des États comme l'Allemagne d'avoir ouvert récemment une grosse emprise au Fidji, le Royaume-Uni d'avoir ouvert une grosse emprise de coopération et de développement en Australie.
Le dernier volet, c'est la relation avec les organismes régionaux : la Communauté pour le Pacifique Sud, le Forum des îles du Pacifique. Il y a aussi le groupe Fer de lance de Mélanésie. Il y a aussi des organisations multinationales auprès desquelles la France aura envie de s'investir, de dialoguer. Ça fait un très grand spectre d'activités. Je ne sais pas si je réussirai à tout couvrir, mais en tout cas, c'est mon intention.
Vous avez parlé des interactions avec les visites du Pacifique. Le premier grand rendez-vous, d'ailleurs, c'est au mois de novembre, avec le Forum des Îles du Pacifique. Est-ce que vous participerez ? Et quel sera votre message au nom de la France, bien sûr, lors de ce forum ?
Oui j’y participerai. L’objectif pour moi sera de travailler avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, membre à part entière du Forum, pour promouvoir un agenda commun : faire en sorte que ces territoires puissent se développer et agir dans leur environnement régional pour le bien-être de chacun de leur citoyen. Et pour le rayonnement de ces territoires, à travers l’outil que représente la France et en conformité avec les compétences dévolues et la Constitution, de promouvoir leurs existences dans cet environnement régional.
Le président de la République vous a nommé depuis Nouméa, alors qu’il était en visite dans le Pacifique, visite durant laquelle les annonces ont été nombreuses, on pense notamment à l’ouverture d’une ambassade aux Samoa : est-ce un sujet sur lequel vous allez travailler ?
Pas directement. C’est un dossier qui concerne directement le Quai d’Orsay. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a déjà eu des rapports en amont en cohérence avec la volonté de la France de renforcer sa présence dans la région : est-ce qu’il fallait renforcer l’ambassade de Fidji ou du Vanuatu, ouvrir aux Salomon ou aux Samoa ? Finalement, la décision a été prise d’ouvrir aux Samoa.
Cette ouverture traduit dans tous les cas l’importance de la région Pacifique pour des raisons d’avenir environnemental et climatique notamment. En face, il y a une vraie demande de la part des États insulaires et il y a un vrai souhait de la France d’y apporter son savoir-faire dans la gestion de crise en cas de catastrophe naturelle, ou de préservation des forêts et des océans. On a une énorme palette de réflexion et d’instruments qu’on veut mettre à la disposition de notre coopération avec ces États.
Au-delà de la coopération environnementale, il y a aussi la coopération culturelle, technique ou même militaire puisque lors de son déplacement, le président a parlé d’une Académie militaire du Pacifique, mais aussi universitaire avec l’annonce de l’Erasmus du Pacifique. Il y a énormément de choses à faire pour faire converger les intérêts de la région.
Vous êtes originaire de Pondichéry en Inde, aujourd’hui vous prenez vos nouvelles fonctions dans le Pacifique : la stratégie indopacifique défendue par Emmanuel Macron, est-ce que cela vous parle ? Êtes-vous sensible à cette politique ?
Je ne sais pas si c’est une stratégie qui me parle. Ce qui me parle, c’est que la France a intérêt à connaître des pays comme l'Inde, ou comme les États insulaires du Pacifique. La France a été habituée à travailler au Conseil de Sécurité avec la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. Ce sont des pays qu’on connaît.
Dans mes expériences précédentes, j’ai découvert qu’il y a, par exemple en Inde, une pensée stratégique locale très particulière que la France ne connaissait pas. Aujourd’hui, on commence à la connaître, on commence à avoir des affinités particulières avec l’Inde et on cultive ces affinités à travers la stratégie indopacifique.
En tant que Française, Républicaine, d’origine indienne, c’est très important pour moi de connecter avec ces pays, comme l’Inde et les États insulaires du Pacifique, mais surtout avec les territoires français d’Outre-mer. Chacun décide de son avenir, mais je suis sûre qu’on a un avenir commun et qu’on doit le cultiver ensemble.