INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : « Nous devons porter l’urgence calédonienne à tous les niveaux et collectivement », Veylma Falaeo, présidente du Congrès

INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : « Nous devons porter l’urgence calédonienne à tous les niveaux et collectivement », Veylma Falaeo, présidente du Congrès

Veylma Falaeo, membre de l’Éveil océanien, est devenue, fin août, la première femme à accéder à la présidence du Congrès calédonien. Dans une interview exclusive accordée à Outremers360, la présidente déroule son programme et ses priorités à la tête de l’Institution, avec en ligne de mire la mission de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Veylma Falaeo décrit aussi le rôle qu’elle souhaite jouer dans les discussions avec l’État et le « partenariat programmé avec la France en 2053 » défendu par son parti.

Outremers360 : Vous avez été élue à la présidence du Congrès en août dernier. Comment est-ce que votre parti l'Éveil océanien, avec seulement trois élus, a réussi à convaincre l'ensemble des formations non-indépendantistes à se joindre à votre candidature ?

Veylma Falaeo : Tout d’abord il faut rappeler que depuis les élections provinciales de 2019, il n’existe pas de majorité au Congrès, nous avons 25 non-indépendantistes, 26 indépendantistes et 3 progressistes de L’Éveil Océanien. Par conséquent nous ne pouvons pas être dans l’opposition dès lors que nous sommes les faiseurs de majorité, a fortiori, parce que le pays a besoin de réformes structurantes (Ruamm, Enercal, TGC, CLR) pour éviter la banqueroute.

Nous avons essayé une majorité avec les partisans de la France, (XVIème Gouvernement de Thierry Santa), qui s’est soldée par un échec faute de majorité avec Calédonie Ensemble (aucune réforme adoptée). Nous avons essayé une majorité avec les partisans de l’Indépendance, (XVIIème Gouvernement de Louis Mapou) qui se solde aussi par un échec car la majorité au Gouvernement ne correspond plus à celle du Congrès, la déroute du Pacte Nickel en est la preuve.

Au sein de L’éveil Océanien, nous avons unanimement validé la décision de prendre acte de cette nouvelle majorité dans l’exécutif, bien aidés je dois dire, par les conséquences de la révolte du 13 mai, et de ne plus porter Roch Wamytan à la présidence. Cette décision n’a pas été facile, car cela impliquait de rendre la présidence de la commission permanente du congrès occupée par notre Président Milakulo Tukumuli, de rendre le poste de membre du gouvernement de Vaimu’a Muliava et donc de perdre notre conseiller à la province sud, Petelo Sao. Tels sont les sacrifices que notre mouvement nous a demandé de faire afin de retrouver notre indépendance pour le renouvellement du Congrès.

Mon élection à la présidence est le choix des non-indépendantistes et je dois dire qu’il résulte plus d’un rejet de la candidature de Roch Wamytan que d’une adhésion à la mienne. À nous désormais de démontrer que L’Éveil Océanien ne sera plus un choix par défaut et c’est ce que je compte faire. En outre, en tant que première femme présidant l’institution, c’est une responsabilité que j’ai acceptée avec fierté et honneur, en la dédiant à toutes les Calédoniennes.

Quels seront vos priorités en tant que présidente du Congrès calédonien ?

Je porte trois axes de travail dans un esprit d’adhésion et d’unité trans-partisane, interinstitutionnelle et citoyenne. L’axe 1 consiste à renforcer et dynamiser le congrès, première institution de notre pays, dans son organisation, ainsi que dans ses moyens, afin de le faire évoluer vers le Parlement de la Nouvelle-Calédonie. Nous cherchons à promouvoir le rayonnement de l’institution, impliquant une nouvelle proximité entre la population et les élus dans cette Maison des Calédoniens.

C’est dans cette perspective, qu’en ma qualité de présidente du congrès de la Nouvelle-Calédonie, je solliciterai le soutien et l’accompagnement du Sénat et de l’Assemblée nationale, lors de la venue prochaine de la Présidente Braun-Pivet et du Président Larcher, afin de renforcer la démocratie participative par la mise en place d'une assemblée citoyenne qui permettra d'intéresser directement les citoyens dans les processus décisionnels ; évaluer et améliorer les politiques publiques grâce à des mécanismes rigoureux d'analyse et de suivi, pour garantir leur pertinence, leur efficacité et leur ajustement. Une nouvelle structure y sera dédiée : la commission d’évaluation des politiques publiques.  Je leur proposerai la signature d’une lettre d’intention, pour leur soutien à ces projets, ainsi que l’actualisation de la convention de partenariat qui existe entre nos institutions depuis le 3 mai dernier.

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L’axe 2 veut renforcer la coordination avec l’exécutif calédonien dans l’amélioration de notre action publique. Mon cabinet est officiellement en charge du dialogue entre le Congrès et le Gouvernement. La volonté est d’assurer la fluidité des échanges et la coordination du travail législatif, ainsi que toutes les démarches transversales à nos institutions et aux collectivités. Les relations interparlementaires initiées par mon prédécesseur seront également renforcées, mais je compte en particulier accentuer nos relations avec la Polynésie, Wallis et Futuna via un projet que l’on porte dénommé OFO (Organisation Française de l’Océanie). L’objectif étant de nous rassembler afin de porter ensemble et d’une seule voix, nos espoirs communs et nos difficultés communes (Vie chère, réchauffement climatique, chômage...etc) devant la Nation et dans la région.

Les membres du bureau du Congrès, élus en août dernier, sont majoritairement des femmes

L’axe 3 porte sur l’avenir institutionnel. Depuis la dernière consultation, toutes les tentatives des gouvernements et du Président de la République pour dégager une solution politique se sont fracassées sur le rivage de la révolte du 13 mai. Je pense que la solution ne peut pas venir de Paris, ils peuvent seulement nous aider à y parvenir mais sans consensus local, nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de consensus national. Or le congrès regroupe toutes les forces politiques du pays, je vais donc proposer des espaces et des temps de discussions aux présidents de groupe afin de créer les conditions propices à la reprise du dialogue. Il faut se parler pour se comprendre. Les élections sont reportées au plus tard en novembre 2025, c’est notre dernière chance et nous devons réussir. 

Comment voyez-vous votre rôle dans les discussions à venir avec l'État ? Espérez-vous être conviée et entendue par le Premier ministre prochainement à Paris, à la fois en tant que présidente du Congrès et membre de l'Éveil océanien ?

D’abord, il y a la mission des présidents des deux chambres, du 11 au 13 novembre prochains en Nouvelle-Calédonie. Cette mission qui a pour priorité de « manifester l’attention entière du Parlement par [leur] présence [...] et d’être aux côtés des Calédoniens », est historique, en ce sens qu’il s’agit de la première fois que les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat viennent en même temps en Nouvelle-Calédonie. C’est dire l’importance aujourd’hui du dossier calédonien pour la représentation nationale, on ne peut que s’en satisfaire. 

Elle est attendue par tous avec beaucoup d’espoir car elle dénote d’une méthode qui a fait ses preuves dans l’Histoire calédonienne et son caractère « totalement indépendante et libre » rassure, je l’espère, les interlocuteurs les plus bloqués depuis. En tant que leur « vis-à-vis » calédonien, mon rôle sera d’accompagner les Présidents au maximum de leurs besoins pour cette mission, en leur mettant à disposition tout ce qui est de mon ressort, à commencer par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui sera donc mobilisé au maximum pour cela. 

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Mes différents axes de travail, notamment ce que je porte dans l’axe 1 pour la participation citoyenne, ainsi que l’évaluation des politiques et mon axe 3 avec les chefs de groupe, participeront à ce que je sois un soutien et une aide certaine aux Présidents, dans leur écoute, dans leur perception, ainsi que dans tous les travaux qu’ils souhaiteraient mener avec nous.

À l’issue de cette mission, je me rendrai prochainement à Paris, en tant que Présidente du congrès, pour rencontrer le Premier ministre, ainsi que le Président de la République et tous les interlocuteurs parlementaires et gouvernementaux nécessaires. Nous devons porter l’urgence calédonienne à tous les niveaux et collectivement. Je le ferai en rappelant l’urgence économique et sociale, l’indispensable aide financière circonstanciée et calibrée, ainsi que ce qui aura certainement émergé en termes de méthode de la mission parlementaire. Je porterai également les projets pour le congrès, afin d’obtenir du soutien financier et un accompagnement technique et humain.

L'urgence justement est à la reconstruction de l'archipel qui, déjà, était en grande difficulté économique avant les émeutes débutées le 13 mai. Est-ce que vous soutenez le plan S2R du gouvernement collégial ?

La Nouvelle-Calédonie entre inexorablement dans un cataclysme social sans précédent. La seule façon de s’en sortir est, je le rappelle, une aide financière circonstanciée et finement calibrée car nous en sommes conscients, en tant que mouvement réformateur, que des réformes de fond de nos politiques publiques, de nos institutions doivent être opérées pour transformer notre modèle de société à l’agonie.

Et nous l’avons prouvé à maintes reprises durant ces cinq dernières années, nous avons porté plusieurs réformes via notre membre du gouvernement et que nous avons portés ici au congrès, la réforme de la construction, notamment les normes et les assurances de la construction, la réforme de la fonction publique, la E-administration, l’innovation et la technologie, 2 plans d’urgence pour maintenir à flots la Caisse Locale des Retraites des fonctionnaires et la réforme du RUAMM, notre système de protection sociale calédonien, adoptée à l’unanimité et qui a fait ensuite l’objet d’une demande de seconde lecture par certains collègues ...

Pour toutes ces raisons, je considère que le plan 2024-2029 de la résolution adoptée par le Congrès le 28 août dernier et portée à Paris par la délégation transpartisane est indissociable du plan S2R du gouvernement car le temps que les réformes produisent les effets escomptés, il faut bien amortir le choc des effets immédiats de la crise du 13 mai. Oui, je le répète, il faut d’abord obtenir une aide circonstanciée et finement calibrée. Sans cela on ne pourra ni réformer, ni reprendre les discussions sur l’avenir institutionnel car ça sera la révolte sociale.

Votre parti, qui veut représenter la communauté wallisienne et futunienne de l'archipel, entretient une forme d'ambiguïté sur son positionnement pour ou contre l'indépendance. Comment voyez-vous l'avenir de l'archipel ? Ses relations avec la France, son économie, ses institutions ?

L’Éveil Océanien représente des Calédoniens de toutes origines et de tous horizons. Le positionnement du mouvement auquel j’appartiens, est clair, et ce, depuis le 3ème référendum, avec le « Non pas maintenant », c’est un partenariat programmé avec la France en 2053. La période de 30 ans dans la République est le respect des référendums qui n’ont pas accouché d’un oui, ainsi que le temps nécessaire à relever le pays et à le relancer vers un nouveau modèle, en assurant et consolidant avec la France notre sécurité et notre protection à tous les niveaux.

En somme, construire le partenariat sur les compétences régaliennes que sont la défense, la monnaie, la justice etc. C’est également le temps de réformer notre modèle institutionnel, économique, fiscal, social et culturel. C’est le temps d’autant plus nécessaire avec ce qui s’est passé le 13 mai dernier, à se regarder, se pardonner et faire peuple. C’est ainsi le temps de clore dans les meilleures conditions pour tous, la décolonisation. Les revendications politiques antagonistes indépendantistes et loyalistes n'auront plus lieu d’exister, laissant enfin place à de la politique des politiques publiques, de l’organisation de notre société avec la gauche, la droite, le centre et les extrêmes.

Enfin, au bout de cette période, pas de référendum oui ou non à l’indépendance, mais référendum pour un « oui partagé » à l’État calédonien en un tel partenariat avec la France. En somme, l’émergence du « Nous », du peuple calédonien.