INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : Le 3e référendum est l’ « occasion de faire le bilan (…) des transferts de compétences », selon Patrice Faure

INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : Le 3e référendum est l’ « occasion de faire le bilan (…) des transferts de compétences », selon Patrice Faure

Pass sanitaire, réouverture du ciel, visite ministérielle, référendum... Le Haut-commissaire revient sur les principaux sujets d’actualité et évoque l’après 12 décembre. L’interview, publiée par nos partenaires d’Actu.nc, a été réalisée quelques jours avant que le gouvernement calédonien annonce, ce jeudi, la mise en place du pass sanitaire dès lundi.

Actu.nc : Vous envisagez un allègement des mesures de confinement pour les personnes qui feraient des efforts. Vous entendez par-là les personnes vaccinées ?

Patrice Faure : Il serait juste et normal que celles et ceux qui se sont fait vacciner puissent bénéficier des dividendes de leurs efforts. La mise en place probable du pass sanitaire permettra à celles et ceux qui sont vaccinés d’accéder le jour venu aux cinémas, restaurants, centres culturels... alors que ceux qui ne le seront pas n’y auront pas accès.

Ce pass sanitaire sera-t-il rapidement opérationnel ?

C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités et décisions. En tout cas, nous avons pris un décret qui a rendu le pass sanitaire applicable ici sur le Territoire. Aucune raison juridique ne s’oppose désormais à sa mise en place. Maintenant, c’est aux autorités locales de demander son instauration.

Comment étudier l’évolution de la crise ?

Il y a 3 indicateurs pour suivre la crise. Tout d’abord le taux d’incidence, qui est le nombre de cas positifs pour 100 000 habitants sur 7 jours glissants. Certes, plus on teste, plus on trouve. Mais statistiquement, l’indicateur se tient. Il faut aussi prendre en compte le volume de personnes vaccinées (1ère, 2e et 3e dose), et enfin le nombre de morts, car in fine, ce qui compte c’est d’épargner des vies.

Le nombre de morts par jour et par semaine est un indicateur qui nous permet de voir où nous en sommes dans la prise en compte de cette maladie, dans son appropriation, dans la prévention, et dans le traitement dans la durée. Si on devait arrêter les efforts que nous faisons aujourd’hui, de manière instantanée, on est certain que le Covid repartirait car il circule. Comme 80 % de la population n’est pas vaccinée, on doit continuer à faire attention.

En même temps, grâce probablement au pass sanitaire, et à la diligence de celles et ceux qui sont vaccinés, qui portent le masque, assurent la distanciation et se lavent les mains, nous pourrons rouvrir progressivement l’accès aux commerces, aux plages... mais cela ne doit pas être une rupture, cela doit s’accompagner pour qu’on puisse monitorer l’évolution de l’épidémie dans le temps. Et je veux ici saluer l’ensemble des chefs de tribus, des aires et des maires, qui vont partout sur le terrain pour inciter leurs concitoyens à se faire vacciner. 

Autre question que se posent bon nombre de Calédoniens : la réouverture du ciel pourrait-elle intervenir avant le 31 décembre, maintenant que le variant delta est arrivé ?

J’y suis particulièrement favorable. Avant, le danger était à l’extérieur et il était normal que des mesures soient prises localement, parmi lesquelles la septaine et la quatorzaine en hôtel, et le filtrage à l’entrée avec des motifs impérieux. Pour autant, aujourd’hui, le danger est à l’intérieur, puisque le taux d’incidence en Nouvelle-Calédonie est bien supérieur à la moyenne nationale (la plupart des départements en métropole ont un taux inférieur à 50 voire à 40).

Le danger est chez nous, donc le risque est que nous exportions le virus en Métropole, mais en même temps la Métropole arrive à son immunité collective. De ce fait, je suis volontaire et déterminé à ce que nous puissions rapidement rouvrir le ciel pour donner un peu d’air à ceux qui veulent sortir et rentrer voir leur famille. Des mesures ont été prises : vaccination obligatoire pour venir ici ; vaccination et test obligatoires pour partir en métropole. L’ensemble des dispositifs juridiques et sanitaires sont en place pour que personne n’ait à craindre des allées et venues, dans un sens comme dans l’autre.

La septaine à domicile pourrait-elle être supprimée ?

Pour l’instant, la septaine est maintenue ; on verra avec le taux d’incidence s’il est possible de la supprimer. Cela a été le cas en métropole. Lorsque les Guyanais revenaient en métropole, ils avaient une septaine à domicile en arrivant. Cette mesure a rapidement été abandonnée lorsque le taux d’incidence est descendu en dessous de 150. Potentiellement, avec le gouvernement et la DASS, nous allons travailler sur des seuils à partir desquels des choses pourraient être mises en place. 

L’extension de l’état d’urgence sanitaire signifie l’élargissement des aides du fonds de solidarité (FSE) aux entreprises locales. Quand ses modalités seront-elles précisées ?

Avec l’extension de l’état d’urgence sanitaire et les nouveaux critères du FSE, de nouvelles aides vont être versées. A noter que pendant la période passée, 6 923 entreprises ont perçu une aide pour un montant total de 5 milliards de francs. Ce sont 19 000 aides qui ont été versées à l’issue du 2e confinement. La solidarité nationale joue en Nouvelle-Calédonie, comme cela a été le cas partout ailleurs où l’état d’urgence sanitaire avait été décrété. Il n’y a aucune raison pour que nous traitions différemment la Nouvelle-Calédonie de l’ensemble des autres territoires et départements métropolitains ou d’Outre-mer. Nous continuerons avec ce panel d’aides qui va être précisé dans les jours qui viennent.

L’exécutif a laissé entendre que la crise sanitaire allait coûter au bas mot 20 milliards de francs et qu’il faudrait probablement solliciter un nouveau prêt de l’État. L’État s’est-il déjà positionné sur le sujet ?

Nous avons reçu une partie des demandes et des chiffres pour lesquels nous avons demandé des compléments. Aujourd’hui, il est prématuré de dire ce que nous ferons car nous n’avons pas l’intégralité des éléments. Au titre de la solidarité nationale, l’État interviendra à la hauteur de ce qui sera défini en fonction des besoins exprimés. Nous le saurons bientôt, dès lors que nous aurons reçu et transmis les éléments au ministère.

Si le Oui l’emporte le 12 décembre, pourra-t-on encore compter sur l’aide de la France en cas de nouvelle vague épidémique ?

Si le Oui l’emporte le 12 décembre prochain, rien ne change au moins jusqu’au mois de juin 2023. Donc il n’y a aucune raison, même si une autre vague survient, pour que l’État ne soit pas aux côtés des Calédoniens qui seront encore français, au moins jusqu’au 30 juin 2023. Le 13, il ne se passera rien de plus que le 11 ou le 12. On continuera à travailler normalement. Nous serons dans une nouvelle perspective. Si le Oui l’emporte, on commencera à travailler avec celles et ceux qui ont souhaité ce Oui sur les nouvelles institutions et les nouveaux textes qu’ils veulent faire passer. De façon à ce que nous (l’État, ndlr) puissions, en miroir, construire et faire des propositions, pour organiser notre départ et notre désengagement du territoire sur les différents pans de la société, de l’économie, et sur l’ensemble des administrations. 

Et si le Non l’emporte ?

Si c’est le Non, nous nous lancerons dans un travail méticuleux afin de poursuivre la construction de la Nouvelle-Calédonie, de ses institutions, de ses compétences, et de la structuration de son économie. Afin que justement ce nouvel accord soit un nouveau départ. Et en s’appuyant sur ce qu’aura été l’expérience des trente dernières années et la mise en perspective de tout ce qui a été délégué, de façon à ce qu’on se dise franchement les choses. Il ne s’agit pas pour l’État de vouloir reprendre des compétences, mais de s’interroger sur l'efficacité de l’exercice des compétences. Pour que ce soit plus clair pour les Calédoniens, moins coûteux parfois, et plus efficace peut-être.

La date du 12 décembre reste-t-elle effective pour le 3e référendum ? 

Aujourd’hui, nous sommes dans la posture d’organiser le référendum le 12 décembre prochain. Nous y sommes préparés depuis de longs mois. Nos équipes sont totalement familiarisées avec l’ensemble des processus administratifs, fortes de l’expérience des deux premiers référendums. Sur la partie d’un renfort pour gérer l’ordre public, tout est en route. Les équipes ont été désignées et vaccinées, les avions ont été affrétés pour ne pas empêcher les Calédoniens de venir de Métropole ou d’ailleurs, etc. Nous avons réduit au strict minimum l’impact de l’arrivée de ces renforts sur la vie de la société.

Quel sera le programme du ministre de l’Outre-mer, présent du 5 au 19 octobre en Nouvelle-Calédonie ?

Son programme dépendra du statut sanitaire du territoire du moment. Plusieurs hypothèses sont en train d’être travaillées. Sa semaine de septaine intègrera des visios avec différents élus et partenaires institutionnels, afin qu’il puisse gagner du temps sur la deuxième phase, qui, si les conditions d’allègement de confinement se confirment, pourraient le laisser sortir pour aller saluer les équipes sanitaires et voir l’organisation des renforts. De quoi lui permettre de se faire sa propre idée de la situation, et en fonction, de proposer au Premier ministre le maintien ou pas de ce référendum.

La crise sanitaire et la campagne référendaire qui va être amputée de plusieurs semaines ne risquent-elles pas de remettre en cause la légitimité du scrutin ? 

Ce n’est pas à moi d’en juger. Cela fait 30 ans que le Territoire se prépare à des référendums, et à une indépendance ou pas. Une campagne est évidemment nécessaire, et on espère que la crise sanitaire va suffisamment décroître pour permettre son déroulement. Mais il serait hasardeux de dire que le référendum n’est pas légitime, alors même que les gens s’y préparent depuis 30 ans. Le 2e point, c’est que les élections municipales, départementales et régionales se sont tenues dans certaines régions ou départements avec des taux d’incidence au moins aussi importants que celui-ci. Et cela n’a pas remis en cause la légitimité de l’élection.

Des renforts supplémentaires sont-ils prévus pour ce 3e et dernier scrutin ? 

Il y aura des renforts supplémentaires. Non pas parce qu’on craint une crise complémentaire, mais car avec le Covid free et l’organisation des différents référendums, une bonne partie des forces de l’ordre, et pas que, n’ont pas pris de vacances. Donc inévitablement, des renforts supplémentaires vont permettre à certains de prendre du repos et d’envisager le début d’année dans d’excellentes conditions, avec des troupes reposées et qui connaissent parfaitement le terrain. De quoi aborder sereinement une nouvelle phase, qui sera celle de la campagne électorale des présidentielles puis des législatives, puis la préparation du prochain référendum de projet.

Au-delà du référendum et de la crise sanitaire, quels sont les sujets qui vous tiennent à cœur ?

Tout me tient à cœur, puisqu’il s’agit avec les autorités locales et les différentes institutions de faire en sorte que la Nouvelle-Calédonie transcende les difficultés qui sont les siennes aujourd’hui et parvienne à des réformes structurelles. Quelle que soit la mouvance à la tête du gouvernement - indépendantiste ou non indépendantiste -, il n’est pas sain et pas juste que nous soyons en permanence obligés de verser au gouvernement des subventions d’équilibre car l’équation ne fonctionne plus. On est au bout d’un système qui doit être réformé. Des réformes ont été étudiées et devront être mises en place afin que l’économie se structure et que l’ensemble du territoire puisse générer à la fois des impôts et des taxes, etc. et qu’il puisse se nourrir d’un fonctionnement devenu apaisé et efficient. 

Ce n’est pas totalement anormal, le territoire s’est construit en 30 ans avec différents accords. Le 3e référendum est sans doute la bonne occasion de faire le bilan à froid, sans animosité, des transferts de compétences. Ensuite, à nous de trouver ensemble des ressources supplémentaires s’il y en a besoin. A nous aussi de répondre à des attentes qui pourraient être exprimées sur le transfert de nouvelles compétences. Il s’agit d’imaginer l’avenir, sur la partie institutionnelle, mais aussi l’économie générale du territoire.

S’il y avait une méthode Patrice Faure, quelle serait-elle ?

Premièrement, je suis un serviteur de l’État, je suis au service du public, de tous les publics, en dehors de toute contingence politique. Deuxièmement, je me positionne dans une posture de transparence. Je n’ai aucune raison de cacher quoi que ce soit à mes interlocuteurs. Il vaut mieux dire les choses. Parfois, certains le prennent mal car ils n’ont pas l’habitude. Je suis franc, je suis direct et je suis transparent. En général, au début, ça grince un peu, mais au moins les gens savent où ils vont. Et je préfère dire les choses plutôt que de les subir. Et j’attends la même franchise. Je ne prends jamais mal quand on me reprend ou qu’on me donne une contrepartie qui n’est pas forcément celle que j’attendais. Cela permet de grandir, et si je me trompe, j’accepte mes erreurs. Pour autant, franchise, service et surtout transparence. 

Propos recueillis par Béryl Ziegler pour Actu.nc