C’est un documentaire exceptionnel et inédit qui sera diffusé jeudi 16 septembre sur la chaîne télévisée CALEDONIA. Fruit de six années de travail du réalisateur Geoffrey Lachassagne, le documentaire « Caledonia » revient sur les origines du nom Nouvelle-Calédonie, et l'histoire officielle selon laquelle le capitaine James Cook aurait baptisé le Pays d'après sa ressemblance avec l'Écosse. Mais qu’en est-il réellement ? Le réalisateur tente d’y répondre dans ce documentaire. En exclusivité, il a également accordé une interview à nos partenaires de CALEDONIA, avant la diffusion de ce document.
Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au nom de la Nouvelle-Calédonie ?
Geoffrey Lachassagne : Comme tout le monde, j’ai grandi avec une histoire de la Nouvelle-Calédonie qui commençait le 4 septembre 1774, lorsque l’explorateur James Cook « découvrit une grande île dans le Pacifique, et la nomma Nouvelle-Calédonie en raison de la ressemblance ses côtes avec celles de son Écosse natale ». Je dois avouer que je n’avais jamais pensé à la remettre en question, et même que je la trouvais touchante. Je suis né en Europe, mais j’ai passé mon adolescence dans le Pacifique. Le côté romantique, nostalgique de cette histoire faisait écho à mon propre parcours.
Et puis le temps des questions est venu... Comment peut-on encore commencer une histoire de l’île en 1774, alors que des gens y vivaient depuis 3000 ans ? Comment peut-on parler de « découverte » ? Et au fait, pourquoi ne cite-t-on jamais de source à propos de cette histoire de ressemblance ? Qu’est-ce que Cook a dit à ce propos, dans son journal ? Que signifiait pour lui le nom « Caledonia » ? C’est pour répondre à toutes ces questions que je me suis lancé dans cette aventure, sans me douter qu’elle durerait plusieurs années, et m’amènerait de Balade à Glasgow...
Vous avez donc refait le voyage de Cook, et vous avez aussi longé les côtes d'Ecosse. Finalement, il y a bien certaines ressemblances ?
Oui et non. On ne sait pas grand-chose du rapport de Cook à l’Écosse, sinon que son père en est originaire, et qu’il y ait allé une seule fois. C’était en 1757, sa première mission en tant que maître à bord, un moment important pour lui. On connait parfaitement son parcours, le long de la côte est, depuis Édimbourg jusqu’aux Shetland. Si la légende de la ressemblance était vraie, son souvenir ne pouvait venir que de ce voyage. Je l’ai donc refait et... tout ce que j’ai vu, c’était un paysage nordique, et des plaines rases à perte de vue. Rien à voir avec la Kanaky Nouvelle-Calédonie.
Mais j’ai aussi rencontré des historiens et spécialistes de Cook qui m’ont aidé à reconstruire le paysage intellectuel de l’époque. Pour eux, c’est une autre Écosse que Cook avait en tête : la Calédonie mythique, celle des tribus celtes résistant à l’Empire romain. Cook n’en disait rien dans son journal, mais en cherchant davantage, j’ai découvert que Georg Forster, un des naturalistes qui l’accompagnaient, justifiait le choix du nom par « la nature et les dispositions calédoniennes » du peuple et son pays. Il désignait ainsi le contraste entre une terre aride et une civilisation aussi complexe qu’accueillante. Et ça changeait tout !
Le choix du nom, plutôt qu’une référence nostalgique à des paysages, était un hommage à ses habitants. Il avait été donné en quittant Balade, et non en « découvrant » les côtes... Il fallait donc relire le journal de Cook à la lumière de ces révélations, ce que j’ai fait avec les gens de Balade. C’est grâce à eux que le journal a pris sens, parce qu’ils pouvaient me renseigner sur tout ce que Cook manquait, ou ne comprenait pas. Sans leur participation, sans le soutien de la chefferie Pouma et du clan Boaxiwi, ces recherches auraient été vaines.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué en plongeant dans le journal de James Cook et dans les autres écrits de l'époque ?
Ce qui revient le plus, c’est son admiration et sa gratitude pour l’accueil que lui font les gens de Balade. Il y revient sans cesse, et même s’il ne comprend pas à quel point il est pris en charge par la chefferie, il s’étonne que tout soit si parfaitement organisé autour de lui. L’agriculture l’impressionne aussi : les tarodières, billons et canalisations déclenchent chez lui des envolées lyriques dont il est peu coutumier. On est donc loin des tribus frustes et constamment en guerre que les explorateurs et missionnaires ont décrites plus tard, et que l’histoire officielle a préféré retenir.
En quoi la référence à la Calédonie antique est-elle intéressante pour revisiter les relations entre Kanak et Européens ?
C’est une question très ambiguë. D’un côté, cette référence est un hommage. Elle permet de revisiter l’histoire de la rencontre, et rappelle l’admiration que Cook a pu avoir pour ces gens qui l’accueillent. En même temps, projeter ses propres ancêtres sur d’autres revient à les vouer au passé : « Ils sont comme nous... mais moins évolués ». C’était l’esprit de l’époque, et cette façon de voir a sans doute aussi permis de justifier la colonisation. Le ver était dans le fruit.
« C'est la première phrase de notre histoire commune » qu'il faut réécrire... Quelle serait la bonne phrase finalement ?
C’est à tout un pays de décider ça ! Ce que l’histoire peut apporter, ce sont des faits, des fragments dont les gens d’aujourd’hui se saisiront, ou pas, pour donner un sens à leur présent, et une orientation à leur avenir. Ce que je peux dire, c’est que, à partir de 1853, la légende de la ressemblance des côtes a initié un récit historique qui faisait la part belle aux figures d’explorateurs et de pionniers, en reléguant les Kanak à l’arrière-plan. Si l’on veut rééquilibrer ce récit, passer de celui d’une découverte à celui d’une rencontre, on doit commencer par dire quelle était cette civilisation qui occupait l’île depuis des millénaires. Après, on pourra toujours raconter l’arrivée de Cook, l’accueil généreux et confiant qui lui est fait, et l’hommage qu’il a voulu rendre à cette civilisation en choisissant, faute d’avoir découvert le nom autochtone de l’île, celui de New Caledonia.
Diffusion : Jeudi 16 septembre à 19h25 sur CALEDONIA.
Rediffusion dimanche 19 septembre à 16h.