En 1953, La Monique disparaît entre Maré et Nouméa. À son bord, 126 personnes originaires des îles Loyautés et de la Grande Terre perdent la vie. Depuis 70 ans, l’épave reste introuvable. En cette année 2023, de nombreuses commémorations sont prévues en Nouvelle-Calédonie pour rendre hommage aux victimes et aux descendants des naufragés. Un Grand angle réalisé par Marion Durand.
22 juillet 1953, le caboteur La Monique quitte le port de Nouméa pour rejoindre les îles Loyautés. Il n’en reviendra jamais. Le dernier contact téléphonique établit avec le navire date du 31 juillet, jour de départ du port de Tadine, à Maré. Le capitaine, âgé de 26 ans, indique alors que « tout va bien à bord » et précise que « les conditions météo sont excellentes », se souvient Alain Le Bréüs, président du musée maritime de Nouvelle-Calédonie. Pourtant, lors d’une nuit de pleine lune, le bateau disparaît mystérieusement. À bord, 108 passagers et 18 membres d’équipage perdent la vie. L’épave du caboteur n’a jamais été retrouvée.
Célébrer pour ne pas oublier
70 ans après, les Calédoniens restent marqués par ce drame mystérieux. Pour célébrer ce triste anniversaire, des commémorations sont prévues sur l’ensemble du territoire durant plusieurs mois. « À partir du 22 juillet, de nombreuses rencontres et événements marqueront les 70 ans de la disparition de La Monique, détaille Mickaël Forrest, membre du gouvernement calédonien, en charge de la culture et des sports. Des commémorations ont lieu sur l’île de Maré depuis plusieurs années mais nous voulions porter l’événement à l’échelle du Pays ».
Deux stèles seront dévoilées pour rendre hommage aux victimes, l’une à Nouméa (baie de la Moselle) et une seconde sur l’île de Lifou. Une pièce de théâtre a été créée pour l’occasion et de nombreuses écoles, collèges et lycées prendront part aux commémorations. Une exposition photographique sera visible sur les grilles de l’Hôtel de ville et un timbre personnalisé, à l’effigie du navire, sera proposé par l’Office des postes et télécommunications de l’île.
Une mallette pédagogique, à destination des enseignants comme des élèves, est déjà disponible sur le site du vice-rectorat. Elle contient de nombreuses ressources (livres, coupures de presse, témoignages, etc.) pour permettre aux enseignants de travailler sur le sujet, encore absent des programmes scolaires.
« Nous voulons montrer que La Monique est toujours vivante », confie Mickaël Forrest qui voit dans ces commémorations le moyen « d’enclencher un travail mémoriel ».« C’est essentiel de favoriser notre histoire commune pour donner des perspectives aux jeunes générations. Ce naufrage abritait l’idée du destin commun puisque des Calédoniens de toutes origines ont péri ensemble. »
Si ce drame a autant marqué la population c’est aussi car il est à l’image de la société calédonienne des années 1950. « À bord, il y avait des gens de tous les âges, des familles entières, des habitants de la Grande Terre, des îles, de la brousse, des fonctionnaires, des opérateurs radio, une famille de gendarmes, une infirmière protestante, un javanais… Il y avait vraiment une population cosmopolite », décrit Alain Le Bréüs, auteur de l’ouvrage Destin tragique de La Monique.
Un mystère irrésolu
Les interrogations qui demeurent autour de ce naufrage ont, elles aussi, participé à rendre ce drame historique. De l’accident, seule une bouée a été retrouvée au large de l’île de Bélep. Des fûts d’essence et des sacs de coprah (chair séchée des noix de coco) ont été découverts un mois et demi après l’accident.
« Le 31 juillet, en Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas comme en métropole, on a froid. Les températures sont de 17 ou 18 degrés, alors en mer il fait froid. Tout ce qui était sur le pont du bateau était recouvert d’une grande bâche, les passagers se sont sans doute réfugiés dessous pour ne pas avoir froid. Ils ont dû se retrouver piégés. C’est la raison pour laquelle on n’a rien retrouvé en surface. Le bateau était très chargé, mal équilibré, il a suffi d’un peu de houle pour que le navire tombe comme une pierre au fond de l’eau », décrit avec précision le directeur du musée maritime.
Le navire, construit par l’US Navy en 1946 en Nouvelle-Zélande et racheté par un armateur calédonien, assurait le ravitaillement vers les îles. « À l’aller, il transportait de l’essence, de la viande, des produits de première nécessité comme la farine, le lait ou le thé. Au retour, le navire était chargé de sacs de coprah. Les voyageurs transportaient aussi de nombreuses denrées comme des fruits, des ignames », détaille Alain Le Bréüs avant d’ajouter : « Un pick-up a même été embarqué lors de cette liaison». Ce jour-là, La Monique était bien trop chargée, en hommes comme en marchandises.
À la recherche de l’épave disparue
Malgré les moyens mis en œuvre pour retrouver le navire, La Monique n’a jamais été localisée, laissant les descendants de naufragés et les Calédoniens sans réponse. L’association Fortunes de mer calédoniennes, présidée par Philippe Houdret n’a pas baissé les bras. Ses membres espèrent toujours retrouver l’épave qui a sombré au large du Canal de la Havannah. En 2011, une expédition de recherche a été organisée après avoir localisé une masse aux dimensions identiques à celles du navire. « On avait quadrillé un périmètre grâce aux fûts retrouvés et à l’étude des courants de cette nuit de juillet 1953 ». Les bénévoles ont loué un sonar australien et le bateau hydrographique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Grâce au navire-câblier « île de Ré », prêté gracieusement par son propriétaire, les membres de Fortunes de mers calédoniennes ont observé les fonds grâce à un petit robot sous-marin. « Malheureusement ces recherches ont été infructueuses mais nous avons la conviction que cette cible ressemble quand même à un bateau. On aimerait, si on avait les moyens, étudier à nouveau cette zone située entre 500 et 1 000 m de profondeur », poursuit Philippe Houdret. Un film et un livre ont découlé de ces recherches. « Même si on n’a pas retrouvé l’épave, c’était un succès car ça a permis de reparler d’une histoire que certains avaient oubliée, notamment les jeunes. »
Alain Le Bréüs rappelle tout de même que tous les descendants ne sont pas favorables à la reprise des recherches : « Nombreux sont ceux qui voudraient qu’on retrouve l’épave pour faire leur deuil mais il y en a aussi qui ne le souhaite pas car ils voient le bateau comme un mausolée sous-marin. »
Au lendemain de 1953, ce drame a profondément modifié les conditions de navigation sur l’île du Pacifique. « Ce naufrage a changé les choses, analyse-t-il. Une réglementation beaucoup plus stricte a été appliquée, les conditions d’embarquement étaient plus sévères, les marins ont été formés. Avant La Monique, il y avait beaucoup de laisser-aller ».
Marion Durand