Si les chiffres de l’économie bleue présentés par le cluster maritime ce mercredi sont encourageants, tous les acteurs, publics comme privés, s’accordent sur l’idée que le potentiel économique de la mer est encore largement sous-exploité en Polynésie. Formations, diplômes, règlementations, infrastructures ou investissement… Pour lever les freins au développement de la filière, les professionnels peuvent compter sur une « prise de conscience » des autorités locales et nationales. Les questions maritimes sont plus que jamais au cœur de la stratégie de développement économique. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Après trois ans sans forum, l’heure était aux retrouvailles ce matin, pour les membres du cluster maritime. Pêche, transports, recherche ou tourisme en mer, perliculture, nouvelles technologies ou protection de l’environnement… Professionnels, investisseurs, administrateurs ou bénévoles étaient rassemblés pour faire le point sur le développement de l’économie bleue en Polynésie.
Et huit ans après la création du cluster, les chiffres présentés dans ce septième forum sont plutôt encourageants : la filière, très diverse représenterait aujourd’hui près de 6 000 emplois, 1 000 de plus qu’en 2014, 10% du chiffre d’affaires des entreprises polynésiennes, et 75% de ses exportations. Et pourtant, sur scène, les représentants de l’État, du Pays ou des entreprises se succèdent pour rappeler que le potentiel économique maritime Polynésie, composée « à 99% de mer », était « largement sous-exploité ».
L’économie bleue « dans toutes les feuilles de route »
Un constat déjà entendu par le passé. Mais la nouveauté de ces dernières années, c’est la « prise de conscience généralisée » de ce potentiel. « On le voit dans toutes les feuilles de route de la Polynésie française, dans le code de l’environnement, dans le schéma d’aménagement général, dans la stratégie de l’innovation, le maritime a une place essentielle » pointe ainsi Mailee Faugerat, vice-présidente du cluster.
« Dans le transport, dans l’énergie, dans les ressources, comment on mange, comment on s’éclaire, comment on se déplace d’une île à une autre, bien sûr que le maritime a un rôle à jouer dans tout ça », complète le coordinateur de l’organisme, Stéphane Renard. « On n’a pas beaucoup misé sur le maritime pendant les 40 dernières années, il faut un rééquilibrage et c’est ça qui est en train de se produire ». L’objectif du cluster est justement de faire « converger les regards et les énergies » pour avancer dans la mise en valeur de nos espaces maritimes, « pas après pas ». Et certains pas sont « plus compliqués que d’autres », précise le spécialiste.
Parmi les intervenants ce matin, beaucoup pointent des obstacles encore importants au développement de l’économie bleue. Les cadres réglementaires, qui ont « beaucoup évolué ces dernières années », mais qui restent « contraignants » pour l’essor de certaines activités, notamment dans les îles. Ou le manque de formation sur certains métiers de la mer : le « campus » créé il y a quelques semaines devrait aider et le Haut-commissaire Éric Spitz a annoncé le renforcement de l’offre locale sur des qualifications spécialisées.
Formation, diplôme, infrastructures…
Mais c’est surtout la rigidité des exigences de diplômes dans ces métiers qui pèse sur la filière. Il s’agit là d’une compétence de l’État, qui exige, d’après plusieurs acteurs, des titres et diplômes « non adaptés à la réalité polynésienne » pour exercer dans les secteurs du transport ou du tourisme maritime par exemple. Un « vrai frein » pour attirer des jeunes dans la filière, pointe Stéphane Renard qui attire aussi l’attention sur certaines lacunes en matière d’investissement et d’infrastructures.
Le cluster maritime n’en est pas à sa première alerte sur la question, pointant notamment vers le besoin « urgent » d’un dock flottant capable d’accueillir les navires de plus de 3 000 tonnes. Si certains misaient sur l’armée pour changer son dock, utilisé depuis longtemps – « et c’est une réelle chance » – par le civil dans le port de Papeete, les espoirs sont peu à peu tombés à l’eau. « Le Pays doit se doter d’un moyen de levage civil, pour renouveler les flottes, avoir les marins qui vont avec, réduire les impacts des navires, être plus performant économiquement, mieux desservir les îles », insiste le coordinateur du cluster. Des travaux sont lancés sur le sujet par le gouvernement et le port autonome, sans calendrier pour le moment.
Des projets à faire avancer, donc, et de l’attention pour l’Économie bleue Polynésienne. Alexandre Luczkiewicz, responsable Outre-mer du Cluster maritime français le rappelle : la zone économique exclusive de Polynésie constitue presque la moitié de la ZEE nationale. Un fait qui n’échappe à personne à Paris, où les questions maritimes sont de plus en plus valorisées. « Il y a une vraie prise de conscience à différents niveaux : au gouvernement, où on retrouve la mer dans tous les ministères, et du côté du président de la République, qui s’est rendu deux années consécutives à nos Assises de l’économie de la mer, pour échanger avec les participants sur la stratégie maritime nationale », détaille le responsable.
Comme Emmanuel Macron lors de sa visite en Polynésie en juillet, il interpelle sur un autre défi de la Collectivité, la connaissance de ses espaces maritimes : état des stocks halieutiques, du patrimoine génétique, ressources énergétiques, topographie des fonds marins, cite-t-il. « On exploitera bien si on connait bien, si on comprend et si on est capable de mieux préserver parce qu’on aura compris comment cela fonctionne ». La matinée de discussion doit faire l’objet d’une restitution ce jeudi après-midi, et aboutir à des propositions et recommandations pour une « nouvelle feuille de route maritime pour la Polynésie française ».
Pas question, ensuite, d’attendre l’année prochaine pour remettre le sujet de l’économie Bleue sur la table. D’abord parce que le travail continue entre le cluster et les autorités du Pays et de l’État. Ensuite parce que le nouveau secrétaire général de la mer, l’ancien préfet de Paris Didier Lallemand est attendu en Polynésie en janvier, avec une délégation du cluster national pour mener des discussions sur le sujet. Enfin parce qu’un One Planet Summit dédié aux questions insulaires doit être organisé au deuxième semestre 2023 à Tahiti, en amont de la Conférence des Nations-Unies pour les Océans. Un calendrier très bleu pour 2023.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti