Essais nucléaires en Polynésie : Il y a 60 ans, le 11 janvier 1963, était implanté le Centre d’expérimentation du Pacifique

Vue du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) en activité ©FranceTNP

Essais nucléaires en Polynésie : Il y a 60 ans, le 11 janvier 1963, était implanté le Centre d’expérimentation du Pacifique

Il y a 60 ans, le 11 janvier 1963, l’État décidait de transférer les sites d’essais nucléaires français en Polynésie, en remplacement de ceux du Sahara. La rumeur était latente mais c’est en janvier 1963 que le général de Gaulle annonce officiellement aux élus polynésiens le choix d’y implanter le Centre d’Expérimentation du Pacifique. Retour sur ce tournant dans l’histoire du Pays avec notre partenaire TNTV.

Un général tout puissant, une crise économique qui se profile et une forte poussée démographique. Difficile au début de l’année 1963 de s’opposer au lancement du chantier du CEP pour relancer l’activité du territoire. Une délégation polynésienne en déplacement à Paris rencontre le général de Gaulle. Dans un discours, le président de la République de l’époque leur annonce que la Polynésie française accueillera désormais le site d’expérimentation nucléaire. 

« Ce qui était curieux, c’est que les hommes politiques qui étaient présents dans le bureau du général de Gaulle et qui ont entendu, le 3 janvier, cette annonce, certains d’entre-eux ont fait comme si ce n’était pas tout à fait ça », explique l’historien Jean-Marc Regnault. Dans les années 60, les élus avaient-ils pris la mesure du bouleversement qu’engendrerait cette implantation ? 

Les opposants au nucléaire ont peu de marge de manœuvre. A cette époque, prôner l’indépendance constituait un délit. Les partis politiques militant pour celle-ci risquaient d’être dissous*. Et l’économie du territoire étant fragile, l’installation du CEP ne suscite pas vraiment de résistance localement. « Quelques personnalités ont protesté, notamment Jacques-Denis Drollet ou Gérald Coppenrath. Mais lorsque de Gaulle a dit : ‘j’ai besoin de ça pour la défense de la France et qu’elle retrouve sa grandeur’, ils ont dit : ‘si c’est pour la grandeur de la France, on s’incline », précise Jean-Marc Regnault.

« J’ai rencontré énormément d’anciens qui regrettent d’y avoir participé »

« Il ne faut pas oublier que de Gaulle, à cette époque-là, il était acclamé comme le libérateur de la deuxième Guerre Mondiale », complète Père Auguste, le président de l’association 193, « il y avait encore une emprise sur la conscience collective ». Les essais américains dans le Pacifique font craindre à la même époque des conséquences sanitaires. Des voix s’élèvent alors à l’international. Mais l’assemblée territoriale ne s’oppose pas à cet imposant chantier. Une certaine ambiguïté plane tout de même.

« On en entendait parler, notamment par le biais des pasteurs de l’Église Protestante mais comprendre l’impact réel de ces essais, savoir quelles seront les conséquences, très peu de voix se sont levées à ce moment-là si ce n’est celle de John Teariki, quand on repense à son discours », se souvient Père Auguste. « À l’époque de John Teariki, cela ne l’intéresse pas trop mais son beau-frère, Henri Bouvier, est très hostile au nucléaire et il lui dit : ‘puisque tu es député, achète-moi à Paris tel ou tel livre’. Donc John Teariki les achète et il rentre avec mais, il l’a dit par la suite : ‘je n’étais pas convaincu’. Henri Bouvier lui a lu les passages essentiels et, là, il est devenu un adversaire du CEP, mais trop tard », tempère Jean-Marc Regnault. 

60 ans plus tard, le sujet des essais nucléaires en Polynésie demeure des plus sensibles. Certaines questions restent en suspens, en premier lieu leurs conséquences environnementales et sur la santé des populations. « J’ai compris ce côté très confus dans l’esprit de nos parents ou des anciens qui ont participé à l’œuvre du CEP, ou du CEA, comme une certaine culpabilité par la suite (…) J’ai rencontré énormément d’anciens qui, d’une certaine manière, regrettent amèrement d’y avoir participé », souligne Père Auguste. 

Avec l’ouverture des archives, il est important pour Jean Marc Regnault de déterminer avec précision ce qui a été décidé il y a plus d’un demi-siècle et dans quel contexte.  Car l’historien estime que la Polynésie doit connaître au mieux son passé pour pouvoir relever les défis qui l’attendent.  

T. Chabrol et M. Teato pour TNTV

 

*En 1958, le « Metua » Pouvanaa a Oopa, considéré comme le père du nationalisme tahitien et fondateur du Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (RDPT), prône le « non » au maintien de la Polynésie au sein de la République.

Premier échec électoral pour celui qui milita pour les premières émancipations politiques de la Polynésie en devenant notamment le premier vice-président du gouvernement, Pouvanaa a Oopa est arrêté le lendemain du référendum, accusé à tort d’avoir voulu incendier la ville de Papeete. 

Pouvanaa a Oopa est condamné à la prison et à l’exil dans l’Hexagone en 1959, et l’État va par la suite s’atteler à reprendre la main sur ce territoire, notamment dans le cadre de l’implantation du CEP, en interdisant, entre autres, toute velléité indépendantiste ou émancipatrice. Ce n’est finalement qu’en 1977 que la Polynésie obtient son premier statut d’autonomie.

En 2018, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation décharge la mémoire du « Metua », le rendant finalement innocent, et après plusieurs années de procédures judiciaires, des crimes dont il avait été condamné en 1959.