Le Tavini huira’atira, parti indépendantiste de Polynésie, prépare son congrès annuel qui aura lieu ce samedi et qui doit constituer un « tournant ». Hormis les discussions sur les municipales ou sur le bilan des deux années de pouvoir du parti, il s’agira d’accélérer le pas dans le projet indépendantiste, notamment en présentant « l’armature » d’un projet de constitution qui pourra être défendu lors d’un processus d’autodétermination. Certains choix sont déjà actés : un État fédéral, avec une assemblée et des compétences propres par archipel. D’autres restent à débattre, sur la question de la laïcité notamment. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
« On n’y est pas encore, mais on touche au but ». C’est ce que dit Oscar Temaru de l’avancée du combat pour la pleine souveraineté, mené depuis bientôt 40 ans par le Tavini huira’atira. Un combat qui doit, en plus d’être réaffirmé, prendre un nouveau « tournant » ce samedi lors du Congrès annuel du parti au motu Ovini de Faa’a, commune la plus peuplée du territoire et fief historique des indépendantistes « bleu-ciel ». Cette réunion d’une journée doit à la fois servir à « renforcer la cohésion » des militants à un an des municipales, « consolider les fondations » du mouvement, et préciser la vision d’avenir du parti indépendantiste.
« Mises à niveau », « explications », et « perspectives d’action »
Deux ans après le retour des bleu ciel aux affaires -pour un premier exercice du pouvoir « entier » et sans coalition-, le parti ne peut bien sûr pas s’épargner un bilan. Un « point d’étape important », précise le président de l’Assemblée territoriale Tony Géros, également maire de Paea, qui partagera pour cela la tribune avec le président du Pays Moetai Brotherson.
Sans surprise, le premier dément toute forme de rivalité avec le second, malgré plusieurs sujets d’accroche entre exécutif et législatif ces derniers mois. Le congrès doit justement être l’occasion d’afficher une unité face à des militants qui ont matière à s’interroger sur le leadership du parti, toujours présidé par Oscar Temaru. « On va leur demander de ne pas s’égarer », explique Tony Géros, vice-président du parti, qui parle « d’une mise à niveau sur certains objectifs qui ont pu être mal compris » et « d’explications » sur les retards dans l’application du programme de 2023.
Mais l’objet de ce congrès, c’est surtout « d’avancer » dans le projet indépendantiste, d’accélérer, même. D’abord en donnant des « perspectives d’action » sur le sujet de la souveraineté. Après la résolution sur le droit du président de l’Assemblée à tester en justice -renvoyé par le Haut-commissariat devant le Conseil d’État-, le texte demandant officiellement à l’État d’ouvrir des discussions dans le cadre onusien, ou les travaux de la commission de décolonisation, toujours boudée par l’opposition, les élus de la majorité auraient de nouveaux leviers d’action à présenter.
Des assemblées dans chaque archipel
Quant au bureau exécutif, il dégainera un document attendu depuis plusieurs années : le projet de constitution de la « République fédérale de Ma’ohi Nui ». Ce projet, c’est celui qui doit être défendu par le Tavini dans un éventuel débat d’autodétermination : « le Tapura (parti autonomiste d’Édouard Fritch, ndlr) ou les autres auront leur vision de la façon dont les choses doivent évoluer, nous ça sera la nôtre » confirme Tony Géros, qui précise que « l’armature », « l’ossature » du texte est désormais écrite.
Pas question de divulgâcher les grands axes de cette constitution, si ce n’est un choix majeur inscrit dans son titre. Le choix d’une forme fédérale -comme les États-Unis, l’Australie, la Russie ou l’Allemagne, où des états régionaux -plutôt qu’un état unitaire comme la France, la Nouvelle-Zélande, la Chine ou la plupart des états insulaires du Pacifique.
L’idée est bien sûr de pouvoir proposer aux archipels -les Marquises, très demandeuses d’autonomie, mais pas seulement- de disposer de leurs propres compétences et leur propre assemblée dans la nouvelle république qui serait créée. « Nous avons pensé que la constitution de plusieurs états fédérés avec un état fédéral correspond plus à l’opinion politique publique d’aujourd’hui », reprend le président de l’Assemblée. Le modèle est d’ailleurs déjà existant en France, à travers la Nouvelle-Calédonie qui, avec ses trois provinces dotées de compétences, a mis une dose de fédéralisme dans la Constitution.
Une république chrétienne ou laïque ?
Pour le reste, le Tavini promet du « classique ». « Une constitution, ça ne répond pas à toutes les questions, et quand vous regardez les constitutions des pays qui nous entourent, elles se ressemblent toutes un peu », explique le maire de Paea, qui précise que certains choix fondamentaux restent encore à arbitrer.
« C’est notamment la laïcité de la République qu’on souhaiterait mettre en place », détaille l’élu, qui avait tenu à accrocher à crucifix dans l’enceinte de l’Assemblée lors de sa première présidence de l’institution (un écho au premier mandat indépendantiste de 2004, où le parti avait suscité la polémique en accrochant un crucifix dans l’hémicycle territorial, ndlr). « Est-ce qu’on maintient cette laïcité, ou est-ce qu’on va apparenter notre Constitution à celle des pays de la région, qui eux n’ont absolument pas retenu la laïcité… Voilà par exemple un sujet qui, tant que l’on ne s’y est pas penché, ne sera pas précisé dans le projet de constitution ».
Du débat à venir au motu Ovini, donc. Ce congrès annuel n’aura pas, en revanche, à réétudier une position importante du Tavini huira’atira : son attachement à un processus de décolonisation sous l’égide de l’ONU. Une doctrine bien ancrée, notamment depuis la réinscription sur la liste des pays non-autonomes en 2013.
Mais le sujet avait été remis en débat en fin d’année dernière, après une nouvelle commission de décolonisation des Nations-Unies sans avancée notable de la position française sur le dossier polynésien. Tony Géros avait alors affirmé que si l’impasse se confirmait et l’organisation internationale n’était pas capable de mettre la pression sur Paris pour entamer des discussions, le Tavini huira’atira pourrait « arrêter de discuter » et adopter une ligne « beaucoup plus ferme », après validation par les militants.
Une sortie qui n’était pas sans rappeler celle de Moetai Brotherson qui avait pris l’exemple, quelques semaines plus tôt, des violences calédoniennes pour appeler la France et les autres nations à ne pas « sous-estimer la détermination de ceux qui aspirent à la souveraineté lorsqu’ils sont confrontés à un cul-de-sac politique ». La question a finalement été tranchée lors du séminaire du Tavini huira’aitra début février : le parti maintient son exigence d’un processus « démocratique, non-violent et en conformité avec les principes de l’ONU et des textes internationaux en matière d’autodétermination et de droits de l’homme ».
Les bleu ciel attendent toujours des Nations-Unies et de leur Quatrième commission une hausse de ton contre la France, mais, sur conseil de certains membres, ils tentent avant tout d’explorer toutes les voies à leur disposition localement, afin de pouvoir faire état d’un blocage au niveau international. C’était d’ailleurs le sens des deux résolutions adoptées en décembre. Et celui d’autres actions, du côté de l’Assemblée territoriale, qui doivent se dessiner samedi.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti