En Nouvelle-Calédonie, une commémoration des 40 ans de la tuerie de Hienghène brûlante d'actualité

©Sénat coutumier

En Nouvelle-Calédonie, une commémoration des 40 ans de la tuerie de Hienghène brûlante d'actualité

Les camionnettes criblées de balles sont restées, devant lesquelles des jeunes se prennent en photo. La tribu de Tiendanite commémorait jeudi le massacre de 10 militants kanak le 5 décembre 1984 dans une embuscade à Hienghène, en Nouvelle-Calédonie, un drame qui trouve un écho particulier après la crise qui a éclaté mi-mai.

La quiétude de la petite tribu d'une centaine d'âmes, nichée au cœur de la luxuriante vallée de la Hienghène, dans le nord-est de la Grande-Terre, est bousculée par les voix des personnes venues par dizaines de tout l'archipel pour commémorer les 40 ans de cette tragédie, que les familles tiennent à transmettre pour éviter de répéter les erreurs du passé.

La mort des « Dix », dont deux frères du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou, tués à coups de fusil dans un guet-apens tendu par des anti-indépendantistes après des semaines de troubles, avait failli faire basculer la Nouvelle-Calédonie dans une véritable guerre civile. Les dix hommes faisaient partie d'un groupe de 17 militants de la tribu de Tiendanite revenant d'une réunion politique au village de Hienghène.

Ils avaient eu pour consigne de Jean-Marie Tjibaou, à la tête d'un « gouvernement provisoire de Kanaky » depuis le 1er décembre, de lever l'ensemble des barrages dressés depuis la décision des indépendantistes d'un boycott actif des élections territoriales du 18 novembre précédent. Le leader du FLNKS, retenu à Nouméa, s'apprêtait à négocier avec le tout nouveau haut-commissaire de la République Edgard Pisani.

Quelques minutes seulement après leur départ, les deux camionnettes des indépendantistes sont immobilisées par des troncs de cocotiers qui barrent la route sur le site de Waan Yaat. Une explosion marque aussitôt le début du massacre de 10 des passagers. Près de 300 coups de feu seront recensés par les autorités judiciaires.

C'est cette histoire qui « ne s'oublie pas », confie Vianney Tjibaou, l'un des trois rescapés encore en vie, qu'est venue commémorer la foule. Après une messe dans la petite chapelle bondée, Pascal Tjibaou, l'un des quatre fils de Jean-Marie (assassiné à son tour en mai 1989 par un indépendantiste radicalisé), nomme un à un les « Dix » de Hienghène.

« Déni de justice »

Puis sur le lieu même du massacre, entouré notamment de scolaires de la région, de jeunes des quartiers de Nouméa, Pascal Tjibaou rappelle le déroulement des faits et montre la maison d'un des principaux accusés, à seulement quelques mètres en surplomb de la route.

Un neveu des « papas » qui ira identifier les corps le lendemain, témoigne pudiquement : « Ce qu'on a fait là, on ne le fait même pas à des cerfs ». Emmanuel Tjibaou, un autre fils de l'ex-leader indépendantiste, engagé en politique et devenu député puis président de l'Union calédonienne, rappelle que des blessés ont été achevés, des cadavres mutilés.

La tuerie mais aussi son traitement judiciaire restent traumatisants pour la tribu. Le juge d'instruction avait prononcé un non-lieu à l'encontre des sept meurtriers, estimant qu'ils avaient agi en état de légitime défense par anticipation. Cette décision infirmée, un procès est ordonné. 

Il se tient non pas dans le palais de justice, détruit à l'explosif par des anti-indépendantistes, mais dans une salle de spectacle et débouche sur l'acquittement des sept hommes par un jury composé uniquement d'Européens, confirmant une légitime défense par anticipation, sous les bravos du public et des cris de « Vive la France ».

« On a oublié le déni de justice qui s'est passé ce jour-là », lance Emmanuel Tjibaou, alors que de nombreux Kanak nourrissent une profonde défiance à l'égard d'une justice qu'ils jugent toujours partiale. Figure de la politique calédonienne aujourd'hui en retrait et considéré comme un sage, Taïeb Aïfa tenait tout particulièrement à être présent à la commémoration. « Quand je viens là, j'honore les morts. Ces morts, ils sont Kanak mais ces morts, ils m'appartiennent aussi, c'est ma famille ».

La commémoration de ce drame est « notre héritage à nous les victimes mais aussi aux assassins », insiste Emmanuel Tjibaou. Raison qui a poussé les clans à conserver les carcasses rouillées des deux camionnettes et, il y a dix ans, à construire une salle où est racontée l'histoire et un abri pour préserver « ces preuves matérielles », « patrimoine du pays » destiné à « nourrir les gens ».

Avec AFP