Près de 18% des adultes de Nouvelle-Calédonie sont en situation d'illettrisme, selon la dernière étude de référence. Associations, institutions et formateurs alertent sur l'urgence d'agir, dénonçant un manque de moyens pour enrayer ce qu'ils qualifient de "handicap social".
Marie-Renée, 52 ans, a grandi en parlant le xârâcùù, une des 28 langues kanak, loin du français et de ses codes. Dyslexique, elle vit une scolarité chaotique, entre violences familiales et incompréhension d'un enseignant peu attentif à ses troubles. "J'avais honte. Je cachais bien mon jeu. Personne ne savait que je ne savais pas lire", confie-t-elle. Elle s'en sort grâce à des soutiens discrets et une volonté farouche, mais garde ce secret pendant des années, y compris vis-à-vis de ses enfants.
Le déclic vient de son père qui lui offre une Bible. Elle la garde toujours près d'elle et s'en sert pour reprendre l'apprentissage de la lecture. C'est aussi lui qui l'encourage à se rendre à la Croix-Rouge, il y a une dizaine d'années. Elle y rencontre Odile Réquillart, la référente illettrisme de l'ONG, qu'elle appelle affectueusement "Mam" et qui l’accompagne patiemment.
La bénévole, aujourd'hui à la retraite, a contribué à créer un programme spécifique, portée par un "sentiment profond d'injustice face au manque de liberté lié à l'illettrisme, au non-accès à la littérature et aux savoirs universels", dit-elle à l'AFP.
La Croix-Rouge reste aujourd'hui quasiment la seule structure de l'archipel à proposer un accompagnement dédié, alors que les besoins sont immenses. C'est pour y répondre que le Collectif Illettrisme NC s'est structuré.
Lancé officiellement la semaine dernière, à l'occasion des Journées nationales d'action contre l'illettrisme, il regroupe une quarantaine d'organisations et milite pour la mise en place d'un parcours allant du repérage à l'accompagnement des personnes en difficulté, en passant par la formation des acteurs.
"Remplir un formulaire, lire un panneau de signalisation, se repérer dans le temps : pour ces personnes, tout est une épreuve. L'illettrisme, c'est un handicap social", explique Anthony Dumont, coordinateur du dispositif public Ecole de la réussite dans la province Sud, qui a intégré le collectif.
Crédits supprimés
Contrairement aux idées reçues, il ne touche pas uniquement les chômeurs. "55% des personnes en situation d'illettrisme travaillent. On les croise tous les jours en entreprise", souligne le Collectif Illettrisme NC.
Encore faut-il que les concernés franchissent le pas. Beaucoup sont repérés par des assistantes sociales ou des conseillers emploi, mais peu osent ensuite pousser la porte des structures. "Les gens ont honte, ils se cachent. Sans accompagnement de confiance, ils n'osent pas venir", explique Odile Réquillart. L'ONG peine aussi à recruter suffisamment de bénévoles pour assurer un suivi individuel, ce qui limite ses capacités.
Jusqu'à récemment, certains dispositifs publics permettaient des parcours d'accompagnement de neuf mois. Mais les crédits ont été supprimés et remplacés par des modules de deux à trois mois, jugés inefficaces.
"On n'apprend pas à lire et écrire en si peu de temps", regrette une membre du collectif, qui souhaite garder l'anonymat. Dans les institutions aussi, les postes disparaissent: la coordinatrice illettrisme du vice-rectorat, partie à la retraite, n'a pas été remplacée.
Aujourd'hui, la plupart des actions tiennent grâce au bénévolat. La Nouvelle-Calédonie, exsangue depuis les émeutes de mai 2024, manque de moyens mais aussi, selon les acteurs du réseau, de volonté politique. "Il y a des discours mais derrière, rien ne suit", regrettent les membres du réseau.
C'est pour sortir de ce fonctionnement dispersé que le Collectif Illettrisme NC s'est structuré. "Il faut une chaîne cohérente pour que personne ne tombe à travers les mailles", résument ces membres.
Mais l'archipel reste sans stratégie globale. "La dernière enquête date de 2013. Il nous faut des données actualisées", plaide une autre formatrice. En comparaison, le taux d'illettrisme dans l'Hexagone était de 4% en 2022, selon l'Insee, grâce notamment à des dispositifs renforcés de prévention et de formation continue.
"Maintenant que je sais lire et écrire, je suis fière. Je n'ai plus honte", dit pour sa part Marie-Renée, qui a participé à la rédaction d'un livre récemment publié par la Croix-Rouge. "J'aide mes petits-enfants à lire, à écrire. Et j'apprends encore avec eux".
Avec AFP