Outremers 360 vous propose son format «Regards d’actu avec …». Une série dans laquelle nos invités livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Pour ce nouvel épisode de l'année 2024, nous donnons la parole à Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion. Audrey Bélim revient sur son engagement en politique, son mandat de plus jeune sénatrice de La Réunion, et les différents dossiers qu’elle porte.
Des études de notariat à l’engagement politique
Après une licence en droit à l’Université de La Réunion, Audrey Bélim s’envole pour Lyon pour poursuivre des études notariales. Elle se spécialise dans les voies d'exécution, le droit du travail et la fiscalité directe pour pouvoir devenir juriste d’entreprise. Fraîchement diplômée et jeune maman, Audrey Bélim décide de rentrer à La Réunion. « Avec la crise économique, les années fastes du notariat ont été révolues. Je voyais de nombreux amis se faire débaucher d’entreprises. J’avais décidé d’étendre mes compétences pour pouvoir travailler dans les entreprises, les collectivités». La sénatrice connaîtra trois années de chômage. Lassée de cette situation, elle s’intéresse davantage aux actualités, à la politique. « Nous sommes à l’époque où François Hollande développe un certain nombre de dispositifs en faveur de la jeunesse comme la garantie jeunes. Poussée par ma famille, j’assiste à une réunion publique du maire Gilbert Annette, en pleine campagne pour les élections municipales, défendant les mesures de François Hollande. Je l’ai interpellé sur ma situation. Bac+ 5 en poche, au chômage avec une bouche à nourrir et la volonté de vouloir travailler à La Réunion, je n’entrais dans aucun des dispositifs mis en place».
Si Audrey Bélim n’avait pas eu de réponse de Gilbert Annette, ce dernier lui avait conseillé en aparté à l’issue de cette réunion publique de s’engager politiquement. Un conseil qu’Audrey Bélim garde précieusement en tête. Ensuite, responsable contentieux dans un cabinet de défiscalisation, Audrey Bélim tombe sur une offre de permanent federal du Parti socialiste de La Réunion. « J’ai quitté mon CDI dans mon cabinet de défiscalisation car je m’ennuyais et j’ai tenté ma chance en postulant à cette offre. Et puis après, Monique Orphée alors députée, recherchait un assistant parlementaire, je me suis dit que je vais faire assistante parlementaire».
Depuis ce conseil de Gilbert Annette, Audrey Bélim va gravir les étapes une à une. « J’ai commencé la politique à 25 ans. En douze ans, je suis passée par toutes les étapes : la curiosité, la sympathisante, la militante, l'élue. Au Parti socialiste, on nous avait vraiment fait travailler, fait découvrir ce que c'était que la politique, de mettre la main dans le cambouis, d'aller sur le terrain, de faire du porte à porte, puis d'échanger, de débattre et de confronter les idées.».
Audrey Bélim occupera successivement plusieurs fonctions : conseillère municipale, conseillère intercommunautaire à La CINOR, conseillère départementale.
Développer l’hyper-proximité
Autant de fonctions locales qui permettent à cette Dionysienne d’acquérir une expérience du terrain et de développer le concept d’hyper-proximité. « Saint-Denis est la plus grande ville des Outre-mer, découpée en plusieurs secteurs. Quand nous sommes élus de territoire, il faut connaître le poumon. Les quartiers du Chaudron à Mafia 2, de Mafia 2 à Bois de Nèfles : la population, les besoins, les attentes sont complètement différentes. Pour connaître ce dont le territoire a besoin, il fallait parler avec les gens, rencontrer ces personnes ressources du territoire. A partir de ces échanges et idées, en accomplissant mon rôle de conseillère municipale, nous pouvons nous assurer du bon déroulement des politiques publiques mises en place par la municipalité de Saint-Denis dans le territoire. L’hyper proximité est importante dans la politique de tous les jours, et même en tant que sénatrice. Je pense que cette hyper-proximité a pesé dans la balance concernant ma candidature, étant avant tout une élue de proximité. Dans le cadre des sénatoriales avec mes collègues élus locaux, l'un des engagements les plus importants que nous avons, est de garder cette hyper proximité, conserver ce lien et échanger en permanence».
«Mon combat, c'est d'atteindre un idéal sociétal. Cela peut sembler naïf, mais il faut aller à la recherche d’un peu de bonheur, rendre les gens heureux et fiers de leur territoire, apaisé dans leur vie et dans leurs attentes. Je suis convaincue que nous devons construire les politiques publiques, - celles qui nous gouvernent, celles qui nous aident, celles qui nous permettent de nous élever, en étant constamment en lien avec leurs attentes.On voit autour de nous la montée des extrêmes avec les derniers chiffres des présidentielles. Cela me donne envie de m'impliquer davantage pour que les gens et les jeunes surtout, puissent rêve»
Premier pas au Palais du Luxembourg
Après avoir exercé différents mandats locaux, Audrey Bélim est élue sénatrice de La Réunion le 23 septembre 2024 et devient la plus jeune sénatrice du territoire. «Le Sénat, c'est extrêmement studieux, c'est beaucoup de travail de fond, parcourir les dossiers dans le détail. Ce sont beaucoup d'auditions, de travaux et de recherches personnels, de lectures, de rencontres et d'échanges. C'est une terrible chance de pouvoir parler de mon territoire, de parler en tant que femme, en tant que réunionnaise, en tant que jeune, en tant que socialiste, de partager mon idéal sociétal et d'arriver à ancrer certaines idées quelquefois. Mes journées sont très denses, mais je le fais avec beaucoup d'envie et de fierté à chaque fois».
Octroi de mer
Six mois après son élection, Audrey Bélim souligne sa détermination à défendre l’ensemble des dossiers impactant son territoire et sa population, à commencer par celui de la réforme de l’octroi de mer. « Sur le territoire, cela fait grincer des dents car nos collectivités, nos communes, financées par cet octroi de mer, ont peur. Il y a cette idée que la cherté de la vie est dûe en grande partie à l'octroi de mer. Malheureusement cela est beaucoup plus complexe que ça. Etrangement, personne ne prend le temps d'expliquer réellement et concrètement ce qu’est l'octroi de mer. Le mouvement des gilets jaunes était la conséquence d’un ras-le-bol de la cherté de la vie, de l'inflation, des prix qui augmentent et du fait qu'on doive choisir entre bien se loger, bien se soigner, bien manger. Et à La Réunion, on a dit que c'est l'octroi de mer qui fait la cherté de la vie. C’est une idée qui est à la fois lourde et dure à déconstruire. Avec cette annonce de réforme, nous avons l'opportunité d'expliquer aux gens le contexte de sa mise en place, expliquer-au lieu d’être vertueuse-comment elle a pu se transformer et participer à l'augmentation de certains prix».
Intervention d'Audrey Bélim à l'issue du CIOM en novembre 2024
La sénatrice regrette la précipitation dans l’avancée de cette réforme tout en mettant en exergue le manque de concertation. « Il faut qu'on prenne le temps de nous dire si on la supprime, quels seront les impacts sur les collectivités et leur financement, les impacts sur la quotidienneté des gens. Impactera-t-elle l’emploi ou tout ce qui concerne le financement et la construction de logements sociaux ? On s'astreint à nous dire que l'octroi de mer égale cherté de la vie. Au-delà de me positionner pour dire je suis pour ou contre, je dis que si réforme il doit y avoir, l'occasion doit être saisie pour la rendre transparente, non seulement envers les élus des collectivités mais aussi envers les consommateurs. J’ai l'impression que tout est précipité. Pourquoi aller aussi vite alors que c'est un sujet qui concerne plus de 2 millions de personnes ?»
Mobilité à La Réunion et Leasing social
Autre sujet d’intérêt pour la sénatrice, les problématiques de la mobilité et de la transition à La Réunion et plus particulièrement la question de la non- expérimentation du leasing social en Outre-mer. « Avec les niveaux de revenus que nous avons à La Réunion, le leasing social était un système très intéressant. Les déplacements et la mobilité notamment douce sont de gros enjeux sur notre territoire. La voiture reste un indispensable à La Réunion, ne serait-ce que pour s'insérer professionnellement. Il est très compliqué d’habiter Saint-Denis et de travailler en bus à Saint-Pierre, cela n’est pas impossible mais très difficile. Malheureusement, ils n'ont pas pensé qu’à La Réunion, nous n’avons pas de concessionnaires mais des importateurs. Le temps de demander si le leasing social concernera La Réunion, on nous indique que l'enveloppe est fermée et clôturée. Il faudra attendre la campagne de l'année prochaine. Selon moi, il n’y pas eu ce réflexe de se dire si cette mesure sera bénéfique à La Réunion.»
Mission-flash sur l’enfouissement des réseaux électriques
Après le passage de l’ouragan Belal fin janvier, de nombreux foyers réunionnais sont restés pendant plusieurs jours privés d'électricité. Une situation non récente car la même situation s’est produite lors du passage du cyclone Batsirai deux ans auparavant. « Les cyclones à La Réunion, on ne les découvre pas, nous sommes géographiquement positionnés dans un hémisphère concernés par les cyclones. Aujourd’hui, avec l'annonce du montant de dommages matériels causés à La Réunion, ne serait-il pas plus économique et résilient d'enfouir ces réseaux électriques qui seraient protégés des vents ? Cela nous permettrait d’avoir moins d’argent à débourser à chaque passage de cyclone. Il faut noter aussi que des stations de pompages fonctionnent électriquement : en l’absence d’électricité, il n’y a pas d’eau pour alimenter les maisons.»
Dans ce contexte, la sénatrice de La Réunion a demandé la mise en place d’une mission-flash sur cette question. « J’ai été soutenu par mes collègues socialistes de la Commission Aménagement du territoire et développement durable pour cette demande de mission flash auprès du président de la commission Longueau. Pour l’heure, nous allons d’abord amorcer les choses par une plénière, une table ronde avec les collègues. Cela va nous permettre de travailler d’ores et déjà avec Maurice Gironcel, le président du SIDELEC à La Réunion. Des collègues sénateurs sont également intéressés par cette problématique et j’ai également parlé de ce qui se passait dans le Finistère, en Bretagne où nous avons des points de convergence. En France, nous accusons un certain retard par rapport à d’autres pays. En Allemagne, le taux d’enfouissement des réseaux électriques oscille entre 70 et 75%. On ne peut se contenter de 50% d'enfouissement des réseaux, quand nous connaissons des territoires avec des phénomènes climatiques importants et dangereux. Et ces 50 % ne concernent que les territoires urbains et non les territoires ruraux. Le sujet est très important pour la quotidienneté des gens et il faut absolument qu'on s'y attèle à un moment donné».
Prochain combat : le logement
Parmi les sujets prioritaires à venir pour la sénatrice, la politique publique en matière de logement. «Il est très important qu'on commence à parler très ouvertement, et à avoir une vraie réflexion sur ce qui concerne le logement. Nous avons autant d'alertes ici en Hexagone que dans les territoires ultramarins. A La Réunion, c'est 40 000 demandes de logement social en souffrance. Ce chiffre n’inclut pas les personnes en attente de logements intermédiaires. Derrière cette crise du logement, on a la question de la relance de la construction de logements. des coûts des matériaux, du foncier, de l’aménagement du foncier, des zonages.C’est un vaste sujet ! Nous ne pouvons résoudre cette crise avec de la LBU ou des systèmes de défiscalisation en Outre-mer. Il faut avoir justement plusieurs axes de solutions car il y a différents profils,différents types de logements à construire. Nous sommes déjà en retard lorsqu’on regarde le vieillissement des parcs locatifs sociaux et intermédiaires».
Quel message souhaitez-vous adresser aux administrés, aux Réunionnais, aux jeunes ?
Je suis ici au Sénat pour porter la voix des collectivités, de La Réunion dans son ensemble. Je serai toujours dans cette écoute. La « Haute Chambre» elle est faite pour ça.
J’aimerais dire aux jeunes : Soyez de plus en plus conscientisés en portant un regard sur ce qui se passe dans le monde, en France, en Europe, à La Réunion, autour de vous. Il faut que vous y participiez, il faut que vous construisiez avec nous. Je ne suis pas une experte. C'est tout à chacun dans son corps de métier, dans sa quotidienneté, dans sa vie de tous les jours. Il n'y a que nous mêmes qui savons ce dont on a besoin. C’est vraiment travailler à atteindre vos rêves, vos objectifs. J’appelle les jeunes à construire avec nous, afin de construire ensemble l'avenir de notre territoire, de La Réunion et de la France.