Ces dernières semaines, Mayotte a subi coup sur coup le cyclone Chido le 14 décembre dernier et la tempête tropicale Dikeledi ce week-end du 11 janvier. Le territoire, déjà confronté à des problématiques structurelles, voit ses infrastructures dévastées, son agriculture à terre et ses écosystèmes locaux gravement menacés. La déforestation massive accentue la vulnérabilité des sols, tandis que la biodiversité est mise à rude épreuve. La gestion des déchets devient critique, avec des risques sanitaires majeurs. C’est avec ces enjeux environnementaux en tête que, le 9 janvier dernier, les acteurs du secteur se sont réunis au Conseil départemental, à l’initiative de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE). Objectif : coordonner les efforts de reconstruction face à cette situation alarmante et déterminer des groupes de travail autour de thématiques centrales. Florent Forestier, administrateur de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), président de Yes We Can Nette et secrétaire général de Mayotte Nature Environnement, dresse un état des lieux sans concession d’une situation qui doit être gérée différemment selon lui.
C’est à l’hémicycle Younoussa Bamana que les acteurs environnementaux se sont réunis la semaine dernière pour une première rencontre Post-Chido. « On peut dire que c'était une bonne première réunion », confirme Florent Forestier, administrateur de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), président de Yes We Can Nette et secrétaire général de Mayotte Nature Environnement.
« Maintenant, il faut dépasser les conflits d'intérêts entre les différentes structures qui veulent toutes avoir le lead environnemental et être à la hauteur de la situation. » Et la situation est critique. Avant même les catastrophes récentes, Mayotte faisait déjà face à des défis environnementaux majeurs : gestion des déchets, déforestation, érosion, manque de moyens pour protéger les écosystèmes. « Les tempêtes ont accéléré l'effondrement d’un équilibre déjà fragilisé », poursuit le président de Yes We Can Nette. « Les cultures vivrières ont été détruites, aggravant l'insécurité alimentaire. La nature et les humains sont indissociables. Si l'un s'effondre, l'autre suit... Or aujourd’hui, les arbres à pain, les bananiers... tout a été balayé. Il n'y a plus rien pour nourrir les familles », alerte-t-il. Cette détérioration rapide des conditions de vie met en lumière l'urgence de repenser les pratiques agricoles et de restaurer les écosystèmes.
Dans ces multiples crises, celui qui se présente avec sa triple casquette, alerte : « La première urgence, c'est de nourrir les gens. Or, malgré les annonces d'aides, leur distribution reste bloquée. Les associations ne peuvent pas recevoir de dons sans l'accord des autorités. C'est aberrant. Pendant ce temps, les gens ont faim. » Face à cette situation, un plan d'action complet sera soumis aux sénateurs et ministères d'ici la fin de la semaine. « Il faut débloquer les aides alimentaires et surtout permettre à des structures habituées au terrain d'agir rapidement dans les zones isolées », insiste-t-il. « Sinon, on risque des émeutes de la faim. »
Yes We Can Nette au front
En réponse à cette urgence, l'association éco-solidaire Yes We Can Nette s’est mobilisée dès les premières heures. « On fait le maximum avec nos moyens. Actuellement, nous distribuons de l'aide alimentaire à plus de 200 personnes chaque jour grâce à une équipe de 25 bénévoles, 8 services civiques et 5 salariés », précise le président de l’association Florent Forestier.
L'association née en 2016, lutte contre la prolifération des déchets, sensibilise à l'environnement, et met en place des actions de solidarités alimentaires, a également mis en place un vaste programme de nettoyage des zones sinistrées. « Nous avons intensifié nos opérations de nettoyage des rivières et des quartiers touchés par les intempéries. Les déchets s'accumulent, et les risques sanitaires augmentent. On voit des mélanges dangereux de carcasses animales et de batteries qui polluent les sols et le lagon. C'est une priorité d'agir vite. »
Yes We Can Nette a également lancé des programmes de sensibilisation à destination des jeunes et des habitants. « Nous organisons des ateliers de sensibilisation sur la gestion des déchets, la préservation des mangroves et des récifs coralliens. Ces écosystèmes sont essentiels pour la résilience de notre territoire face aux tempêtes. » Malgré ces efforts, les besoins sont immenses. « Il faudrait quadrupler nos capacités. On ne pourra pas tenir sans un soutien massif. Nous sommes prêts, mais il nous faut des moyens. Nous avons besoin de financements pour acheter du matériel de nettoyage, des semences pour les agriculteurs et des produits de première nécessité pour les familles. »
Pour une décentralisation des décisions
Florent Forestier défend une gestion locale des crises. La pression sur l'environnement est extrême. « On est en train de créer des montagnes de déchets, des mélanges toxiques qui infiltrent les sols et polluent le lagon », prévient Florent Forestier. Les associations, dont Yes We Can Nette, multiplient les initiatives : nettoyage des rivières, surveillance des décharges illégales, alertes sanitaires. « Si rien n'est fait, c'est une catastrophe écologique et sanitaire qui nous attend. »
La déforestation aggrave la situation. « Les cyclones deviennent plus violents, et sans couverture végétale, les sols se dégradent. L'agriculture locale est à genoux. Il faut replanter intelligemment pour protéger les terres et la biodiversité. Les décisions doivent être prises ici, avec ceux qui connaissent les réalités du terrain. » Le plan d'action qui sera soumis aux sénateurs comprend des mesures concrètes : renforcement des aides alimentaires, relance de l'agriculture durable, gestion des déchets et restauration des écosystèmes.
« Les acteurs locaux de l'environnement sont prêts : il faut simplement arrêter ce système de verticalité décisionnelle dans la gestion des Outre-mer. Ce plan est un appel à l'État : débloquez les budgets, faites confiance aux acteurs locaux. Nous savons quoi faire, mais il nous faut les moyens d'agir. Ce modèle centralisé, qui impose des décisions depuis Paris sans réelle connaissance du terrain, freine la réactivité et l'efficacité des interventions. »
Lors de la réunion du 9 décembre, les principaux acteurs environnementaux de Mayotte se sont réunis sous l'impulsion de la FMAE pour organiser une réponse efficace. « L'idée, c'est que chacun prenne en charge ce qu'il connaît le mieux : la forêt, les tortues, les déchets. On ne peut plus travailler en silo », conclut Florent Forestier. Des groupes de travail thématiques ont ainsi été créés pour renforcer la coordination. Ces équipes devraient se mettre en ordre de bataille dans les prochaines semaines et seront donc à suivre.
Abby Saïd Adinani