Mayotte-Ibrahima Said Maanrifa, maire de la commune de M’tsangamouji : « Les enfants ont eu des réflexes qui ont sauvé des vies, cela prouve que la prévention est notre meilleure arme »

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Mayotte-Ibrahima Said Maanrifa, maire de la commune de M’tsangamouji : « Les enfants ont eu des réflexes qui ont sauvé des vies, cela prouve que la prévention est notre meilleure arme »

Plus d’un mois après le passage du cyclone Chido et quelques jours après la tempête tropicale Dikeledi, la commune de M’tsangamouji, dans le centre-ouest de Mayotte, tente d’aller de l’avant. Au 17 janvier 2025, la commune est, selon EDM (Électricité de Mayotte), alimentée à 95 % après avoir été plongée pendant plusieurs jours dans le noir total. Oui, mais ces chiffres, comme beaucoup d’autres, sont nuancés par Ibrahima Said Maanrifa, maire de M’Tsangamouji. Alors que les stigmates de la catastrophe sont encore visibles dans les trois villages de la commune, le premier magistrat raconte cette épreuve et les défis qui restent à relever pour reconstruire durablement.

 

C’est un maire fatigué mais déterminé qui répond à nos questions. Après avoir été mobilisé durant un mois sur le terrain, Ibrahima Said Maanrifa, comme nombre de ses administrés sinistrés, espère voir le bout de cette crise qui n’en finit pas. En effet, lorsque le 14 décembre dernier, les rafales du cyclone Chido ont balayé M’tsangamouji a été brutalement isolée, comme beaucoup d’autres communes de Mayotte. Routes obstruées, coupures de courant et absence totale de communication ont plongé la population dans une situation critique. « J'ai déclenché le Plan communal de sauvegarde dès le vendredi matin. Nous savions que chaque minute comptait », se remémore-t-il. Le jour de la catastrophe, à peine quelques heures après le passage du cyclone, les équipes municipales étaient déjà à pied d'œuvre. « Entre 13 h 30 et 23 h 30, nous avions déblayé 12 km de voirie, c'était une question de survie », insiste le maire. Cette mobilisation a nécessité la réquisition de 30 agents communaux, soutenus par des habitants volontaires. Des équipes techniques ont été déployées pour dégager les routes principales, essentielles au passage des secours. « Nous avons aussi mis en place des équipes sociales pour recenser les blessés et les personnes vulnérables. Il fallait agir vite pour éviter des drames supplémentaires », souligne Ibrahima Said Maanrifa.
« Nous disposions de six véhicules, dont deux camions plateaux, une mini-pelle et quelques tronçonneuses. Nos équipes travaillaient de 7 h du matin à minuit, sans relâche. » Grâce à cette coordination, les routes vers le centre d’hébergement d’urgence ont été rapidement dégagées, permettant l’évacuation des blessés graves. « Nous avons dû également sécuriser les rivières pour éviter de nouvelles inondations en cas de fortes pluies. Ce travail de prévention était indispensable, car nous avions recensé plus de 500 personnes vulnérables. »

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Des aides tardives et insuffisantes

Dans le chaos et la mobilisation de tous les habitants, un constat s’impose : l’aide humanitaire promise n’est arrivée que tardivement. « La première livraison d'eau n'a eu lieu qu'à J+12. Pendant ce temps, nos habitants ont bu l'eau de pluie ou des rivières pour survivre », déplore Ibrahima Said Maanrifa. « Nous avons dû solliciter les commerçants locaux qui nous ont soutenus par des dons », poursuit-il. 

Cette solidarité locale a permis de répondre aux besoins immédiats, mais de manière très limitée. Le Centre communal d'action sociale (CCAS) a joué un rôle crucial dans cette crise. « Les nourrissons, les personnes âgées et les malades ont été prioritaires, mais il faut le dire, nous étions démunis. Les quantités livrées par les premières aides étaient dérisoires. Cela a rapidement créé des tensions dans la population »,reconnaît Ibrahima Said Maanrifa, qui précise également que seulement deux à quatre tonnes d’eau et une à deux tonnes de denrées alimentaires ont été livrées… des quantités insuffisantes au regard de la population sinistrée. L’absence de moyens de communication a compliqué la transmission des besoins urgents et freiné la coordination avec les autorités départementales et nationales. La situation s’est encore aggravée avec l’absence des dispositifs promis. « On nous avait annoncé des systèmes de potabilisation de l’eau. Mais rien n’est jamais arrivé », regrette le maire. 

Aujourd’hui, un autre problème est souligné : le manque de bâches. « On nous a livré entre 25 et 30 cartons de bâches. Nous les avons utilisés pour les écoles et les bâtiments publics. Le reste est stocké en attendant d’en recevoir d’autres », explique-t-il. « Nous attendons de savoir ce qui sera livré en complément pour pouvoir distribuer aux personnes recensées. Ils sont 300, soit environ 1 200 bâches. Si nous n’avons pas le bon compte, nous ne distribuerons pas, car nous ne pourrions pas justifier d’en donner à certains et pas à d’autres. » S’ajoutent à cela des chiffres contestés sur la réalimentation en eau et en électricité. « Les chiffres livrés par EDM montrent que des départs de lignes électriques dans les postes de transformation sont alimentées, cela ne vaut pas dire que les foyers derrières ont l’électricité ». Électricité de Mayotte a en effet indiqué qu’au 17 janvier 2025, 95% des clients de M’tsangamouji ont été réalimentés. « Cinq quartiers complets de la commune n’ont pas encore l’électricité, sans compter les foyers dont les fils sont abîmés. Concernant l’eau : oui, tous les foyers sont connectés au réseau d’eau potable, mais les tours d’eau actuels privent d’eau un certain nombre de foyers proches des bassins en raison du manque de pression. J’ai remonté la problématique à la SMAE et à la préfecture pour qu’ils puissent réagir. » 

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Quant au calendrier pour un retour à la normale de tous les services, aucune information ne circule, déplore la municipalité. « Nous n’avons à ce jour aucune instruction à ce sujet sur les dispositifs dont pourraient bénéficier les propriétaires des logements non assurés, ce qui représente la très grande majorité des cas », explique le maire de M’tsangamouji. « C’est pourquoi, pour le moment, aucun recensement des habitations endommagées ou détruites n’a été réalisé. Je connais bien les habitants de ma commune : recenser sans pouvoir apporter de solution derrière ou sans visibilité sur le calendrier est une bombe à retardement. » Même combat pour l’eau, l’électricité ou encore le rétablissement intégral du réseau de télécommunication. « J’ai exigé de pouvoir être, à la mairie, le centralisateur de toutes les informations et interventions de ces équipes, mais cela ne se fait qu’occasionnellement avec des informations imparfaites », souligne Ibrahima Said Maanrifa. 

Prévenir pour mieux protéger

 Au cœur de cette crise, une certitude s’est imposée au maire Ibrahima Said Maanrifa : la prévention est essentielle pour limiter les dégâts humains et matériels face aux catastrophes naturelles. « Les enfants ont eu des réflexes qui ont sauvé des vies. Cela prouve que la prévention est notre meilleure arme », affirme-t-il. Ce constat découle de situations observées pendant les deux phénomènes météorologiques qui ont touché Mayotte. « J’ai en tête cette famille dont le toit s’est effondré sous la violence du cyclone Chido. Ce sont les enfants, âgés de seulement 4 ans, qui ont eu le réflexe d’aller se cacher sous la table et d’y entraîner leurs parents. Grâce à eux, toute la famille a survécu. » Fort de cette expérience, la municipalité souhaite désormais renforcer ses actions de prévention. « Nous allons multiplier les exercices d’évacuation dans les écoles et organiser des formations adaptées aux différents risques climatiques », détaille le maire. L’objectif est de transformer les gestes appris en réflexes.

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L’urgence passée, le maire de M’tsangamouji lance un appel pressant aux autorités nationales. « Il nous faut un fonds spécial pour reconstruire nos écoles et nos infrastructures sportives. L'éducation et le sport sont des remparts contre la délinquance », affirme-t-il avec gravité. Pour préparer la future rentrée scolaire, les équipes municipales ont dû sécuriser et réparer provisoirement les bâtiments. « Nous avons réalisé des diagnostics structurels, sécurisé les charpentes et nettoyé les salles de classe. Mais ce ne sont que des solutions temporaires. » 

Le maire plaide pour la mise en place d’un plan de financement exceptionnel dédié aux communes rurales de Mayotte, durement frappées par les catastrophes naturelles. Alors que la reconstruction débute, le maire interpelle les pouvoirs publics : « Nous devons disposer de stocks de matériels stratégiques, de systèmes de communication fiables et de plans d’action efficaces. » Néanmoins, face aux derniers événements, Ibrahima Said Maanrifa place avant tout sa confiance en son équipe municipale et en ses administrés. « À M’tsangamouji, nous sommes prêts à affronter d’autres crises, même si je ne le souhaite pas. » 

Dans cette logique, un RETEX (retour d'expérience) a été initié par la commune afin d’éviter de reproduire les erreurs constatées durant cette période de catastrophe exceptionnelle, qui pourrait se reproduire au vu des changements climatiques observés dans le monde, et plus particulièrement dans les zones à risque. En attendant, l’autre priorité est la rentrée scolaire. « Nous avons procédé à un nettoyage complet des classes par le personnel communal d’entretien. Tout a été réalisé après Chido pour pouvoir accueillir les élèves dans les écoles le 13 janvier, mais après le passage de Dikeledi, nous sommes en train de repasser dans certains bâtiments endommagés », indique le maire. « Il y a actuellement quatre classes non praticables. Deux écoles sont concernées. Celles-ci étant en rythme scolaire, nous avons étudié la possibilité de passer en rotation dans ces écoles ». La rentrée des enseignants devrait se faire le 20 janvier, celle des élèves le 27 janvier prochain.

Abby Said Adinani