Interview. Réinventer le leadership et replacer l’humain au cœur du management : le pari gagnant de Virginie Boireau, entrepreneuse réunionnaise et vice-présidente du Medef Réunion

Interview. Réinventer le leadership et replacer l’humain au cœur du management : le pari gagnant de Virginie Boireau, entrepreneuse réunionnaise et vice-présidente du Medef Réunion

« Je suis Réunionnaise dans l’âme. » Arrivée à La Réunion à l’âge de six mois, elle a grandi sur cette île qu’elle affectionne profondément « chez moi, mon territoire, et j’adore cette île ». À 54 ans, c’est sur son île qu’elle a construit un parcours professionnel audacieux, devenu une véritable success story réunionnaise. Après avoir fondé, il y a quinze ans, le groupe Alter Ego, elle est aujourd’hui directrice générale d’Actual Océan Indien, vice-présidente du Medef Réunion et présidente de la commission école-entreprise. Pour Outremers360, elle revient sur son parcours, ses projets, mais aussi sur les défis économiques auxquels font face les entreprises réunionnaises.
 

Alter Ego, un business model guidé par l’humain

Après des études entre La Réunion et Montpellier, Virginie débute chez Manpower. À seulement 28 ans, elle se voit confier une mission de taille, implanter le géant américain sur son île. Dix ans plus tard, en 2010, poussée par un désir d’entreprendre, elle crée Alter Ego, une société spécialisée dans l’intérim et le recrutement : « Je me suis sentie légitime pour créer mon entreprise. J’avais un désir entrepreneurial fort, j’étais enceinte de mon troisième enfant, et j’avais une énergie incroyable. »

L’entreprise, qui compte aujourd’hui cinquante salariés répartis sur cinq agences, élargit progressivement son offre en développant la formation et en misant sur l’insertion professionnelle. En quelques années, Alter Ego s’impose comme un acteur incontournable à La Réunion. « La première année, j’ai fait 1,8 million de chiffre d’affaires. Quinze ans après, 30 millions. »
Mais la réussite de Virginie Boireau ne se mesure pas qu’en chiffres. Elle repose sur une philosophie humaniste et un management collaboratif. « J’ai créé mon entreprise de façon très innovante, sur un management très collaboratif, avec le plaisir au travail au centre du concept. Chez nous, il n’y avait ni reporting, ni obligation de compte rendu. Cela suppose de faire confiance, d’accepter de ne pas savoir précisément comment chacun occupe sa journée. Le contrôle n’a jamais fait partie de notre culture. Pour ceux qui venaient d’un fonctionnement très hiérarchisé, c’était déroutant. »

Elle revendique un business model décalé : « Ce que je considère comme une réussite, vient du fait que je n’ai jamais cherché à faire du profit. J’ai toujours mis énormément d’énergie, et le profit n’a été que la conséquence de cette énergie. En fait, j’ai un peu oublié tout ce qu’on m’avait appris. Je ne faisais pas de budget, pas de prévisionnel. Nos objectifs étaient collectifs, et c’était simplement : faire le maximum. On avançait dans le plaisir, la bonne humeur, la joie, le respect, et avec les valeurs profondes qu’on avait posées dès le départ. C’était un peu innovant, parce qu’on me disait souvent que peu d’entreprises fonctionnaient sans budget. En général, les banques en demandent. Mais j’ai été très vite autonome en trésorerie. »

Ce qui définit son approche du leadership : « c’est avant tout une énergie positive tournée vers le collectif. Ce qui m’a permis de me développer, c’est de savoir bien m’entourer. Je considère cela comme une vraie chance et la clé de la réussite : avoir une équipe partageant la même énergie et la même envie d’avancer. »

Rencontre Actual Group au siège d'Alter Ego en 2024

Vice-présidente du Medef

Vice-présidente du Medef, Virginie Boireau revient sur l’importance de son engagement au sein de l’organisation : « Quand j’ai créé mon entreprise, le Medef m’a énormément accompagnée, me sortant de ma solitude de chef d’entreprise. » Elle s’investit alors au sein de la commission École-Entreprise dont elle est présidente : « J’ai découvert le rôle que je pouvais jouer pour les jeunes. » Elle souligne la dimension inspirante de cette commission : « Ce qui est génial, c’est que nous travaillons sur l’entrepreneuriat et la création de vocations dès le plus jeune âge. On se rend compte qu’on peut donner envie aux jeunes de devenir entrepreneurs un jour, et cela ne doit pas être intimidant : au contraire, il faut montrer que tout est possible. »

 

 Virginie Boireau et Katy Hoarau REF 2025

Une alliance choisie avec Actual Group

Après plus d’une décennie de développement indépendant, un tournant majeur s’opère en 2024 : Alter Ego s’associe à Actual Group, acteur national de l’emploi et des ressources humaines. Une décision mûrie, qu’elle présente comme une évolution naturelle : « Je voulais grandir sans me dénaturer, en gardant notre agilité et notre culture réunionnaise. » Pour elle, l’enjeu n’était pas de vendre, mais de s’ouvrir : « C’est une intégration ultra réussie. Ils ont un énorme respect pour notre façon de travailler. On partage les mêmes valeurs, les mêmes convictions sur l’humain et le travail. » Cette alliance permet à Alter Ego de renforcer sa solidité et d’accéder à de nouveaux outils technologiques tout en préservant son ADN réunionnais : un management de proximité, basé sur la confiance et la simplicité : « Je ne veux pas devenir un   mastodonte déshumanisé. Avec Actual Group, j’ai trouvé un partenaire qui pense comme nous : que la performance passe d’abord par le bien-être des équipes. »

Virginie Boireau, Samuel Tual et Olivier Pelvoizin, directeur régional de France Travail La Réunion 2024
Virginie Boireau et Samuel Tual

Une RSE vécue, pas affichée

Chez Alter Ego, la RSE est au cœur de l’ADN. « La RSE, ce n’est pas un vain mot. Ce n’est pas une étiquette, c’est un engagement concret. » Les actions s’enchaînent : sponsoring d’équipes sportives, soutien à la lutte contre le cancer du sein, participation au festival Sakifo pour offrir des places de concerts à ses intérimaires, actions dans les prisons via sa société d’insertion, sensibilisation aux violences intrafamiliales… « On fait beaucoup d’actions en matière de santé au travail et d’humanité. Tous les mois, on a au minimum une ou deux actions. C’est concret. » En interne aussi, le bien-être est une priorité : « On a offert un coaching sportif à tous les collaborateurs qui le souhaitaient. On célèbre nos anniversaires, nos réussites. On se demande toujours : qu’est-ce qu’on peut faire pour que les gens se sentent bien ? »

L’IA : une opportunité à saisir

Quand on l'interroge sur la question de l’intelligence artificielle, Virginie Boireau adopte une approche pragmatique : « Je la vois plutôt positivement. Pour moi, c’est une aide, pas un danger. Les machines vont plus vite, elles nous font gagner du temps, notamment dans le sourcing. Mais l’IA ne recrutera jamais à notre place. Le métier reste fondamentalement humain. »

En 2026, cap sur Mayotte

L’entrepreneuse regarde désormais au-delà de La Réunion et prévoit d’ouvrir une agence à Mayotte en 2026, marquant ainsi son premier pas vers une implantation régionale au-delà de La Réunion : « Mayotte est en pleine reconstruction et fait face à de réelles problématiques d’emploi », explique-t-elle. La présence sur place permettra de répondre aux besoins des clients déjà établis dans l’île, tout en consolidant le développement local.

Entreprendre pour Apprendre

Virginie Boireau est également très investie dans Entreprendre pour Apprendre, une association qu’elle a contribué à implanter à La Réunion : « C’est une association qui crée des mini-entreprises dans les collèges et lycées. Les jeunes travaillent toute l’année sur un projet, font du bénéfice, et présentent leur entreprise devant un jury.» A la fin de l’année scolaire, se tient un championnat régional, où des équipes réunionnaises ont déjà été récompensées. Elle y voit un formidable outil de transmission :« Voir cette jeunesse inspirante, ça donne de l’espoir. Et mes équipes adorent y participer. Mes responsables d’agence deviennent parrains ou marraines de classes, ils coachent les élèves. On reçoit en retour une bonne dose de plaisir et c'est vraiment génial ! »

Concours régional des mini-entreprises organisé par Entreprendre Pour Apprendre Réunion 2025

Le monde de l’entreprise mis à mal

Aujourd’hui, Virginie Boireau observe avec inquiétude et tristesse le climat économique et social. Elle confie : « Le monde de l’entreprise est mis à mal. Et moi, ça me fait de la peine parce que je vois le nombre d’emplois qu’on a créés, le nombre de personnes qu’on a formées, le nombre de gens éloignés de l’emploi qu’on a ramenés vers le travail. » Elle ajoute avec lucidité : « Comment encourager les jeunes à créer leur entreprise quand on voit ce qu’on est en train de leur infliger ? C’est contre-productif. Et ce n’est pas reconnaissant envers le monde du travail. »

Mais elle refuse le défaitisme et mise sur l’énergie collective pour avancer : « Le Medef joue un rôle essentiel, car il permet de rassembler les forces locales et de travailler ensemble face aux difficultés qui se présentent à La Réunion. Cela peut parfois être décourageant, mais je ne suis pas du genre à me laisser abattre ou à voir le verre à moitié vide. Nous continuons à agir, à créer, à réfléchir et à faire en sorte que les choses avancent. Nous restons unis, structurés et en constante action. L’année dernière a été particulièrement difficile, notamment pour le BTP, secteur qui a beaucoup souffert sur l’île, entraînant une perte importante de notre activité. Cette année, toutefois, la reprise se fait sentir grâce à l’énergie et l’engagement de nos clients, de nos intérimaires et de notre équipe. Nous capitalisons sur nos forces et regardons toujours vers l’avenir, déterminés à avancer. »