À Mayotte, une association dresse pour la première fois un inventaire inédit sur des oiseaux terrestres

© Association GEPOMAY

À Mayotte, une association dresse pour la première fois un inventaire inédit sur des oiseaux terrestres

C’est une première, le Groupe d’études et de protection des oiseaux de Mayotte mène depuis octobre une étude de grande ampleur pour évaluer l’impact du passage du cyclone Chido sur 16 espèces d’oiseaux communs nicheurs. 380 points d’observation permettent de voir et d’écouter ces animaux aux quatre coins de l’île. Mayotte est le premier territoire ultramarin à mettre au point un tel projet pour évaluer l’impact d’une catastrophe naturelle sur la faune aviaire. Interview d’Émilien Dautrey, ingénieur agronome et directeur du Groupe d’études et de protection des oiseaux de Mayotte (GEPOMAY). 


Marion Durand : En octobre dernier, vous avez démarré un grand inventaire sur les oiseaux de Mayotte, pourquoi cette grande étude ?

Emilien Dautrey : Cet inventaire s’intéresse spécifiquement aux oiseaux communs terrestres nicheurs de Mayotte, ce sont des oiseaux qui ne se déplacent pas vers d’autres territoires et qui sont « communs » c’est-à-dire qu’on les retrouve régulièrement sur notre île. Seize espèces sont étudiées, dont plusieurs sont endémiques : le Drongo de Mayotte ; le Zostérops de Mayotte ; le Souimanga de Mayotte (un petit passereau multicolore) ; le pigeon des Comores, reconnaissable à sa grande taille ; le Founingo des Comores (un corps entièrement bleu pétrole) et le Foudi des Comores, à la tête rouge.
Cette étude de quatre mois, financée par l’Office français de la biodiversité et la Fondation de France, livrera des informations essentielles sur l’état des populations pour ces espèces d’oiseaux un an après le passage du cyclone Chido sur notre île.

Émilien Dautrey, ingénieur agronome et directeur du Groupe d’études et de protection des oiseaux de Mayotte (GEPOMAY). © Emilien Dautrey - GEPOMAY

Est-ce une première à l’échelle d’un territoire ?

Tout à fait, ça n’a jamais été fait auparavant sur aucune île des Outre-mer et nous avons étudié la bibliographie existante, sauf erreur de notre part, un tel inventaire à l’échelle d’un territoire entier n’a jamais été réalisé dans le monde.
Nous avons 380 points d’observation répartis sur l’ensemble de Mayotte, 38 itinéraires ont été créés. Un chargé d’étude et un technicien avifaune travaillent sur cet inventaire, des dizaines de bénévoles les aident chaque jour et d’autres membres du Gepomay peuvent prêter main-forte quand c’est nécessaire.
Nous serons sur le terrain jusqu’en janvier et les moins suivants seront consacrés à l’analyse des données.

Pour déterminer l’impact du cyclone, il est nécessaire d’avoir des données antérieures au passage de Chido. Quand les avez-vous récoltées ?

Nous avons mené ces observations un an avant le passage de Chido, nous pourrons ainsi comparer les résultats. On refera le même inventaire en 2026 puis dans quelques années, ce qui nous permettra d’évaluer précisément l’impact du passage du cyclone à court et moyen terme.
En 2024, lorsque nous avons réalisé la première étude, les données ont servi pour estimer le nombre d’oiseaux présents à Mayotte et ainsi évaluer les menaces qui pèsent sur les populations. Ces chiffres permettent aussi d’alimenter les listes rouges de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

© Emilien Dautrey - GEPOMAY


Un mois et demi après le début de l’inventaire, qu’avez-vous observé ?

C’est difficile à dire. On voit moins d’oiseaux forestiers qu’avant le passage du cyclone. Le pigeon des Comores, par exemple, est moins visible et lorsqu’on est dans son milieu, on l’entend nettement moins. Pareil pour le Courol malgache, qu’on entend normalement beaucoup à Mayotte. De façon globale, on fait le même constat pour tous les oiseaux forestiers : on les voit moins et on les entend bien. C’est peut-être un premier signal d’alarme, les analyses précises nous montreront si effectivement ils sont moins nombreux. Il est vrai qu’il y a moins d’arbres, le couvert végétal a été en grande partie détruit par Chido, ce qui a perturbé ou rasé les habitats de nombreuses espèces.

Où sont parties les espèces que vous n’entendez plus ?

Malheureusement, si les oiseaux ne sont plus là, cela signifie qu’ils ont été tués car les espèces endémiques (celles qui n’existent qu’à Mayotte) ne se déplacent pas car elles n’en ont pas la capacité. Lorsqu’une catastrophe arrive, que le milieu s’appauvrit et que les ressources manquent, elles sont bloquées sur le territoire et meurent. Ça ne signifie pas que l’espèce va disparaître. Il a déjà été observé qu’après de gros événements extrêmes, certaines espèces font des pontes de substitution, c’est-à-dire qu’elles ont plus de portées ou davantage d’œufs pour compenser les pertes. C’est l’incroyable résilience de la nature, les espèces s’adaptent. Mais cela est possible quand les conditions le permettent, si les menaces et les pressions anthropiques sont trop importantes, ça peut empêcher les espèces animales et végétales d’être résilient. Les incendies, la destruction des habitats, l’agriculture non raisonnée, l’urbanisation, le braconnage, les espèces exotiques envahissantes sont autant de menaces qui empêchent cette nature de se reconstituer seule.

Avant / Après Chido sur un des sentiers ©  Emilien Dautrey - GEPOMAY


Certaines espèces d’oiseaux sont-elles aujourd’hui introuvables ?

Parmi les 16 espèces communes que nous étudions, nous avons tout trouvé, a priori aucune d’entre elles n’a disparu. Les espèces rares sont plus menacées. Nous suivions des couples de faucon pèlerin avant le passage de Chido, ils ont disparu, on a vu des faucons mais aucun couple. On s’interroge sur l’avenir de cette espèce à Mayotte.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées pour mener à bien votre inventaire ?

On n’a pas pu dégager tous les sentiers avant la fin de la saison humide et le début de la saison de reproduction. Heureusement très peu de nos itinéraires sont impraticables. La saison des pluies rend parfois le terrain difficile pour nos deux salariés qui travaillent à temps plein sur l’inventaire.

Une étude d’une telle ampleur est inédite. Serait-il intéressant de l’adapter à d’autres territoires ?

Les oiseaux sont des indicateurs de l’état de santé des milieux donc oui, ce serait intéressant. Les oiseaux peuvent fournir des indicateurs sur la gestion des sites, l’état d’une population dit l’état du milieu. Si des oiseaux sont présents, c’est un indicateur de bonne santé de la forêt. On oublie trop souvent la biodiversité quand on fait le point sur les dégâts causés par une catastrophe naturelle, or l’impact sur la faune et la flore peut aussi avoir des conséquences financières sur le moyen et long terme. Au lendemain de Chido, on a chiffré les dégâts matériels et humains, ce serait bien de faire de même pour les espèces animales.
Avec le changement climatique, les événements extrêmes vont s’intensifier, il est important de montrer ce que ces catastrophes provoquent sur la biodiversité.

Pourquoi la protection des oiseaux forestiers est un enjeu majeur pour Mayotte mais aussi pour d’autres territoires ultramarins ?

Les oiseaux nous rendent un tas de service, la pollinisation ou la propagation des graines mais ils nous rendent aussi des services récréatifs car ils participent au rayonnement de nos territoires. Chaque année, Mayotte accueille des touristes qui viennent ici pour voir nos oiseaux. Perdre les espèces endémiques, c’est perdre une part du patrimoine de Mayotte. Ce serait pareil pour d’autres territoires d’Outre-mer qui ont de nombreuses espèces indigènes et une biodiversité exceptionnelle. Les oiseaux, comme toute composante d’un écosystème, sont essentiels, s’ils disparaissent c’est tout l’équilibre qui est impacté.

© Emilien Dautrey - GEPOMAY

Vous faites partie du Réseau Outre-mer de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), y a-t-il des actions menées en partenariat entre les territoires ultramarins ?

Le réseau Outre-mer existe depuis plusieurs années, grâce à ça on a mis en place des projets ambitieux, notamment le projet Life Biodiv’om. Il contribue à la protection de cinq espèces mondialement menacées et cinq territoires y participent : La Réunion, la Martinique, Saint-Martin, la Guyane et Mayotte. Chez nous, ce programme a permis de protéger le crabier blanc.
La LPO déploie aussi certains outils qui fonctionnent dans l’Hexagone au sein de nos territoires. Nous avons par exemple mis en place les refuges LPO pour faire revenir la biodiversité dans les jardins des particuliers et des entreprises. L’objectif est d’agir à notre échelle pour créer les conditions propices à l’installation de la faune et de la flore sauvages. À Mayotte, on a gardé les 15 gestes préconisés en les adaptant au milieu tropical et à la présence d’espèces exotiques envahissantes. Par exemple, on peut favoriser un coin de nature sans entretien dans son jardin avec des fleurs locales pour faire venir les pollinisateurs et les oiseaux ou planter des haies d’espèces indigènes.

Échangez-vous régulièrement avec les associations ultramarines ?

On échange beaucoup avec nos partenaires. Dans le contexte actuel de restrictions budgétaires, on partage nos expériences pour faire face aux coupes budgétaires et continuer les projets malgré tout. On discute aussi sur notre protocole de suivi des oiseaux communs, on échange sur ce qui fonctionne ou pas.
En plus de la collaboration entre territoires ultramarins, nous avons aussi des partenariats régionaux. Je pense notamment au projet Varuna sur les aires protégées qui met en lien les gestionnaires de l’océan indien. On travaille aussi avec Madagascar sur des actions pour lutter contre les rats dans les mangroves ou pour équiper les crabiers blancs de balises afin de suivre leurs déplacements.
On travaille sur des espèces migratrices qui se déplacent, les collaborations sont indispensables pour suivre les migrations. Chaque année, des centaines d’oiseaux rejoignent Mayotte pour s’alimenter, d’autres espèces quittent notre île pour se reproduire ailleurs, dans la péninsule arabique ou en Sibérie. Les espèces migrent, voyagent, il faut les protéger de partout, pas seulement sur notre territoire.

En mars dernier, le gouvernement a publié quatre arrêtés destinés à mieux protéger la faune sauvage, en particulier des espèces d'oiseaux, en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Guadeloupe, 203 espèces d'oiseaux sont désormais protégées, soit 96 espèces de plus par rapport au précédent arrêté. Faudrait-il aller plus loin selon vous ?

À l’heure actuelle, les oiseaux sont bien protégés à Mayotte, l’arrêté englobe de nombreuses d’espèces. Protéger une espèce c’est interdire de lui porter atteinte, ça comprend la perturbation, la destruction ou la capture des individus.
Au-delà des arrêtés, il faut aussi sensibiliser le grand public et les aménageurs afin qu’ils comprennent pourquoi il est essentiel de protéger ces espèces.