DOSSIER [5/5]. Mayotte post-Chido : « On n’a plus rien pour remplir la marmite », ces propriétaires de champ ont tout perdu

© Ainati/ © Mayotte Hebdo

DOSSIER [5/5]. Mayotte post-Chido : « On n’a plus rien pour remplir la marmite », ces propriétaires de champ ont tout perdu

Si le cyclone a tout détruit sur son passage, les petites parcelles agricoles des Mahorais n’ont pas été épargnées. Cultivés par des particuliers, ces champs familiaux permettaient souvent aux habitants de remplir la marmite et de répondre aux besoins alimentaires de la famille. Mais ces jardins aux multiples cultures ont été détruits par Chido et ce qu’il en restait a été pillé. Sans aide financière, les propriétaires de jardins ont dû se retrousser les manches chaque week-end pour redonner vie à leur champ. Pour ce dernier épisode de notre dossier consacré à la reconstruction environnementale de Mayotte, on donne la parole à ces Mahorais.


À Mayotte, nombreux sont ceux qui cultivent ce qu’ils mettent dans l’assiette. La plupart des exploitations mahoraises sont des petits champs familiaux, où on plante des fruits et des légumes pour nourrir la famille et éventuellement revendre le surplus sur les marchés. Ainsi, de nombreuses familles possèdent un bout de parcelle non construit, « de 0,3 à 0,5 hectare, la plupart du temps en indivision entre plusieurs frères et sœurs », précise Lucie Gaillard, animatrice du Réseaux d’innovation et de transfert agricole (RITA) . « Ce ne sont pas des petits potagers au pied de la maison comme on peut voir dans l’Hexagone mais plutôt des terrains agricoles qui ne sont pas reliés à l’eau ou à l’électricité ».

Ces propriétaires sont des particuliers, des Mahorais qui aiment la terre et qui cultivent le week-end pour leur autoconsommation, une activité qu’ils pratiquent en plus de leur travail. Avec Chido, ce sont des années de dur labeur qui ont été soufflées, emportées par les bourrasques à plus de 200 km/heure.
« La production arboricole a été très impactée par le passage du cyclone, or c’est celle qui est la plus pratiquée en termes de cueillette familiale », observe Lucie Gaillard. Cueillir sur sa parcelle ou au bord de la route fait partie de la culture mahoraise. Le fruit à pain, très consommé dans cette île de l’océan indien commence tout juste à réapparaître après de long mois de disette. « Ce fruit n’était jamais acheté, toujours cueillis, il représentait un apport alimentaire gratuit ou non monétisé », rappelle l’animatrice.

Outre l’aspect financier, ces champs représentent pour de nombreux Mahorais leurs racines, beaucoup ont grandi au rythme des cueillettes hebdomadaires et des moments partagés en familles ou entre amis au champ le week-end. Alors depuis neuf mois, ces amoureux de la terre se battent chaque week-end pour redonner vie à leur parcelle malgré les difficultés d’accès et le manque de moyens.

Témoignages d’Ainati, Soulaimana et Fatima* :

Ainati, 37 ans, directrice administrative et comptable dans une école associative, elle habite à Mamoudzou.

« On a acheté un champ de 7 000 m2 il y a deux ans et demi, dans la commune de Vahibé à Mamoudzou, pour y cultiver des produits qu’on ne veut pas acheter dans les magasins, comme des légumes (tomate, manioc, tarot, piment, aubergine, courgette). On avait aussi plusieurs arbres fruitiers. On voulait inculquer à nos enfants les valeurs de la terre, leur montrer qu’on ne peut pas tout acheter, qu’il est important de récolter ce que l’on plante soi-même. Avant le cyclone, c’était notre activité du week-end, c’était une passion pour nous. On se retrouvait au champ en famille et entre amis pour faire un barbecue et récolter ce qu’on avait mis sous terre. Notre production permettait de nourrir la famille et on revendait le reste au marché, ce qui représentait un complément de 1500€ par mois.
Mais Chido a tout détruit. On n’a plus rien pour remplir la marmite. On a passé les six derniers mois à débroussailler, à remettre la parcelle en état car il y avait des arbres partout. Il y a eu beaucoup d’entre-aide de la part des voisins, de la famille, des amis. On y est tous les week-ends, du matin au soir, pour tout nettoyer. On aimerait revenir à la vie qu’on avait avant, les enfants se sentaient à l’aise dans notre champ. Mais pour le moment on les a envoyé dans l’Hexagone pour continuer l’école chez papi est mamie car nous avons perdu notre maison, il faut tout reconstruire. On essaye de tenir le coup, si on baisse les bras personne ne pourra venir reprendre le champ à notre place. Sans la culture on ne peut pas vivre. On se donne de la force entre collègues. Il y a des week-ends où l’on reconstruit le bungalow chez un ami, l’autre week-end il vient chez nous pour nettoyer. On s’entraide. »

Soulaimana, fonctionnaire, habite dans le village de Poroani.

« Je pratique l’agriculture familiale depuis toujours sur mon champ à Poroani. Je plante ce qu’on va mettre dans la casserole : du tarot, des bananes, du manioc, des ananas, de la canne à sucre, de la goyave. Mon champ sert pour ma consommation personnelle mais je vends aussi une partie dans un marché. Le cyclone a détruit des plantations mais pas tout, heureusement, j’ai toujours un petit carré de tarot. Toute la bananeraie est tombée mais les tubercules ont été épargnés. Au moment où il y avait des pénuries, moi j’avais encore quelques légumes, je partageais avec ma maman et mes sœurs. Ça m’a beaucoup aidé après Chido car il n’y avait plus rien et les routes étaient inaccessibles. Moi, j’avais une banque alimentaire assurée. J’ai pu vendre quelques tubercules sur les marchés dans les mois qui ont suivi le cyclone, ça m’a permis d’avoir quelques économies et j’ai pu refaire ce qui a été détruit dans ma maison. J’ai laissé tomber une partie de la bananeraie, je n’avais plus de motivation et beaucoup de travail pour reconstruire ma maison. La canne à sucre pousse très vite donc mon champ est bien reparti, grâce à ma production vivrière j’arrive à faire quelques économies, moralement ça nous aide aussi, c’est une assurance qui permet de s’en sortir. On était au fond du trou mais grâce à ça on remonte la pente. Mais nous avons besoin d’aide, ce qui nous manque ce sont des outils : on a besoin de tronçonneuse, cercleuse, barre à mine pour faire repartir nos cultures. On a aussi besoin de conseils pour nous aider à lutter contre les nuisibles, les champignons ou les termites qui attaquent les cannes à sucre. On sait qu’il faut éviter les produits chimiques, on connaît les ravages que ça fait sur l’environnement, alors on a vraiment besoin de conseils ! »


Fatima (le prénom a été modifié), infirmière, vit dans la commune de Sada.

« Chido a tout ravagé : les cocotiers, les bananiers, les cultures de légumes qu’on avait, les manguiers. On s’est précipité pour replanter le manioc, les bananiers, les légumes, nos plantations ont bien pris mais on nous a tout volés. C’est désolant ! Il y avait quelques pillages avant mais depuis Chido il y a beaucoup beaucoup de vol. Ils prennent tout ce qu’ils peuvent. Il y a cinq mois j’avais planté quelques piments et des aubergines, on m’a tout volé. Je ne sais pas quoi faire, je suis désolée et puis c’est tout. Il n’y a rien à faire à part prendre des congés pour aller surveiller mon champ mais c’est impossible. Alors on est obligé de récolter immédiatement, dès que ça commence à mûrir. En ce moment, on se prépare pour la saison des pluies, c’est le moment de planter car les cultures peuvent avoir beaucoup d’eau même si notre champ n’est pas raccordé à l’eau.
Ce champ c’est mon grenier, c’est grâce à lui que j’ai de quoi manger. À Mayotte, lorsqu’on va dans un magasin pour acheter quelques bricoles, ça nous coûte 100 €. Je suis fonctionnaire, je n’ai pas un gros salaire, mon champ m’aide à boucler mes fins de mois. On mange ce qu’on cultive et je n’achète que ce que je ne peux pas planter : le riz, les pâtes et de la viande car je n’ai pas de poulailler.
Le champ est à deux kilomètres de chez moi, c’est un terrain familial de six hectares et nous sommes douze dans la fratrie, chacun occupe une partie.
Sans mon champ ce serait difficile. Ce jardin c’est mon réconfort et grâce à lui j’arrive à aider ma mère et mes sœurs, je leur donne des fruits et des légumes quand j’ai du surplus. »

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