Président directeur-général du groupe Océinde, l’entrepreneur réunionnais Nassir Goulamaly défend un engagement guidé par des valeurs fortes d’innovation et d’humanisme. Héritier d’une tradition industrielle familiale profondément ancrée à La Réunion, il mène aujourd’hui des projets structurants dans la fibre optique – notamment le déploiement du très haut débit à Mayotte –, les data centers, ou encore les produits de la mer, œuvrant à inscrire Mayotte et La Réunion dans une dynamique régionale et internationale. De retour d’un déplacement officiel avec Emmanuel Macron dans l’océan Indien, il plaide pour une nouvelle lecture géostratégique des Outre-mer, et fait de Mayotte et La Réunion des points d’ancrage pour l’avenir numérique de la région.

Un héritage industriel tourné vers l’emploi et le développement
Issu d’une famille malgache marquée par la culture industrielle, Nassir Goulamaly a grandi dans un univers où entreprendre signifiait créer de l’emploi et contribuer au développement. Après les bouleversements de l’indépendance malgache, son père, Abdéali Goulamaly s’installe à La Réunion, où il fonde une première usine dans les années 1970. A la fin des années 1990, Azmina et Nassir, les deux enfants d’Abdéali Goulamaly, prennent le relais à la tête du groupe familial rebaptisé Océinde : « Mon père nous a confié très tôt les responsabilités. Il n’y a pas eu de conflit de succession, tout s’est fait naturellement », explique Nassir Goulamaly à Outremers 360.
Avec plus de 1500 collaborateurs, le groupe Océinde s’organise autour de trois pôles stratégiques : la chimie du bâtiment avec des marques comme Mauvilac, ID, Comus ou Algo, couvrant peintures techniques, décoratives et bio-sourcées ; les produits de la mer avec Aquapesca au Mozambique, Qwehli pour la haute gastronomie, et des activités de pêche et conservation innovantes ; et enfin les télécoms et médias avec Zeop (fibre à La Réunion) et le studio d’animation Pipangaï dont deux longs métrages ont été nommées aux César 2016 et 2018.
Une stratégie fondée sur trois piliers et portée par l’humanisme
À la tête du groupe Océinde, Nassir Goulamaly a fait le choix stratégique de se recentrer sur trois activités : la chimie du bâtiment, les produits de la mer et les télécoms : « Lorsque j’ai repris l’entreprise, ma première démarche a été de recentrer notre activité. J’ai vendu plusieurs branches pour nous concentrer sur des secteurs à fort potentiel d’exportation. Peu de groupes réunionnais – et plus largement ultramarins – se sont lancés à l’international, nous faisons partie des rares à l’avoir fait, dès la fin des années 1990. Nous avons choisi de nous focaliser sur trois domaines que nous jugeons résilients : la peinture et la chimie du bâtiment, les produits de la mer, et les télécommunications. » Cette approche est structurée autour du triptyque qu’il résume par les « 3I » : Industrie, International et Innovation.
Nassir Goulamaly souligne l’importance des valeurs fondatrices qui orientent chacun des projets du groupe : l’esprit de bâtisseur, l’innovation, l’ambition et l’humanisme. Des principes concrets, ancrés dans leur manière d’entreprendre : « Nous veillons à mener des projets respectueux de l’environnement et des populations locales. Par exemple, notre ferme de crevettes bio au Mozambique, créée il y a 20 ans, n’a ni déplacé de communautés ni détruit la mangrove. Bien avant que la RSE ne devienne une tendance, ces principes guidaient déjà notre action. Aujourd’hui, à nos trois métiers historiques — télécoms, produits de la mer et chimie du bâtiment — s’ajoute un nouveau pôle stratégique : l'efficience énergétique. Nous accompagnons notamment la décarbonation industrielle avec, entre autres, la relance d’une usine de pompes à chaleur à Montpellier. »
Océinde acteur du développement numérique de Mayotte
Parmi les projets les plus emblématiques du groupe figure le déploiement de la fibre optique à Mayotte, dernier département français à intégrer le plan France Très Haut Débit. Ce marché stratégique a été attribué à Océinde, implanté de longues dates sur le territoire, à l’issue d’une procédure concurrentielle, face à des acteurs majeurs du secteur : « On est très fiers, en tant que groupe réunionnais, d’avoir remporté cet appel d’offres face à Orange Concessions. Ce n’était pas facile : il y a eu des oppositions, des pressions, mais nous avons tenu bon. » Un signal fort pour l’économie locale, et une démonstration concrète du savoir-faire ultramarin.
Rappelons, qu’en 2011 le groupe a fait le pari audacieux, de financer sur fonds propres le déploiement de la fibre optique à La Réunion :« Ce sont des choix ambitieux, portés par la conviction que seule une entreprise locale, profondément ancrée dans son territoire, peut avoir le courage et la vision d’investir dans ce type de projet transformateur », souligne Nassir Goulamaly. Il voit dans ce chantier, un levier fondamental pour répondre aux défis d’éducation, de santé et de sécurité : « Un euro investi dans la fibre génère six euros de PIB ».
La fibre, les câbles sous-marins et les data centers traduisent une ambition forte : reconnecter Mayotte et La Réunion à leur environnement régional et international, tout en affirmant leur souveraineté et leur autonomie numériques.


La Réunion et Mayotte, tremplins de la France dans l’océan Indien
Pour le dirigeant d’Océinde, la France doit changer de regard sur ses territoires ultramarins. « On ne se rend pas compte de la richesse que représentent les Outre-mer. Depuis Paris, c’est souvent mal perçu, et c’est dommage. » Ces régions sont des relais d’influence, des bases d’expérimentation, et des ponts naturels vers l’Afrique et l’océan Indien : « Nous devons convaincre que nous ne sommes pas des structures de coût, mais de richesse », insiste-t-il. Cette logique de coopération régionale est au cœur de son action : « La Réunion et Mayotte peuvent jouer un rôle de trait d’union avec l’Afrique de l’Est et australe », estime-t-il, en citant les projets de fibre à Abidjan ou Dakar, ou encore la future ligne maritime Sud-Nord. « Chez nous, on parle de la « banane » pour désigner notre zone d’action stratégique : un arc qui relie La Réunion à Paris en passant par de nombreux pays d’Afrique. Cette trajectoire comprend des implantations solides en Algérie, au Gabon, au Cameroun, au Sénégal, à Madagascar, au Mozambique, entre autres. Nous répondons à des appels d’offres pour le déploiement de la fibre dans des capitales comme Abidjan ou Dakar, développons des projets de data centers, et explorons aussi de nouveaux projets dans l’élevage ou les énergies renouvelables, comme les pompes à chaleur. Tout ne se concrétise pas, mais nous restons à l’écoute des opportunités sur ces territoires. »
Vers un hub mondial de la donnée à La Réunion
Océinde a inauguré fin 2024, Omega 1, le premier data center Tier 3, de La Réunion qui permet de stocker des données localement sans dépendre de Paris ou de l’étranger. Mais pour Nassir Goulamaly, l’ambition va plus loin : faire de La Réunion un hub mondial de la donnée, entre Afrique, Asie et Europe. « Aujourd’hui, il n’existe pas encore de hub data pour l’Afrique subsaharienne. La Réunion peut le devenir. Nous sommes en Europe, avec une législation claire sur la protection des données. C’est un atout stratégique énorme. »
Ce projet s’accompagne d’un maillage logistique régional : câbles sous-marins entre l’Afrique du Sud et l’Inde, ligne maritime Sud-Nord entre la zone océan Indien et l’Europe, et interconnexions avec Madagascar, le Mozambique ou le Kenya. « Nos régions sont entourées de pays producteurs, mais il n’existe aucune fluidité d’échange. Il faut agir maintenant. » plaide-t-il.

Sa participation récente au déplacement officiel d’Emmanuel Macron dans l’océan Indien témoigne de la reconnaissance croissante accordée aux acteurs ultramarins. Aux côtés de Nassir Goulamaly, un autre entrepreneur ultramarin, le Martiniquais Thierry Déau, Président du groupe Meridiam, avait également été convié. « Cela montre que les Outre-mer ont une place importante », souligne-t-il. Convaincu de la richesse et du rôle stratégique des Outre-mer, Nassir Goulamaly entend continuer à porter leur voix avec conviction et exigence.
EG