Cyclone Chido : « À Mayotte, le passé nous a montré une intelligence de protection face aux cyclones et aujourd'hui, nous devons retrouver ce bon sens », Stéphane Aimé, co-gérant Tand'M Architectes

©Abby Saïd Adinani / Outremers360

Cyclone Chido : « À Mayotte, le passé nous a montré une intelligence de protection face aux cyclones et aujourd'hui, nous devons retrouver ce bon sens », Stéphane Aimé, co-gérant Tand'M Architectes

Le cyclone Chido, l’architecte Stéphane Aimé l’a vécu au milieu des familles de son quartier, chez lui, dans la localité de Cavani, à Mamoudzou. Sa maison, ancienne, a tenu le coup face aux vents violents enregistrés samedi 14 décembre. Elle a donc servi de refuge à ceux qui avaient rapidement perdu les toitures de leurs habitations. Dans l’urgence, lui et d’autres architectes bénévoles se sont employés à réaliser des diagnostics des écoles et à sécuriser leurs toitures. Aujourd’hui, alors que l’heure est à la réflexion sur la reconstruction de Mayotte, il invite à remettre au centre des discussions le savoir-faire du passé, qui a fait ses preuves.

À Mayotte, 25 jours après le passage du cyclone Chido, les habitats informels totalement détruits sont en pleine reconstruction. Alors que la saison des pluies amène son lot d’averses, les habitants du territoire n’ont pas le temps d’attendre. Ceux qui possèdent des maisons en dur dont la toiture n’a pas tenu s’emploient à trouver des bâches, des tôles ou à tout remplacer par du béton, le souvenir de leurs tôles envolées encore vivace dans leur esprit. « Il faut faire attention à ce raccourci de tout construire en béton, qui me semble être une très mauvaise réponse », prévient Stéphane Aimé, architecte et co-gérant de l’agence Tand'M Architectes. « En cas de séismes, cela pourrait être beaucoup plus destructeur que ce que l’on a vécu. »

Le jour où Chido a frappé Mayotte, la maison de Stéphane Aimé a fait office de refuge pour les habitants du quartier. « Elle a tenu grâce à sa conception qui a été pensée pour résister aux vents, avec des débords de toiture minimes et une structure solide. Ces principes architecturaux, autrefois évidents, sont aujourd’hui souvent oubliés, et c’est un tort », souligne-t-il. De cette catastrophe, l’homme installé à Mayotte depuis près de 24 ans retiendra la solidarité et la réactivité des personnes qui l’entourent. « Dans le quartier, nous nous sommes mobilisés très vite », raconte-t-il. « La première chose qu'on a faite, c'est de refaire un toit pour une cuisine collective. Progressivement, nous avons refait les toitures du voisinage. J’avais des outils portatifs. Les voisins avaient de bonnes vis… voir toutes ces personnes qui s'entraidaient était plutôt moteur. »

Chido Toit Même ! en action

Ce qui a commencé, pour Stéphane Aimé, par une opération de réhabilitation de voisinage prend rapidement de l’ampleur. « En tant qu'architecte, on a forcément envie de se rendre utile. » Après les habitations des environs, c’est aux écoles qu’il s’attaque avec l’aide d’autres architectes bénévoles. « On a réussi à obtenir très rapidement des toiles tissées imperméables grâce à des amis à La Réunion. » Le groupe « Chido Toit Même ! » se met en place. 

Objectif : diagnostiquer les écoles endommagées et couvrir les toitures qui pouvaient l’être. Le travail révélera des écarts criants dans la résistance des infrastructures. « Certaines écoles qui avaient été conçues comme refuges se sont révélées inadéquates face à l’intensité de Chido. Nous avons dû alerter les autorités locales pour déplacer les sinistrés dans des structures plus sûres », explique-t-il. Les architectes bénévoles ont également œuvré à des réparations temporaires essentielles pour la reprise scolaire. « À Cavani, nous avons pu remettre six salles de classe en état en un temps record. Cela a offert un lieu sûr aux élèves et aux enseignants, dans un contexte où les infrastructures éducatives étaient gravement affectées. »

Des maisons SIM qui ont tenu face au cyclone ©Abby Saïd Adinani / Outremers360

En tout, près de 30 % des écoles ont été jugées inutilisables à court terme. « Nous avons identifié les priorités, mais certaines situations demandaient des interventions structurelles profondes, bien au-delà de simples réparations », ajoute-t-il. La réflexion s’est rapidement tournée vers des solutions à moyen terme. « Nous avons travaillé avec les autorités locales pour cartographier les risques et établir une hiérarchie des priorités. Il fallait déterminer quels bâtiments pouvaient être sauvés et lesquels nécessitaient une reconstruction complète. »

Interrogé sur ses propres chantiers, réalisés par son agence, Stéphane Aimé estime que ceux-ci ont bien résisté, même si « certains points faibles ont été révélés par Chido ». Le site des Vitrines de M’Gombani, le siège d’EDM (Électricité de Mayotte) et de la SIM (Société Immobilière de Mayotte) ont tenu, tandis que certains bâtiments équipés de toitures textiles, comme les plateaux sportifs ou encore la Technopole de Dembéni, ont souffert. « Ces toitures étaient dimensionnées pour des vents de 210 km/h, mais Chido a dépassé ces seuils, provoquant des déchirures », analyse le co-gérant de Tand'M Architectes, mandaté pour la réalisation de ce chantier, inauguré en novembre 2024. « Les infrastructures internes sont cependant indemnes, témoignant d’une conception robuste au-delà de l’enveloppe extérieure.»

Revenir au savoir-faire d’antan

Alors que des images d’habitations détruites inondent le paysage médiatique et les réseaux sociaux, sur le terrain, un constat : beaucoup d’anciennes maisons ont mieux résisté que certaines constructions récentes. « Ma maison, qui est ancienne, est faite de briques et de tôles, mais elle était prévue pour affronter de tels phénomènes », précise Stéphane Aimé. À l’instar de sa bâtisse, d’autres quartiers ont très peu été impactés par le cyclone. « Neuf ou ancien, près de 50 % de notre parc a été touché et 20 % sévèrement », indique-t-on néanmoins à la Société Immobilière de Mayotte.

Pour Stéphane Aimé, les maisons construites avant 2011 ont souvent mieux tenu que les constructions récentes, car elles respectaient des normes anciennes mais adaptées. « À Mayotte, le passé nous a montré une intelligence de protection face aux cyclones et aujourd'hui, nous devons retrouver ce bon sens. Ces bâtiments étaient conçus avec des toitures adaptées, des structures capables de résister. Aujourd’hui, on veut tout réinventer, mais on oublie l’essentiel. »

"Chido Toit Même !" en action sur les toits des écoles ©DR

La réponse passerait donc par une redécouverte des savoir-faire locaux, en exploitant, par exemple, pleinement la brique de terre comprimée et les matériaux locaux. « Nous recevons des dons de containers ou de matériaux éphémères, mais ces éléments ne tiennent pas face aux aléas climatiques. Il faut construire durablement, avec les mains et les matériaux locaux », insiste celui qui appelle également à faire appel à des compétences extérieures pour appuyer ces efforts. « Nous avons vu, lors de projets passés comme les maisons SIM, l’efficacité des Compagnons du Devoir pour apporter une expertise technique et former sur place. Ce type de coopération est essentiel pour renforcer la résilience du territoire à long terme. »

Réfléchir l’après

Maintenant que l’urgence est passée, les architectes bénévoles ne partent plus à l’assaut des toits des écoles, mais à quelques jours de la rentrée scolaire, les difficultés demeurent pour accueillir tous les élèves de Mayotte. Selon les premières évaluations, environ 53 % des écoles peuvent déjà rouvrir leurs portes, tandis que ce chiffre pourrait grimper à 70 % avec des travaux mineurs. « Le Sud a été moins touché que le Nord, où des zones comme Acoua, M’Tsamboro et Bandraboua ont été durement frappées. Dans ces secteurs, des écoles doivent être totalement réhabilitées », explique Stéphane Aimé. Face aux disparités, il pourrait être envisagé de transférer temporairement des élèves vers des écoles moins impactées. « Ça, ça va être aux autorités compétentes d’en décider », souligne Stéphane Aimé.

Stéphane Aimé a reçu beaucoup de dons pour pouvoir aider ©Abby Saïd Adinani / Outremers360

À long terme, le co-gérant de Tand'M Architectes estime que la reconstruction de Mayotte doit devenir un modèle de résilience. « Il faut des normes adaptées, une cartographie des risques précise et, surtout, l’implication des entreprises locales. Former les jeunes, c’est essentiel pour créer une reconstruction durable et respectueuse du territoire ». Aujourd’hui, l’une des urgences pour lui est de rétablir rapidement l’électricité. « Dans le bassin économique d’abord », souligne-t-il. « À Kawéni, il y a beaucoup d’entreprises prêtes à reprendre le travail, mais qui n’ont toujours pas l’électricité. On a besoin de ces personnes pour aider à nettoyer tous les stigmates de cette catastrophe. Regardez ce qui se passe dès qu’il y a de grosses pluies… Il faut rapidement nettoyer les rues, les caniveaux… »

En attendant que Mayotte soit de nouveau totalement éclairée, l’agence réfléchit à des solutions innovantes, inspirées des techniques traditionnelles de Mayotte pour faire face à de potentiels autres phénomènes météorologiques. « Nous explorons la possibilité de relancer des projets collaboratifs, en impliquant les habitants à toutes les étapes. Ce modèle participatif peut non seulement renforcer les liens communautaires, mais aussi assurer une plus grande pérennité des constructions. » La solution pourrait passer par la mise en place de bâtiments qui servent à la fois de lieux de vie, de travail, mais aussi de refuges en cas de crise. « Nous y travaillons également. »

Abby Saïd Adinani