La restructuration de la filière Ylang-Ylang à Mayotte vient de franchir un nouveau cap avec la victoire, ce samedi 30 novembre, du projet Ylang Connect, porté par le producteur et distillateur Anwar Soumaila Moeva. Le président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Mayotte a ajouté ce week-end une nouvelle corde à son arc en se distinguant lors du Startup Weekend Mayotte, un événement mondialement reconnu qui offre aux participants une opportunité unique de transformer leurs idées en projets concrets, entourés d’experts et de mentors. Fort de cette distinction, qui va lui ouvrir les portes de l’international, celui qui se veut le porte-drapeau de l’emblème de Mayotte compte bien désormais positionner l’ylang-ylang sur le marché du luxe mondial.
L’information est passée quasi inaperçue et pourtant elle est d’importance : l’agriculteur mahorais Anwar Soumaila Moeva fait partie des grands gagnants du Startup Weekend Mayotte 2024 grâce à son projet Ylang Connect. Le concept de l’événement, incontournable dans le monde entrepreneurial, est simple : les participants ont un laps de temps limité pour transformer une idée en start up.
« L’idée derrière Ylang Connect, ce n’est pas seulement de relancer la filière ylang à Mayotte, mais de la repositionner sur la scène mondiale », explique le propriétaire de l’exploitation ‘Le Jardin d’Imany’, qui a planché du 28 au 30 novembre dernier sur la question. Il y pensait depuis un moment, mais franchir le pas semblait compliqué, au vu des difficultés sur le marché. Une rencontre avec Baobab Partners, un cabinet de plus en plus connu sur le territoire, l’a encouragé à faire de son idée un projet concret. « Baobab Partners nous a aidés à finaliser ce projet. Nous pouvons désormais anticiper les attentes des marchés étrangers, construire un plan économique solide… Cela a transformé notre projet ».
Ne manquait plus qu’une opportunité, qui s’est présentée il y a quelques jours à l’occasion du Startup Weekend Mayotte, organisé sur le territoire par Mayotte in Tech, la Mairie de Pamandzi et la French Tech Mayotte, avec l’accord de Techstars, le célèbre accélérateur de startups américain. L’événement, organisé, chaque année, dans 150 territoires, est une chance de développer des concepts, de construire des prototypes et, surtout, de soumettre son idée à un jury d’experts. « Nous avions une idée, qui est devenue projet. Maintenant, nous savons exactement de combien nous avons besoin pour structurer. La prochaine étape est de gagner en visibilité dans le monde ».
Or jaune cherche client exigeant
Grâce à cette distinction, Anwar Soumaila Moeva devrait se rendre prochainement à Madagascar et en Italie. Dans un premier temps, il participera à une formation immersive de deux semaines dans un incubateur à Antananarivo, dans le cadre du développement de Ylang Connect. « Madagascar est un acteur majeur dans la production d’ylang-ylang. Apprendre de leurs succès tout en valorisant la spécificité et la qualité unique de notre huile essentielle est essentiel pour le positionnement de Mayotte. C’est une étape importante ».
Le stage prévu en Italie est tout aussi stratégique. « L’Italie, c’est le cœur du marché du luxe. Les grandes maisons de parfumerie, les entreprises spécialisées dans les produits haut de gamme sont là. Ce séjour nous permettra de leur montrer que Mayotte peut répondre à leurs standards », indique le producteur. « J’ai beaucoup hésité avant de me lancer parce que j’avais peur de ne pas trouver ce client pour notre ylang, qui est certes plus cher qu’à Madagascar ou aux Comores, mais nous parlons ici d’un produit d’une rareté intrinsèque, d’une qualité inégalée, issue d’une production respectueuse des normes éthiques françaises et européennes. Aujourd’hui, je sais que ce client existe et que nous allons le trouver… Ou qu’il va nous trouver. Il nous faut être plus visibles ».
La visibilité internationale est donc un des enjeux pour repositionner l’ylang-ylang de Mayotte sur le marché mondial. Trop longtemps restés dans l’ombre, les acteurs de la filière, portés par le président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Mayotte, misent sur une stratégie globale, en participant notamment aux salons nationaux et internationaux, à l’instar du Salon International COSMETIC 360 qui s’est tenu en octobre dernier à Paris.
« Pendant trop longtemps, Mayotte a été absente des grandes discussions sur les huiles essentielles. Nous devons changer cela. Scientifiquement, il est prouvé que l’huile essentielle d’ylang-ylang de Mayotte est la meilleure de la région, et donc du monde, puisque la production mondiale provient essentiellement de l’océan Indien. Nous avons un produit qui raconte une histoire. Ce que recherchent les maisons de luxe, ce n’est pas juste une huile essentielle : c’est un produit avec une âme, un lien avec son territoire. Et c’est exactement ce que nous offrons ».
Pour un développement économique agricole
À travers la structuration et le développement de la filière Ylang-Ylang, un enjeu économique se dessine de manière certaine. Un enjeu politique aussi. « On parle quand même de notre emblème, de notre histoire, d’une économie qui peut être relancée… Si Mayotte s’appelle l’île aux parfums, ce n’est pas pour rien. Booster l’agriculture, cela passera aussi par cela. Or, pour le moment, je n’ai pas l’impression que les acteurs qui auraient pu faire bouger les choses aient avancé ».
Celui qui est, depuis 8 ans, président du Syndicat des Jeunes Agriculteurs de Mayotte, brigue désormais la présidence de la Chambre de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Aquaculture de Mayotte (CAPAM). À la question « qu’avez-vous fait ces dernières années ? », le producteur revient sur quelques chantiers. « Nous avons lancé des travaux fondamentaux d’importance, notamment sur les questions de sécurisation de notre foncier agricole ». L’accompagnement des agriculteurs a également été un enjeu majeur de cette mandature. « Beaucoup n’avaient même pas de compte bancaire dédié à leur activité agricole. Tout était mélangé, ce qui rendait impossible l’accès aux financements européens », explique-t-il.
Si pour Anwar Soumaila Moeva, le développement économique agricole est au cœur de la transformation nécessaire pour Mayotte, cela ne peut se faire, selon lui, sans une agriculture modernisée. Structurer les filières, garantir un accès au foncier et encourager l’installation des jeunes agriculteurs sont autant de priorités qu’il souhaiterait voir inscrites à l’ordre du jour de la CAPAM dans les prochains mois.
Cette future mandature sera d’autant plus scrutée que la Chambre sort de plusieurs années de crise, ayant dû, pour survivre, être placée sous la tutelle renforcée de l’État de 2016 à 2022. « La CAPAM doit enfin devenir une institution proactive, alignée avec les ambitions des producteurs, et un acteur clé dans la valorisation de Mayotte au-delà de ses frontières ». Pour le moment, les listes ne sont pas encore connues publiquement, mais les élections pour désigner les prochains représentants de la Chambre auront lieu en janvier 2025 et seront à suivre de près.
Abby Said Adinani