Dans le 101e département français, les élèves sont nombreux à suivre une scolarité jusqu’à leur 18 ans, puis à voir toutes les portes se fermer ensuite, faute de papiers. Avec la fin du droit du sol -aujourd’hui en suspens-, ils pourraient être encore plus nombreux.
Foulard sur la tête, en tenue traditionnelle, Amina (prénom modifié) affiche un visage grave qui la fait paraître plus âgée. Cette élève de troisième, scolarisée au collège de Ouangani, à l’ouest de l’île, a 15 ans et déjà « un peu d’appréhension à parler de l’avenir ». Des envies et des idées, elle en a, mais « ne sait pas si elles seront réalisables ».
Parmi les meilleurs de sa classe, elle devrait avoir son brevet haut la main. Une élève « très appliquée », dit d'elle Affad Mogni, son ancien professeur principal. Une fois son sésame en poche, elle espère intégrer une filière d’excellence du lycée de Tsararano (centre de Grande-Terre) pour « travailler dans les sciences ». Mais la période après-bac reste floue. Car autour d'elle, les échecs se multiplient.
Née à Anjouan, l'île voisine, Amina a grandi à Mayotte. Elle n’a connu quasiment que ce territoire d'Outre-mer mais n’a pas la nationalité française. Elle vit dans un banga (bidonville) avec ses parents, sans papiers, et ses quatre frères et sœurs. Son grand frère, âgé de 21 ans, qui vient de terminer une classe préparatoire scientifique, « devait partir à La Réunion l’année prochaine pour poursuivre des études d’ingénieur (...) Mais pour lui, (ce) sera une année blanche. Il n’a toujours pas de papiers », se désole la collégienne.
Une situation que vit également leur sœur de 20 ans qui souhaite intégrer une classe préparatoire : les écrits du concours d'entrée se déroulaient à Mayotte, mais les oraux, eux, ont lieu dans l’Hexagone. Et pour l'instant, toujours pas de laisser-passer, soupire Amina qui ne sait plus si elle doit ou pas persévérer dans ses études devant le peu de perspectives qui s’offrent à elle. « Ça me démoralise », confie-t-elle. « C’est un gros problème sur l’île, beaucoup d’élèves ont des parcours exemplaires jusqu’au bac puis ils sont freinés brutalement », regrette son professeur.
A Mayotte, le cas d’Amina et de ses frères et sœurs est loin d’être isolé. La fin du droit du sol, annoncé par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en février, ne devrait rien arranger. Depuis dimanche, avec la dissolution de l'Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnel visant à la suppression du droit du sol est toutefois en suspens.
Peu de perspectives
« Les enfants qui sortent du système scolaire et qui n’ont pas de papiers n’ont rien à faire et il faut bien qu’ils mangent… Cela ne fera qu’amplifier la violence », estime Djoumoi Ramia, conseiller au sein du Conseil économique, social et environnemental de Mayotte (CESEM). Fayina (prénom modifié), 20 ans, étudiante en BTS au lycée de Tsararano, est née à Dzaoudzi, sur Petite-Terre.
A l’âge de deux ans, ses parents ont été expulsés vers les Comores. Elle est revenue à Mayotte à 12 ans et a repris sa scolarité en classe de cinquième. Aux Comores, « j’ai fait une dépression, je ne me sentais pas à ma place. Et en revenant ici, c’était la même chose », confie la jeune femme qui souhaitait étudier le droit mais n’en a pas eu la possibilité, faute de titre de séjour. Elle vit cela comme une injustice, d’autant que sa grande sœur, elle, a des papiers.
La jeune fille, dont la famille vit dans un banga sans eau ni électricité à Vahibé, à quelques kilomètres à l'ouest de Mamoudzou, ne décolère pas : « Je garde espoir qu’un jour, on me donne mes papiers. Mais il y a de grandes chances pour que je n’ai rien ». « C’est de la faute de ce système s’il y a autant de délinquants. Après nos études, on nous laisse à la rue. Il faut bien survivre ». « C’est la galère, personne ne peut travailler. On a peur que notre maison soit détruite et de se faire attraper par les policiers », témoigne la jeune fille qui craint par-dessus tout de se retrouver isolée, sans sa famille.
« Mal au cœur »
Vivre loin de leur fils, c’est le choix qu’ont fait les parents de Nachi (prénom d'emprunt), pour espérer lui offrir un avenir. Né à Anjouan, le jeune homme de 21 ans raconte être venu « tout seul » à Mayotte en kwassa (pirogue utilisée par les passeurs) à l'âge de six ans, après un accident. « Je me suis cassé le bras gauche, l’hôpital a pu me soigner », se remémore-t-il. Il vit maintenant avec sa grand-mère, toujours en situation irrégulière.
« Ça fait 15 ans que je n’ai pas vu mes parents. Mon frère est décédé en 2022. On m’a prévenu au téléphone mais je n’ai pas pu aller sur place, ça m’a fait mal au cœur. Tant que je n’ai pas de carte de séjour, je ne peux pas y aller. » Le jeune homme ne sort d’ailleurs pas de chez lui. « Je fais le minimum de déplacements, j’ai peur qu’on m’expulse. Tant que ma situation sera compliquée, je serai malheureux », confie-t-il.
Aujourd’hui, Nachi est en CAP. Il aimerait continuer ses études. « C’est un combat. Même s’il y a des hauts et des bas, je n’abandonne pas. Personne ne pourra le faire à ma place alors je continue à me lever à 4h du matin pour aller étudier à l’autre bout de l’île et je rentre à 18h40. Je me dis qu’avec un diplôme français, je pourrais peut-être faire quelque chose. On ne peut rien faire de notre vie tant qu’on est étranger. »
Avec AFP