Tandis que la candidature de la montagne Pelée en Martinique sera examinée en septembre, et que celle des îles Marquises en Polynésie devrait être examinée en 2024, l’Ambassadrice de France à l’UNESCO a détaillé les quelques étapes entre le premier examen du Comité français à celui du Comité du Patrimoine mondial.
« C’est une procédure qui est quand même rigoureuse ». Mardi à Paris, le ministre polynésien de la Culture Heremoana Maamaatuaiahutapu ne cachait pas son soulagement. Car en déposant officiellement le dossier de candidature des îles Marquises sur le bureau de l’Ambassadrice de France à l’UNESCO, Véronique Roger-Lacan, le ministre sait que les porteurs de ce projet, qui aura duré 8 ans dans son élaboration, n’ont plus la mainmise sur celui-ci. Il appartient désormais aux scientifiques de l’UNESCO de l’apprécier et à l’État porteur, la France, de le défendre.
Ce dossier de candidature des îles Marquises est complexe. Un bien mixte nature et culture, cela faisait depuis les années 70, avec le Mont Perdue dans les Pyrénées, que la France n’en avait pas porté. Ajouté à cela, il s’agit d’un bien en série, c’est-à-dire, qui comprend plusieurs sites, plusieurs îles, qui ont un intérêt à la fois naturel mais aussi culturel. Les porteurs, que ce soit le Ministère de la Culture en Polynésie et surtout, les maires de l’archipel polynésien, ont fait plusieurs aller-retours entre la Collectivité et Paris pour parfaire le dossier, le peaufiner auprès du Comité français, de sorte que son inscription soit une évidence aux yeux du Comité du Patrimoine mondial.
« Tout ça peut mettre des années »
« On a instauré une sorte de procédure pour les candidatures présentées par la France à l’examen du Comité du Patrimoine mondial parce qu’il y en a énormément » a expliqué Véronique Roger-Lacan. « Nous avons un Comité français du Patrimoine mondial qui est notamment composé des architectes du Bâtiment de France, d’archéologues, de géologues, de vulcanologues et de toutes sortes d’experts en fonction des dossiers et des services de l’État », poursuit l’Ambassadrice. C’est ce Comité qui va examiner sa recevabilité d’une part, puis recommander les porteurs de projets tout au long de l’élaboration des candidatures, d'autre part. Le tout, selon les critères établis par l’UNESCO.
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Le « Comité examine les candidatures les unes après les autres, sélectionne celles qu’il estime pouvoir répondre au critère de valeur universelle exceptionnelle qui est LE critère d’inscription au Patrimoine mondial, critère prévu par la Convention sur le Patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 », détaille Véronique Roger-Lacan. « Lorsque ce Comité français décide qu’un bien corresponde à ce critère, il examine chacun des paramètres de jugement par le Comité du Patrimoine mondial : la valeur universelle exceptionnelle donc, mais aussi le périmètre du bien, ce qu’on va inclure dans le bien, la zone tampon, les attributs du bien, … Tout ça peut mettre des années ».
« Par exemple pour les îles Marquises, ça a mis 8 ans. Et je me souviens que l’année où j’ai rencontré le ministre Heremoana Maamaatuaiahutapu, c’est l’année où on examinait les attributs du bien » se rappelle l’Ambassadrice. « Et c’est deux ans après que le Comité français a estimé que le dossier était parfait, qu’il correspondait à cette valeur universelle exceptionnelle et que ce bien pouvait être inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité ». Une procédure rigoureuse et scrupuleuse qui fait dire à l’Ambassadrice que « quand la France présente un dossier, ça veut dire qu’elle est convaincue qu’un bien peut être inscrit au Patrimoine mondial. Et c’est à ce moment-là que la cérémonie de signature intervient ». Précisément ce qui a eu lieu mardi à Paris pour le dossier des îles Marquises.
Désormais, des missions scientifiques auront lieu sur l’archipel en septembre et en octobre. L’UNESCO a des équipes dédiées : l’ICOMOS pour les biens culturels et l’UICN pour les biens naturels. Pour le cas des Marquises, les deux organismes seront mobilisés sur le terrain. Ces visites permettent des échanges avec les porteurs du projet, des précisions, des interrogations sur certains points. Et à l’issue de celles-ci, les équipes scientifiques de l’UNESCO émettent leur recommandation d’inscription, de renvoi au Comité du patrimoine suivant, de renvoi à une date ultérieure ou tout simplement, de non inscription. Cette recommandation demeure secrète et rendue publique seulement six semaines avant la tenue du Comité. C’est à ce stade de la procédure que se situe la candidature de la Montagne Pelée en Martinique, qui passera devant le Comité en septembre.
« Des organisations très politiques »
À partir de la publication de la recommandation des organismes scientifiques de l’UNESCO, « l’État porteur (…) se met en relation avec les membres du Comité du Patrimoine, jury de l’examen. Donc, si c’est un avis d’inscription, normalement il n’y a pas de problème ». Mais, précise-t-elle, « ce Comité du Patrimoine mondial et l’UNESCO sont des organisations très politiques », citant l’exemple de la ville d’Odessa en Ukraine. En effet, le Comité du Patrimoine mondial s’est réuni mardi en urgence pour l’inscription de la ville bombardée par la Russie. « La recommandation de l’organisme d’évaluation ICOMOS est positive mais, bien évidemment, les Russes contestent ». Odessa a finalement été inscrite à l’UNESCO.
« Donc même s’il y a une recommandation d’inscription, il peut y avoir des considérations politiques qui font qu’un État pourrait le contester. La France n’a, pour l’heure, pas été dans ce genre de cas, mais on ne sait jamais, sans vouloir donner de mauvaises idées, des États pourraient remettre en question la France des Outre-mer » imagine l’Ambassadrice qui précise que la France a, jusqu’ici, eu uniquement des recommandations d’inscription ou de renvoi au Comité suivant. « Pour ce qui concerne les renvois, c’est que les organismes demandent des détails administratifs qu’il manque dans le dossier. Pour ce cas de figure, ça se travaille et on essaye de négocier avec les membres du Comité du Patrimoine pour que l’inscription se fasse tout de même ».
Il faut aussi savoir que des recommandations de non inscription ne sont pas synonyme de fatalité pour la candidature. Il y a trois ans, l’Arabie Saoudite a réussi à inscrire un bien malgré la recommandation de non inscription. Autre aspect politique, et très liée au contexte géopolitique : l’annulation de la session 2022, renvoyée à 2023 parce que sous présidence de la Russie. C’est la raison pour laquelle l’examen de la candidature martiniquaise a pris un an de retard.
Les biens classés en Outre-mer
Sur les 49 biens français inscrits au Patrimoine mondial, seuls 4 se situent en Outre-mer. Et il a fallu attendre 2008, et les lagons calédoniens, pour voir inscrire à l’UNESCO un premier bien en Outre-mer. Autant dire que les territoires ultramarins sont peu représentés, malgré leur poids dans la biodiversité française ou encore, le domaine maritime. En 2010, ce sont les Pitons, Cirques et Remparts de La Réunion qui ont été inscrits. Sept ans plus tard, le Marae Taputapuatea sur l’île de Raiatea rejoint la prestigieuse liste et devient le premier bien culturel ultramarin inscrit. Le dernier bien Outre-mer en date sont les Terres australes et Antarctiques Françaises. Et dans la liste indicative, en d’autres termes les candidatures reçues par le Comité français, on compte uniquement la montagne Pelée et les îles Marquises.
À noter également les inscriptions de la Yole de Martinique, le Gwoka de Guadeloupe et du Maloya de La Réunion sur la liste du Patrimoine mondial culturel immatériel de l’UNESCO.