Un orchestre symphonique au grand complet pour interpréter les musiques populaires des départements et territoires d’Outre-mer, c’est le challenge relevé par le KMS, le Kréyol Majestik Senfonik. 50 musiciens sur scène et un chef d’orchestre forment l’univers inédit du KMS.
L’aventure du Kréyol Majestik Senfonik s’est construite autour des pièces de mazurka créole composées par le Martiniquais Patrick Andrey Mitram. Et l’aventure est insolite à double titre : c’est une première qu’un orchestre symphonique se forme spécifiquement pour interpréter des œuvres issues du patrimoine « populaire » des Antilles françaises et que l’auteur-compositeur soit un contemporain encore en vie.
Ses partitions ne sont pas tout simplement jouées, elles sont vivantes, Patrick Andrey Mitram y mettant sa patte avec l’orchestre. C’est une complicité de travail qui s’est créée avec le chef d’orchestre Luc Bouhaben lequel reconnaît volontiers : « c’est une chance de travailler avec des compositeurs contemporains, ce qui me permet de ne pas imposer mes convictions musicales aux musiciens. Je m’approprie certes des compositions pour diriger, mais la complicité de travail avec le compositeur permet la fusion des savoirs ».
Virtuose percussionniste et chef d’orchestre éclectique depuis plus de 20 ans, Luc Bouhaben dirige plusieurs formations professionnelles et est professeur de direction d’orchestre à la CMF Côte d’Or. Il a voyagé plusieurs fois aux Antilles et a ressenti l’attachement porté par les Antillais à leurs musiques traditionnelles. La rencontre avec le compositeur martiniquais Patrick Andrey Mitram a été presque une évidence : « Le projet était intéressant et surtout fort », explique Luc Bouhaben, « car il est question de transmettre avec un orchestre classique les racines de la musique créole à travers les compositions de Patrick Andry Mitram, un compositeur à l’écriture subtile et parlante dès les premières notes ».
Le compositeur martiniquais a écrit onze mazurkas créoles et adapté une valse réunionnaise pour grand ensemble, ce qui constitue le répertoire du Kreyol Majestik Senfonik. Là aussi, il s’agit d’une première : l’écriture en symphonie de musiques populaires ultramarines. La mazurka créole naît aux Antilles au XIXe siècle, inspirée de la mazurka polonaise qui retentissait alors dans les salons des officiers de l’armée française à Fort-de-France. Un genre musical dont l’île s’approprie en y insufflant son rythme et ce côté dansant qui fait que dès les premières notes on sait qu’on est aux Antilles !
Le défi relevé par Patrick Andrey Mitram, natif de Saint-Joseph en Martinique, a été de mettre en partitions ce pan du patrimoine musical antillais voué à l’oubli sans aucune forme d’écriture. Le Kreyol Majestik Senfonik se forme alors pour la circonstance. Les 50 musiciens ont été sélectionnés dans les orchestres symphoniques des quatre coins de la France, car il fallait non seulement d’excellents musiciens prêts à sortir du « monde classique » mais aussi des musiciens prêts à s’adapter à un autre style telle la mazurka créole.
Et le chef d’orchestre Luc Bouhaben y tient à la précision : « C’est une question d’efficacité technique et d’ouverture d’esprit. Les musiciens du KMS n’avaient jamais joué ce type de musique ! Et il fallait que ça match très vite, trouver vite la couleur musicale. La caractéristique d’un orchestre symphonique est justement de trouver sa couleur, c’est elle qui définit la valeur de l’ensemble orchestral. Les musiciens sont arrivés à interpréter avec goût, finesse et justesse les compositions de Patrick Andrey Mitram. Au chef d’orchestre revient l’adaptation au style de musique et de faire en sorte que des choses pointues groovent ! Il ne s’agit pas seulement de jouer des notes, mais de restituer l’univers du compositeur ».
Le Kreyol Majestik Senfonik s’est retrouvé pour la première fois au grand complet en septembre 2019 pour enregistrer trois pièces du répertoire, disponibles aujourd’hui en DVD. Une première pour le compositeur Patrick Andrey Mitram qui ne cache pas une certaine émotion quand il évoque cet enregistrement dans une salle de Dijon : « C’était la première fois que j’entendais enfin mes pièces jouées par un vrai orchestre symphonique ! Jusque-là, je ne savais pas si ça allait marcher car il y a des difficultés rythmiques d’équilibre entre les pupitres à régler. A la base, j’ai composé et écrit à l’ordinateur en imaginant seulement le son dégagé par un orchestre grandeur nature ». Et le résultat est sans faille : le Kreyol Majestik Senfonik véhicule désormais les mazurkas créoles et avec elles, les musiques des Outre-mer à travers le monde.
Cet orchestre est insolite par sa démarche également, à savoir la transmission de ce patrimoine musical populaire des Outre-mer. Et pour ce faire, il est prêt à quitter l’espace fermé des théâtres pour aller à la rencontre des publics, surtout ceux qui n’ont jamais vu un orchestre symphonique de près. Le KMS entend ainsi créer des relations privilégiées avec son public, casser en quelque sorte les codes de la musique classique et établir la proximité. Une démarche qui a déjà séduit une commune du nord de l’île de La Réunion et débouché sur un projet de partenariat.
AM.
Kréyol Majestik Senfonik – Manicou ké volé (sur le thème d’Alexandre Stellio « Manicou volan »)