Suite aux récents événements qui agitent la Guadeloupe et la Martinique et avant de se rendre sur place Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, a indiqué qu'il n'aurait aucun tabou : « certains élus ont posé en creux la question de l'autonomie ». Joël Destom, membre du Comité économique et social Européen a été interpellé par ces mots mot et livre son regard.
« L’histoire de la Guadeloupe et le statut particulier », est le titre d’un article publié dans le n°44 (avril - juin 1961) de la « Revue Guadeloupéenne ». Quelques mois après les « évènements de 2009 », le n°155 (janvier - avril 2010) du « Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe » met en lumière cet article en raison de son intérêt historique, et j’ai eu le plaisir de rencontrer son auteur, Albert Larochelle.
Un homme érudit et passionnant par son histoire de vie, par ses nombreux engagements citoyens. Nous avons parlé de son époque et des figures d’antan, celle d’Éboué qu’il a bien connu, de Césaire, Delgrès, Mortenol, Monnerville, Schœlcher, Rodes… Albert Larochelle s’est éteint en septembre 2017, à l’âge de 94 ans, mais je n’ai pas oublié nos échanges sur l’identité guadeloupéenne, sur l’autonomie de la Guadeloupe. Il avait bien évoqué les positions politiques de Lucien Bernier ou encore de Maurice Satineau, mais insistait sur le regard des représentants de la société civile.
Dès lors, les mots de Sébastien Lecornu, Ministre des Outre-mer, prononcés le 26 novembre après une rencontre avec des élus, m’ont interpellé. Qu’est-ce qui autorise à dire que « certains élus ont posé la question en creux de l’autonomie » ? Pourquoi, comme cela a pu être le cas par le passé, la société civile ne mettrait pas du relief à une question posée en creux ?
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Albert Larochelle a écrit aux balbutiements de la départementalisation et présenté un projet de statut élaboré en octobre 1960. En début d’introduction, il exprime le souci de veiller à ce que « la documentation et le témoignage ne nuisent pas à la recherche de l’objectivité et au désir de présenter un document qui illustre le plus sensiblement possible les aspirations réelles d’une grande fraction de la population guadeloupéenne ». En fin d’introduction, il écrit avec beaucoup de lucidité : « Sans doute y aurait-il encore dans la vie du pays d’autres 4 mai. Les générations en place s’en retourneront alors à l’histoire et elles en feront la synthèse pour préparer leur avenir et le sauvegarder ».
La date du 4 mai 1958 qu’il mentionne, est celle d’un « colloque sur l’assimilation » organisé par la « Revue Guadeloupéenne » avec une contribution fondamentale à l’étude de la question statutaire dans les départements d’Outre-mer dans son n°34 de juillet 1958. La palette des participants est très large, représentative et deux points marquants semblent partagés par tous. Premièrement, toutes tendances confondues, il y a unanimité à rejeter une rupture juridique et institutionnelle avec la France.
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Deuxièmement, il y a unanimité à considérer que la départementalisation est un échec. Dès lors, deux groupes se structurent : celui des « socialistes et modérés » qui réclament une « départementalisation adaptée aux structures locales » et celui des « autonomistes » qui réclament un statut fédéral entre la France et ses anciennes colonies.
Aussi, dès les premières années de la départementalisation, la réflexion sur les rapports de l’archipel avec la France a été alimentée de façon ininterrompue.
Alors, quelle urgence singulière, il y aurait-il pour qu’au détour de la gestion d’une crise « sanitaire » devenue « plurielle », le représentant du gouvernement pose un cadre global depuis Paris et parle d’une autonomie, toujours considérée en local comme un « combat » pour la responsabilité donnée en proximité ?
Je repense à ceux de la génération d’Albert Larochelle. A la vérité, je comprends que le combat se déplace ! Les évènements qui marquent la Guadeloupe depuis quelques jours attestent de ce glissement !
Avant, ceux qui parlaient d’autonomie étaient, pour beaucoup, héritiers d’une jeunesse guadeloupéenne « dissidente ». Celle qui n’acceptait pas la défaite de la France, prenait des risques insensés, embarquait vers les îles britanniques de la Dominique, de Sainte-Lucie, apprenait la peur, les brimades et la ségrégation, tenait des barricades et faisait la Guerre, la Vraie !
Demain, ceux qui parleront d’autonomie pourraient être héritiers d’une autre jeunesse guadeloupéenne. Celle qui rejette une forme de défaite de la Guadeloupe, une situation qui ne peut plus rester en l’état. Celle qui réclame de l’humanisme, de la justice sociale et du développement durable. Celle qui le fait en organisant une autre forme de « dissidence » !
Non, ne nous trompons pas et résistons à la tentation des simplifications désastreuses. Ne soyons pas sourds et aveugles.
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Ne voyons-nous pas qu’aucun réel débat, une réflexion digne de ce nom, autorisant toutes les composantes de la société civile à s’exprimer n’a jamais été organisé ? N’entendons-nous pas d’autres régions de France demander résolument une nouvelle répartition des compétences entre l’État et les collectivités, sans jamais parler d’autonomie ? Sans jamais imaginer avoir moins d’égalité ?
Ne comprenons-nous pas que, sans passion aucune pour éviter les oppositions frontales et stériles, il s’agit de créer les conditions : du respect de l’ordre, de la sécurité des biens et des personnes, du fonctionnement des services publics, de la création d’entreprises et d’emplois, d’élaboration d’une vision d’avenir pour faire peuple sur un territoire… la « Guadeloupe qui aura toujours un statut particulier » ?
Joël Destom