TRIBUNE. Activité touristique et cas importés de Covid en Guadeloupe : « Sé an lanmen ka lavé lot* », par Sébastien Mathouraparsad

TRIBUNE. Activité touristique et cas importés de Covid en Guadeloupe : « Sé an lanmen ka lavé lot* », par Sébastien Mathouraparsad

Dressant le bilan d’une année 2020 difficile pour le secteur du tourisme en Guadeloupe, l’Économiste Sébastien Mathouraparsad, membre de l’ATOM, défend l’idée d’une taxe solidaire « yon a lot » : « un mécanisme de contribution solidaire supporté par chaque voyageur » pour « soutenir l’activité des établissements de santé de l’île, et leur permettre par exemple d’employer plus de professionnels de santé ou de revaloriser les salaires ». 

En décembre 2020, la Guadeloupe a accueilli près de 40 000 touristes et sera en janvier 2021 la 4ème ligne aérienne au rang mondial. Un succès qui s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs. En premier lieu, les mesures restrictives du déconfinement en métropole ont désincité le tourisme sur le sol national.  Nombreux ont boudé les vacances à la montagne étant donné que les remontées mécaniques étaient à l’arrêt. En deuxième lieu, la destination soleil avec des promotions imbattables a été la bienvenue pour exorciser la situation chaotique de l’automne confiné dans l’hexagone, et à l’étranger. Enfin, la Guadeloupe a joui de l’image d’une destination qui offrait le moins d’incertitudes étant donné que la discipline de la population locale avait permis à l’île d’échapper au confinement contrairement à l’hexagone.

La fréquentation touristique en Guadeloupe avant la crise du Covid-19

La fréquentation touristique en Guadeloupe avant la crise du Covid-19

Toutefois, la seconde vague a été dix fois plus meurtrière que la première en Guadeloupe, avec 167 décès recensés au 3 janvier 2021, contre seulement 13 début mai 2020, et ce justement en raison de cas importés durant l’été. 8 776 cas confirmés depuis le début de l’épidémie, c’est le dernier point épidémiologique de l’agence régionale de santé qui a jugé la situation « stabilisée ». Mais derrière les murs décrépis de la vieille bâtisse du CHU, sous les stigmates encore visibles de l’incendie dévastateur de 2017, la plus grande vigilance est de mise. L’hôpital, qui croule sous les dettes sociales et fournisseurs, a toujours la crainte de ne pas pouvoir gérer un trop grand afflux de malades alors que nous sommes entrés dans une nouvelle ère qui nous impose de composer avec la circulation des individus et des virus. Et, avec un quart des habitants souffrant de comorbidités et un territoire constamment soumis à des coupures d’eau, l’île est assise sur une poudrière.

Tourisme 2020 ? Un coup d’arrêt calamiteux 

D’un point de vue économique, le PIB est attendu en forte baisse pour 2020. Aussi la levée des barrières aux déplacements a été jugée très favorable par les professionnels du tourisme qui présageaient le risque d’extinction de plusieurs activités du secteur. C’est un secteur en proie à la concurrence des pays voisins, et dont le poids économique a régulièrement oscillé entre 3 et 5% du PIB régional. Depuis 2015 le secteur avait entamé une phase vertueuse. Le nombre de touristes était reparti à la hausse, atteignant un pic en 2019 avec 808 milles touristes et générant 11% de l’emploi total. Autant dire que la crise sanitaire de 2020 a marqué un coup d’arrêt dur pour le secteur. Sur les 9 premiers mois de l’année 2020, l’Insee a enregistré une baisse du nombre de touristes de l’ordre de 47% et une chute vertigineuse du chiffre d’affaires du secteur depuis février 2020.

L’arrêt instantané du tourisme a été fatal, avec des effets diffus sur le reste de l’économie. Et plus le territoire dépend du tourisme, plus les conséquences économiques sont importantes. En Guadeloupe, le premier secteur concerné est bien sûr les hôtels-restaurants. Se pose ici la question de la résilience des établissements, car ce sont davantage les structures de petite taille qui devraient s’inscrire dans la durabilité, à condition que leur trésorerie leur permette de survivre à la crise car il est peu probable que la trésorerie perdue pendant le confinement soit rattrapée.

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Le deuxième secteur le plus touché est celui de la filière canne-sucre-rhum qui correspond d’une part à une consommation directe des touristes, celle des hôtels-restaurants mais aussi à l’achat de souvenirs au départ de l’île. Outre la production et la commercialisation de rhum, il s’agit aussi de la production de cannes dont l’activité peut s’en trouver impactée. Le secteur des activités de service (récréatifs, loisirs, spectacles) est aussi concerné ainsi que les services tels que la location de véhicule, les organisateurs d’excursions.

Au final, selon nos résultats, une baisse du tourisme de 47% aurait entrainé un recul du PIB de -1,5% et une hausse des demandeurs d’emploi de +15%. Toutefois, les effets devraient être de moindre ampleur en raison du soutien de l’État et de la Région. Ceci dit, les étudiants qui font des extras dans les hôtels, restaurants échappent au chômage partiel, et subissent une perte de revenus.

Un tourisme solidaire ou la taxe yon a lot

L’embellie de fin d’année 2020 a donc donné du baume au cœur grâce aux facteurs tarifs et confiance qui ont joué un rôle important dans la destination Guadeloupe. Si ce sursaut touristique a été bénéfique pour les professionnels du secteur, les leçons de la deuxième vague nous rappellent que la recrudescence de l’épidémie vient de cas importés. Il est maintenant communément admis qu’une activité entrainant des externalités négatives, si elle ne peut cesser, doit dédommager ses victimes. Or, le tourisme est, d’une part, une activité qui n’est pas délocalisable et est d’autre part, à l’origine d’une recrudescence de cas, sans en être responsable. Ceci n’est pas sans rappeler le principe du pollueur-payeur.

Puisque le déplacement des individus augmente le risque de contamination, imaginons un mécanisme de contribution solidaire supporté par chaque voyageur. Imaginons qu’un tel dispositif soit destiné à soutenir l’activité des établissements de santé de l’île, et leur permettre par exemple d’employer plus de professionnels de santé ou de revaloriser les salaires. Imaginons une taxe yon a lot (solidaire,ndlr) qui amène par exemple à payer un montant qui ne en moyenne 25 euros par voyageur, soit le prix d’un restaurant. Un tel dispositif, qu’il faudrait fixer à un montant acceptable pour ne pas détériorer la compétitivité du secteur touristique, n’aurait pas d’impact sur l’économie locale puisqu’il serait payé par les visiteurs, et laisserait inchangées les dépenses des touristes sur le territoire. Pour l’année 2019, cela aurait généré un peu plus de deux millions d’euros.

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Puisque nous imaginons le produit de cette taxe destiné au soutien des établissements de santé, l’impact se fait d’abord ressentir au niveau de cette activité qui augmente son offre de services (+0,04%). La branche pourrait recruter davantage de personnel (+0,04%). Elle solliciterait aussi d’autres branches d’activités pour réaliser le surplus de services, comme des activités scientifiques (+0,05%), de la construction/rénovation (+0,11%). Par effets d’entrainement, il se produit globalement ensuite des impacts positifs sur le reste de l’économie, avec notamment une hausse des rémunérations (+0,03%) qui soutiendrait la consommation des ménages et exercerait une contribution positive sur le PIB (+0,02%) et réduirait la demande d’emploi (-0,17%).

Sébastien Mathouraparsad

Économiste (chercheur CREDDI et PEP)

*Il faut savoir s’entraider

La note complète ici