Après la Martinique, les îles Marquises espèrent, elles aussi, figurer prochainement au patrimoine mondial de l’Unesco. Au-delà de la reconnaissance d’une « valeur universelle exceptionnelle », l’inscription au sein du palmarès offre aux sites une meilleure protection du patrimoine ou de l’environnement. Elle promet surtout aux territoires des retombées économiques et un rebond touristique.
Article réalisé par Marion Durand.
Douze ans qu’elle est attendue. Cette décision pourrait changer l’avenir du territoire antillais. Dans quelques jours, le 17 septembre, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco rendra son avis sur l’inscription des volcans et forêts de la montagne Pelée et des Pitons du nord de la Martinique au sein du palmarès.
Si le résultat est incertain (l’étude pourrait être différée), en Martinique, la collectivité du territoire et le parc naturel régional sont impatients. « L’intérêt de cette candidature est de faire connaître au monde nos sites, ce sont de vrais atouts pour notre territoire, ils méritent d’être reconnus et protégés », justifie Gabrielle Mauvois, responsable des grands projets du Nord Caraïbes pour le Parc naturel régional de Martinique. « La valeur universelle exceptionnelle du bien a été confirmée par les experts de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il y a bel et bien plusieurs raisons qui justifient notre inscription au sein du patrimoine mondial ».
Cette notion de « valeur universelle exceptionnelle », condition sine qua non à toute inscription, est gage de rareté. L’inscription dit, entre les lignes, qu’il n’y a pas plus beau ailleurs et que ces sites sont uniques au monde. « La communauté internationale reconnaît que ces biens ont des valeurs qui transcendent les cultures et les générations. Il y a une aura très forte, » considère Erwan Cherel, responsable des aires protégées au Comité français de l’UICN. « Les sites d’Outre-mer, comme les lagons de Nouvelle-Calédonie, sont placés à la même hauteur que tous les autres biens classés, cette reconnaissance offre un rayonnement international ». Les volcans martiniquais s’élèveront peut-être aussi haut que le Machu Picchu au Brésil ou la Grande Muraille de Chine.
« L’effet patrimoine mondial »
Première conséquence de cette inscription au classement de l’Unesco : l’engouement touristique. Erwan Cherel l’assure : « il y a un effet patrimoine mondial ». Un site classé voit sa fréquentation augmenter de 30 à 40%. Cet attrait touristique est essentiel pour les territoires ultramarins, dont l’économie locale de certaines villes repose sur le tourisme. « La candidature de la Martinique est un projet qui sera favorable à l’activité économique grâce au tourisme. C’est un levier important de développement pour nos jeunes », poursuit Gabrielle Mauvois.
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En Polynésie française, l’inscription du site de Taputapuatea à l’Unesco a « favorisé l’augmentation de la fréquentation touristique sur l’île de Raiatea », assure Jean-Marc Mocellin, directeur de Tahiti Tourisme. Entre 2017 (année de labellisation) et 2019, la fréquentation a progressé de 35%, passant de 32 000 à 43 000 touristes environ. En 2022, Tahiti Tourisme dénombre 49 000 touristes chaque année, soit 17 000 de plus qu’en 2017. « Le bureau des visiteurs de Raiatea constate que les touristes venant leur réclamer des informations sur cette île demandent désormais systématiquement des indications sur le marae de Taputapuatea pour le visiter. Ce qui n’était pas le cas avant la labellisation Unesco. Autrement dit, il y a une curiosité suscitée et grandissante pour le site de la part des visiteurs qui veulent comprendre son caractère unique, le pourquoi de l’inscription à l’Unesco », développe le directeur.
Une reconnaissance culturelle
Les perspectives économiques offertes par l’afflux de touristes font rêver les territoires, mais ce n’est pas la seule raison qui pousse les collectivités à se lancer dans une candidature souvent fastidieuse. Il s’écoule généralement de nombreuses années entre le travail préparatoire et l’inscription à l’Unesco. Entre les premiers mois de procédure, les moyens humains et financiers, les déplacements, les études scientifiques… Porter une candidature au patrimoine mondial coûte beaucoup d'argent. « Ces processus sont lents et compliqués, il est difficile pour certains territoires de conduire un tel projet, analyse Erwan Cherel. Je ne sais pas si l’argent investit est récupéré au travers du tourisme mais au-delà de la dimension financière, les intérêts pour les sites sont vraiment nombreux. »
En 2017, lorsque l’Unesco statut favorablement pour le site polynésien, c’est la première fois qu’un bien ultramarin est inscrit en tant que bien culturel. Au cœur du site labellisé, se trouve le marae de Taputapuatea, un centre politique, cérémoniel et funéraire. « L’inscription au patrimoine mondial est une véritable reconnaissance de la culture polynésienne, ce marae est un lieu de référence pour toutes les communautés du Pacifique », se réjouit Anatauarii Leal-Tamarii, archéologue à la Direction de la culture et du patrimoine de Polynésie. Selon l’Unesco, « Taputapuatea illustre de manière exceptionnelle 1 000 ans de civilisation ma’ohi ».
La candidature marquisienne à l’Unesco, « Te Henua Enata - Les Îles Marquises », va dans ce sens. Pour Anatauarii Leal-Tamarii, coordinateur du volet culturel du dossier, « il y a la volonté que l’on reconnaisse la singularité de la culture marquisienne, non seulement au sein de la Polynésie, mais aussi dans le bassin Pacifique et à l’échelle internationale ». Le dossier ne sera pas étudié cette année par le Comité mais en juillet 2024, après le passage d’une délégation d’experts, en octobre prochain. La candidature porte à la fois sur le patrimoine naturel et culturel de l’archipel polynésien.
Des projets favorables à l’environnement
Tous les biens inscrits au patrimoine mondial doivent posséder un plan de gestion. Ce travail de fond est mené par les élus locaux et comprend des mesures de protection, de conservation et de mise en valeur du site.
« Notre plan de gestion, réalisé en collaboration avec les populations des marquises, est un tremplin pour le développement de l’archipel. Il faut trouver un équilibre entre le développement des îles et la préservation du site et de sa valeur universelle exceptionnelle, décrit Anatauarii Leal-Tamarii. Dans cette perspective, la Polynésie finance divers programmes comme des fouilles archéologiques, des opérations de restauration, des actions de lutte contre les espèces exotiques envahissantes ou des projets de gestion du domaine maritime.
L’Unesco est aussi a l’initiative de programmes menés sur une partie ou l’ensemble des biens inscrits. En 2021, l’organisation a par exemple lancé un projet de séquençage d’ADN environnemental (ADNe) pour mieux comprendre la biodiversité des sites marins classés. En Nouvelle-Calédonie, l’agence calédonienne de la Biodiversité et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) participent à cette campagne de science citoyenne. Dans les TAAF, des scientifiques de l’Institut polaire Paul-Emile Victor (Ipev) ont relevé des échantillons sur l’archipel des Kerguelen et sur l’île Amsterdam.
Des coopérations régionales et internationales
Dernier site ultramarin classé, les Terres et mers australes françaises ont intégré le palmarès en 2019. « On n’est pas une destination touristique. L’objectif de cette candidature était axé autour de la préservation et de la sanctuarisation de notre site. Il n’y avait pas de souhait d’en faire la promotion pour des activités humaines autres que des missions scientifiques. Il n’y a pas la même résonance pour nous que pour un autre site d’Outre-mer », décrit Nicolas Reymond, chef de service à la direction de l'environnement des TAAF.
Figurer au sein du palmarès offre, selon Capucine Pagniez, chargée des aires protégées, une « reconnaissance internationale de la bonne gestion des 600 000 km2 de réserve ». Cette inscription est, selon elle, un argument supplémentaire pour solliciter des financements ou mener des programmes de recherches à l’échelle européenne ou internationale.
Lorsqu’un site intègre le patrimoine mondial, ces gestionnaires rejoignent à leur tour de nombreux groupes ou associations, comme le réseau des gestionnaires de biens. « Les territoires ultramarins se retrouvent parfois isolés ou en décalage avec les réflexions nationales car leurs problématiques sont souvent bien différentes. L’Unesco permet d’intégrer des réseaux régionaux avec des territoires dont les interrogations sont similaires », estime Erwan Cherel pour qui l’aspect rassembleur d’une candidature est essentiel. « Une candidature a l’Unesco est un projet fédérateur. Il crée une dynamique très positive autour d’un bien ou d’un site. Les gens se rendent compte du caractère exceptionnel de leur territoire et de leur patrimoine, c’est une grande fierté ! »