TAAF : Chercheurs et agents techniques dénoncent des emplois précaires dans les stations polaires françaises

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TAAF : Chercheurs et agents techniques dénoncent des emplois précaires dans les stations polaires françaises

Les Volontaires en Service civique (VSC) recrutés dans les bases scientifiques des Terres australes et antarctiques françaises dénoncent leurs conditions de travail et leurs faibles indemnisations. Ils annoncent la mise en demeure de l'Institut polaire français et réclament une réflexion sur l’avenir de la recherche et de son financement.

 

Article rédigé par Marion Durand.

Faible indemnisation, charge de travail, personnel surqualifié, isolement non valorisé… Les chercheurs et agents techniques des districts d’Amsterdam, Crozet, Kerguelen et Terre Adélie, dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) dénoncent la « précarisation de leur situation » et la baisse de leur indemnisation, actuellement de 1050 euros par mois, pour des missions de 8 à 15 mois. « Bien que déjà sous-indemnisés, l'ensemble des Volontaires en Service Civiques (VSC) de l’Institut polaire a été informé, le 27 juin 2023, d'une perte d'indemnités liée au prélèvement de charges obligatoires ». Cette perte représente environ 9 % de leur indemnité.

Une trentaine de volontaires des stations antarctiques et subantarctiques informe, par voie de communiqué de presse, de la mise en demeure de l'Institut polaire Français Paul-Émile Victor (Ipev), en charge de la mise en œuvre des projets scientifiques dans ces stations. « Notre volonté n’est pas de nuire à la recherche polaire ou de montrer du doigt l’Ipev, on veut simplement que les conditions de travail des volontaires s’améliorent pour pérenniser l’avenir de la recherche », justifie Valentin Guillet, ingénieur au sein de la station scientifique Dumont d’Urville (Terre Adélie).

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Des contrats en service civique

De son côté, l’Institut polaire rappelle que cette baisse se fait « indépendamment de (leur) volonté, du fait d’un redressement de l’Urssaf ». La directrice adjointe, Nathalie Metzler, se dit « très surprise de cette mise en demeure » : « le dialogue a été entamé dès que nous avons prélevé les cotisations sociales imposées par l’organisme. L’Ipev ne peut pas prendre en charge ces cotisations ».

Interrogée sur les raisons d’une si faible d’indemnisation, la directrice adjointe martèle que ces contrats « ne sont pas des emplois » mais bien du volontariat en service civique dont l’indemnisation est prise en charge, en partie, par l’Etat. « Ils disent que l’Institut s’est montré déloyal vis-à-vis d’eux mais ils avaient connaissance de leur statut avant la signature de l’engagement. Ce qui les motive au départ, c’est d’aller travailler dans des sites isolés, sur des thématiques qui ont du sens, de s’engager pour la science. De nombreux volontaires rêvent de se rendre dans ces territoires inaccessibles pour le commun des mortels ».

Chaque année, l’Institut reçoit environ 250 candidatures pour 31 postes.

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Des personnels surqualifiés

Pour les volontaires, c’est justement ce statut de qui pose problème au regard de leurs responsabilités. « Biologiste en antarctique, Coordinateur logistique dans les Terres australes... Les postes proposés chaque année par l'Institut Polaire Français Paul-Émile Victor font rêver des centaines de personnes, désireuses de partir travailler dans ces territoires isolés. Mais derrière ces jolis noms se cache une exploitation du personnel recruté via des contrats de Volontaires de Services Civiques », peut-on lire dans le communiqué de presse.

Chaque année, dans les trois districts subantarctiques, une quarantaine de personnes rejoignent les régions polaires sous ce statut. Pour en bénéficier, les candidats doivent avoir moins de 30 ans et au minimum un BAC +2. La majorité d’entre-eux serait, « surqualifiée pour ce type de contrat, normalement destinée à introduire au monde du travail », comme le confirme Valentin Guillet, ingénieur dans la base scientifique Dumont d’Urville. « J’ai un bac +5, une collègue vétérinaire sur la station a un bac +10. On veut un recrutement à la hauteur de nos compétences ! » L’Ipev réfute quant à elle cette notion de « surqualification ».

Une fois sur place, les chercheurs font face à d’importantes responsabilités. Valentin Guillet, en charge des mesures atmosphériques qui alimente un réseau international d’étude de la couche d’ozone, vit en décalé, souvent de nuit. Les horaires et la charge de travail sont, selon les volontaires, « incompatibles avec leur type de contrat, car dépassant les taux horaires légaux de VSC qui sont le plus souvent de 39 heures, et exceptionnellement de 48 heures réparties au maximum sur 6 jours. En effet, avec des techniciens effectuant des quarts de nuit en plus de leur semaine de travail, ou des scientifiques pouvant réaliser des missions de terrain de plusieurs semaines consécutives sans jour de repos, la réalité du terrain est bien éloignée de ces quotas. »

« S’il n’y a plus de volontaire en service civique, il n’y a plus de science dans les régions polaires »

Pourquoi ne pas convertir ces postes en CDD par exemple ? « Les contrats en service civique n’entrent pas dans les plafonds d’emplois de l’opérateur public. Or, la loi de finances nous autorise un plafond d’emplois à hauteur de 53 cette année, ce qui nous permet d’embaucher des agents publics de droit privé en CDI, des agents publics en CDD et c’est tout. Le service civique nous permet de recruter environ 40 VSC », justifie Nathalie Metzler.

Ces volontaires, souvent passionnés par le métier, craignent pour l’avenir de la recherche polaire française. Au-delà de la question de la rémunération, ils souhaitent surtout « une évolution de leur statut sur le long terme ». « Nous sommes pleinement conscient du travail incroyable fournit par l’Ipev avec un si petit budget ! Il y a avant tout un problème de moyen humain et financier, rappelle Valentin Guillet. S’il n’y a plus de volontaire en service civique, il n’y a plus de science dans les régions polaires françaises. La recherche ne peut pas être menée avec des emplois précaires »

Pour appuyer leurs revendications, les volontaires ont contacté une quinzaine de députés. Parmi eux, l’écologiste de la Nupes Hubert Julien-Laferrière, élu de la 2ème circonscription du Rhône, leur a apporté son soutien et s’entretiendra avec eux d’ici mercredi 20 septembre.

L’avis de l’Institut polaire français concernant la mise en demeure n’est pas encore connu mais Nathalie Metzler nous indique qu’aucune suite favorable ne sera donnée du fait de l’impossibilité de revaloriser ces contrats en CDD.

La directrice adjointe a mené des discussions avec les volontaires ce mardi 19 septembre sur l’avenir de leurs contrats. En effet, depuis quelques jours, certains volontaires ne sont plus sous contrat, ce qui entraîne un arrêt de leur indemnisation et l’absence d’une couverture en cas d’accident. Les volontaires ont toutefois indiqué qu’ils ne signeraient rien sans une première réponse de la part de l’Ipev à propos de la mise en demeure.