Sept chercheuses des Outre-mer ont été récompensées du prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science, ce jeudi 7 octobre à Paris. Elles viennent ou sont actuellement chercheuses en Guadeloupe, à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Laëtitia Baringthon quitte l’Hexagone à l’âge de douze ans pour suivre ses parents dans leurs Antilles natales. Collège, lycée puis classe préparatoire s’enchaînent dans l’archipel antillais à mesure que son goût pour la science – « sa vocation » – se renforce. Pour la suite de ses études, Laëtitia Baringthon revient en Île-de-France, à 8 000 kilomètres de sa famille, son « moteur ».
Elle commence en 2018 son doctorat en Physique fondamentale dans le but d’améliorer les technologies de l’information et de la communication. Il s’insère dans un domaine fondamental, appelé spintronique, qui vise à exploiter une propriété quantique de l’électron : le spin. Son travail consiste à fabriquer et à tester des matériaux de quelques atomes d’épaisseur avec de nouvelles propriétés qui seront peut-être dans nos ordinateurs de demain. Passionnée par les analyses de données « car les résultats sont rarement comme on les attend », Laëtitia Baringthon ambitionne de parvenir à augmenter la vitesse de traitement des données et la densité d’intégration tout en diminuant la consommation d’énergie électrique des composants.
Bien que confrontée à divers préjugés liés au manque de diversité, son parcours et son entourage scientifique témoignent d’une évolution plus égalitaire. Laetitia a une grande partie de sa famille aux Antilles (ses parents vivent en Guadeloupe à Saint-Anne, et sa sœur en Martinique à Fort de France). Elle y retourne aussi souvent que possible, quasiment tous les ans.
« Nous devons être plus nombreux et nombreuses à nous exprimer, pour que tous les jeunes, dans toutes leurs diversités sachent qu’ils ont leur place dans la science et que leur rôle y sera essentiel pour modeler un monde plus inclusif. », plaide la jeune chercheuse, récompensée dans la catégorie Physique-Chimie.
Originaire de Cuba, Gladys Gutiérrez Bugallo hérite de la passion pour les sciences de sa mère microbiologiste. Encouragée par des professeurs, elle étudie la biochimie à l’Université de la Havane. Elle est actuellement doctorante au Laboratoire d’études sur le contrôle de vecteurs, Institut Pasteur de Guadeloupe, France et Laboratoire de Toxicologie et Génétique, Département de Contrôle des Vecteurs, Institut de Médecine Tropicale Pedro Kourí, Cuba. Elle cherche à définir les modes de transmission de virus par des moustiques à Cuba.
Pour la chercheuse, le faible nombre de femmes en science résulte de « siècles de discrimination difficiles à effacer ». Elle considère ainsi avoir « le devoir de servir d’exemple pour les jeunes filles s’intéressant à la science » et souhaite défaire les stéréotypes associés à la poursuite d’une carrière scientifique. Elle a été récompensée dans la catégorie Sciences de la Santé et Médecine.
Originaire de Pointe-à-Pitre, Lovely Euphrasie-Clotilde est post-doctorante au département de recherche en géosciences, KaruSpère, aux Abymes, en Guadeloupe. Elle cherche à caractériser l’impact des brumes de sable africaines sur la qualité de l’air du bassin Caribéen.
Ses travaux visent à adapter les seuils européens liés à la qualité de l’air au contexte caribéen. Une adaptation qui a permis d’une part, de sensibiliser la population aux évènements comme les brumes de sable, et d’autre part, à mieux appréhender ce phénomène saisonnier qui a un impact sanitaire significatif. Notamment, pour les personnes à risques tels que les enfants, les personnes âgées ou celles présentant des pathologies respiratoires et cardiaques.
« En débutant mon doctorat, j’ai compris que la recherche, qui m’a toujours terrifiée, était ma véritable passion », explique-t-elle. Pour le financement de sa thèse, la chercheuse fait face à quelques difficultés, qu’elle estime récurrentes pour les doctorantes, notamment lorsqu’elles sont mères. En effet, la lauréate, primée dans la catégorie Sciences de l’Environnement et de la Terre, est maman depuis l’âge de 20 ans.
Née à Auxerre, Daphné Lemasquerier a passé la majeure partie de son enfance à l’île de La Réunion. L’environnement exceptionnel de ce territoire, d’une grande richesse biologique et géologique avec son volcan et ses forêts primaires, influence sa vocation et sa curiosité. Elle est actuellement doctorante à l'Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre (IRPHE), CNRS, Aix-Marseille Université, École centrale de Marseille.
Ses recherches s’attachent à modéliser la dynamique observée dans l’atmosphère de Jupiter à l’aide d’expériences de mécanique des fluides en rotation, de simulations numériques et de modèles théoriques. Elle s’intéresse en particulier aux vents est-ouest intenses à l’origine des bandes de Jupiter, ou encore aux grands tourbillons tels que la Grande Tache rouge. Peu avant le début de son doctorat, de précieuses informations sur cette planète géante gazeuse étaient obtenues par la mission Juno de la NASA, en orbite depuis 2016 autour de Jupiter. La jeune femme a été primée dans la catégorie physique et chimie.
Cathucia Andriamihaja est post-doctorante à l'Université de La Réunion. Elle cherche à comprendre l’évolution et la biologie d’un groupe d’orchidées en vue de les conserver. Originaire de Madagascar, Cathucia Andriamihaja réalise la majeure partie de sa scolarité dans son pays natal, entourée d’une famille de scientifiques : sa mère est médecin, son père travaillait dans le génie civil. En 2016, elle intègre le master Biodiversité des Écosystèmes Tropicaux Terrestres de l’Université de La Réunion.
Sur l’île, elle poursuit sa thèse en génétique et biologie des populations. Devenir mère durant sa première année de thèse a été un défi : « il n’était pas question de me séparer de ma fille ni d’abandonner mes travaux de recherche », explique la chercheuse, lauréate en catégorie Sciences de l’Environnement et de la Terre. Par ailleurs, elle considère que le fait d’être une femme dans la science lui a permis de développer cette ténacité et cette capacité d’adaptation. Elle espère désormais pouvoir promouvoir la science auprès des nouvelles générations de jeunes filles et les inciter à se diriger dans cette voie.
Aujourd’hui, Cathucia Andriamihaja étudie des espèces de vanilliers aphylles menacées par les changements environnementaux – dépourvues de feuilles – rencontrées uniquement à Madagascar. Formées en réponse aux conditions de sécheresse, ces espèces constituent un modèle d’étude pertinent pour améliorer la compréhension des mécanismes d’évolution des plantes dans le contexte de changement climatique. Afin de collecter des échantillons et d’expérimenter dans les forêts, cette passionnée de voyages et de sports extrêmes a parcouru la côte ouest de Madagascar sur une distance de plus de 4 000 kilomètres.
Tepoerau Mai est post-doctorante au Laboratoire Écologie Marine Tropical des Océans Pacifique et Indien en Nouvelle Calédonie. Elle cherche à anticiper les risques sanitaires liés aux micro-algues toxiques en Nouvelle-Calédonie. Originaire de Tahiti, Tepoerau Mai étudie jusqu’au baccalauréat sur cette île de la Polynésie française. Jeune, elle est parfois soignée aux ra’au Tahiti, remèdes traditionnels à base de plantes. Combinant cet héritage culturel et son goût des sciences, elle opte pour un cursus permettant de comprendre les bienfaits des plantes sur la santé.
Depuis 2021, Tepoerau Mai travaille à l’Ifremer de Nouvelle-Calédonie sur l’évaluation de l'impact des facteurs physico-chimiques sur la physiologie et la production toxinique de micro-algues nuisibles et toxiques. Ses recherches ont pour vocation d’évaluer le potentiel risque sanitaire de ces espèces en Nouvelle-Calédonie, et leurs conséquences sur la pêche et la baignade. « Mon travail consiste à identifier les espèces présentes en Nouvelle-Calédonie et d’évaluer la toxicité de ces micro-algues », nous a expliqué la jeune chercheuse, primée en catégorie Physique-Chimie.
« Les micro-algues toxiques sont la cause de certaines maladies, notamment de la ciguatera », bien connue dans le Pacifique sud. « On va chercher en Nouvelle-Calédonie des espèces de micro-algues pouvant potentiellement conduire à la ciguatera, mieux les connaître (…), et comparer avec les autres espèces de micro-algues présentes dans le Pacifique ». Naturellement présentes dans l’environnement, « les micro-algues produisent des molécules pour se défendre » précise-t-elle encore. Des défenses dont la particularité est de n’être toxiques que pour l’être humain.
« La bourse L’Oréal-UNESCO représente une reconnaissance » confie la jeune chercheuse. Une reconnaissance à la fois pour les travaux menés mais aussi pour son « engagement pour la science ». « Le plus difficile pour une Polynésienne venant d’un milieu insulaire c’est de s’expatrier en Métropole pendant plusieurs années », poursuit-elle. « Très peu de Polynésiennes exercent le métier de chercheuse » note-t-elle d’ailleurs, soulignant « une fierté ». Cette récompense permettra à Tepoerau Mai de venir en mission dans l’Hexagone « pour me former à des techniques d’analyses chimiques » et « faire de la diffusion scientifique ».
Originaire d’Occitanie, Pauline Palmas est post-doctorante à l’université de Polynésie française, Labex Corail, Faa’a, Tahiti. Elle cherche à évaluer la menace des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité des îles. Parmi les prédateurs envahissants, ses recherches concernent plus particulièrement le chat haret, un carnivore responsable de 26 % des extinctions récentes de vertébrés à l’échelle mondiale. La Polynésie française étant particulièrement concernée par cette crise d’extinction, Pauline Palmas évalue les impacts de ce prédateur et teste des hypothèses en contexte de multi-invasions, au sein de l’Université de Polynésie française.
Son but : déterminer les îles où des actions de gestion doivent être implémentées d’urgence pour la préservation de la biodiversité, tout en innovant dans la méthode de suivi des populations animales (caméras automatisées, intelligence artificielle). La nature n’est bien sûr pas qu’un simple lieu de travail pour la chercheuse : « l’observation et expérimentation de la nature est vitale pour moi », confie-t-elle.
Pour Pauline Palmas, « le partage de connaissances scientifiques, transparent et désintéressé, garantit des avancées plus rapides et inclusives ». Ainsi, elle souhaite un meilleur équilibre dans la représentation des genres en science afin d’élargir le spectre des recherches et augmenter les découvertes : « un équilibre et une égalité femmes-hommes dans tous types de structure me paraissent garantir un meilleur fonctionnement », précise la chercheuse, lauréate dans la catégorie Sciences de l’Environnement et de la Terre.
Le Prix Jeunes Talents L'Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science représente une belle reconnaissance pour elles : non seulement il va leur permettre de financer ses recherches, mais il fait aussi gage de soutien pour leur statut de femme en science, et les encourager à continuer sur cette voie. Récompensées pour leur parcours émérite et leurs travaux brillants, elles recevront une bourse de recherche (15 000 euros pour les doctorantes et 20 000 euros pour les post-doctorantes) et bénéficieront d'un programme de formation au leadership, complémentaire à leur parcours scientifique, afin d'avoir les moyens de briser plus facilement le plafond de verre.
Aujourd'hui encore en France, les femmes sont sous - représentées dans les études et les professions de recherche : on ne compte que 36 % de femmes en doctorat, 26 % de femmes en écoles d'ingénieurs et 28 % de femmes parmi les chercheurs. En Europe, seulement 14 % des hautes fonctions académiques en science sont exercées par des femmes, et, au niveau mondial, seules 3 % de femmes ont été récompensées par des prix Nobel scientifiques.