Relance économique dans les territoires des Outre-mer : Échanges et perspectives

Relance économique dans les territoires des Outre-mer : Échanges et perspectives

C’était un rendez-vous attendu par les différents acteurs économiques ultramarins : le webinaire à l’initiative d’Outremer360, intitulé « Relance en Outre-mer : Quels remèdes pour les économies locales ultramarines ? », réunissait les acteurs économiques des territoires. Ils étaient 8 invités autour de Luc Laventure, pour livrer leurs analyses et solutions autour d’un objectif : comment préparer la relance économique dans les différents territoires d’Outre-mer, alors que la crise Covid se prolonge ? Des échanges qui ont duré 2 heures et qui étaient à suivre le jeudi 26 novembre en direct sur les pages Facebook, twitter et sur le compte Youtube d’Outremers360.

Comment relancer l’activité dans les différents territoires d’Outre-mer ? Quelles sont les aides mises en place et sont-elles efficaces ? Faut-il privilégier la sécurité économique ou la sécurité sanitaire ?

Voilà autant de questions qui ont été posées aux différents participants du webinaire économique organisé quelques jours après l’examen du rapport des sénateurs Georges Patient et Teva Rohfritsch autour du Projet de Loi de Finances pour 2021 – Outre-mer. Les acteurs tel que  : Thara Govindin, présidente du Medef Guyane ; Éric Leung, Président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME) Réunion  ; Jean-Baptiste Rotsen, Vice-président du Cap Nord Martinique, ; Hervé Honoré, Président du Comité territorial Action logement Martinique et dirigeant du groupe Hyacinthe  ; Jacques Fayel, Vice-président de l’Union des Entreprises- Medef Guadeloupe, ont pu faire part de leurs analyses et des difficultés qui sont les leurs face à une crise Covid qui perdure.

Étaient également présents : deux représentants de ceux qui pourraient être les leviers de cette relance économique : Hervé Tonnaire, Directeur des Outre-mer et Directeur régional Pacifique au sein de la Banque des Territoires et Dominique Caignart ; Directeur du réseau Outre-mer de la Banque Publique d’Investissement (BPI). La synthèse de ces échanges a été faite grâce au Grand Témoin de ce webinaire : Jean-Pierre Philibert, Président de la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom). Il en a profité pour donner quelques pistes de réflexion pour sortir ce qu’il appelle « une situation économique en confinement » dans les territoires d’Outre-mer.

Un état des lieux sans concession 

Qu’ils soient du secteur privé ou public ; à La Réunion, en Guyane ou à Paris, tous les participants dressent ce même constat : ce qui était perçu, il y a quelques mois comme une crise avec une durée limitée, devient une crise d’ampleur. « La dernière fois que nous nous étions vus, nous pensions qu’il y aurait un confinement, et qu’après nous aurions un plan de reprise ambitieux, qui partirait rapidement », a indiqué en préambule Hervé Tonnaire, Directeur des Outre-mer au sein de la Banque des Territoires.

« Cette crise dure et elle risque de connaître des rebondissements. Nous sommes tous en train d’être saisis pour préparer le futur et remettre des fonds propres, en maintenant l’actionnariat local. L’enjeu est important. Nous sommes pleinement engagés dans ce plan de soutien dans un esprit de complémentarité avec l’État, les collectivités, les acteurs publics, les acteurs institutionnels et économiques ainsi que les représentants des syndicats patronaux », a poursuivi celui qui définit la Banque des Territoires comme « une institution d’intérêt général au service de l’économie ».

Car la crise dure. Pire, elle s’ajoute aux crises que traversent déjà les territoires ultramarins depuis quelques années, qu’elles soient sociales, sanitaires ou liées aux intempéries. Les économies ultramarines déjà fragilisées doivent donc se réinventer pour espérer une relance à la hauteur des enjeux. « Le nerf de la guerre, c’est la trésorerie, le manque de fonds propres des entreprises », a souligné Éric Leung, Président de la CPME Réunion. « Il faut remettre de l’essence dans les entreprises en fonds propres ou non. Sur l’île de La Réunion, nous avons perdu 28 % de notre activité pendant la période de confinement de deux mois. Il y a eu des mesures de l’État, avec le prêt garanti par l’État (PGE), le Fond de solidarité nationale de 100 millions d’euros et le Fond de solidarité régionale de 110 millions d’euros ».

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Même s’il a salué les efforts de l’État et du Conseil Régional de La Réunion pour répondre rapidement aux difficultés rencontrées par les entrepreneurs, le président de la CPME Réunion a tout de même indiqué qu’il y avait une disparité dans la répartition de ces aides : 6% des entreprises réunionnaises ont obtenu 54% des prêts garantis par l’État. Sur 150 000 entreprises ultramarines, 75% rencontrent des difficultés de trésorerie. 15% n’ont pas de solutions.

Des propos corroborés par Hervé Honoré, Président du Comité territorial Action logement Martinique et dirigeant du groupe Hyacinthe, spécialisé dans les secteurs des services à la personne, des services de mobilité, ainsi que la distribution non alimentaire, à la Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. « On s’endette pour compenser une perte de chiffre d’affaires, mais ça va être compliqué pour nous de redémarrer en 2021 » qui a également expliqué enregistrer près de 70 % de perte d’activité depuis le début de la crise.

Sauver les tissus économiques existants 

Face à l’inquiétude d’Hervé Honoré, qui reflète celle de tous les entrepreneurs ultramarins, des réponses concrètes et pragmatiques ont été apportées par Dominique Caignart ; Directeur du réseau Outre-mer de la Banque Publique d’Investissement (BPI) : « La question est fondamentale, puisqu’elle va toucher toutes les entreprises. On a enregistré un endettement de plus de 100 milliards du côté des entreprises françaises, lors de la première phase et là on va entrer dans la deuxième phase. La BPI a tenu un rôle essentiel lors de la mise en place du PGE. 16 000 entreprises ont bénéficié de trois milliards de PGE. On craignait que les Outre-mer soient moins bien dotées… C’est le contraire. Tout le monde l’aura, Monsieur Honoré. La bonne nouvelle, c’est que l’État est conscient qu’il va devoir trouver une solution. L’ensemble de la profession bancaire est en train de réfléchir à la suite. On pense notamment à des prêts participatifs ».

À cela s’ajoutent différentes mesures d’urgence, que ce soit dans les secteurs touristiques ou autres. « Nous sommes engagés dans le plan de relance du tourisme, par exemple, car il est vital pour certains territoires. En Polynésie française, 27 % des emplois marchands sont liés au tourisme, d’où le fait que les frontières soient restées ouvertes un moment », a indiqué Hervé Tonnaire. « Il y a également ce plan relance qu’on est en train de conduire sur le logement social. Il s’agit d’un milliard d’euros injectés cette année ! On essaye de faire tout cela de manière plus structurelle, mais personne ne peut gagner seul. Nous devons tous être mobilisés. Nous le sommes déjà ».

Crises dans la Crise 

Certains territoires, à l’instar de la Martinique, subissent des crises dans la crise. C’est ce qu’a expliqué Jean-Baptiste Rotsen, Vice-président du Cap Nord Martinique, la Communauté d’Agglomération du Pays Nord Martinique qui regroupe 18 communes sur les 34 du territoire, et également directeur général de la CCI de Matinique. « Le seul département ultramarin à avoir été confiné, en même temps que le territoire national, a subi dernièrement, tout comme la Guadeloupe, de sévères intempéries. Les enveloppes budgétaires qu’il faudrait mobiliser pour les réparations dépassent les possibilités financières des personnes concernées », a affirmé le Vice-président du syndicat de communes, qui a dressé un triste bilan : des dégâts considérables au niveau de l’habitat, des réseaux routiers, des voies de circulations et des infrastructures d’alimentation en eau potable.

« L’impact de cette crise est tel, qu’on dépasse une implication au seul niveau des communes. C’est une crise dans la crise à caractère social. Il faut le dire, les services de l’État nous aident beaucoup. Il y a un élément nouveau : Bruno Nestor Azerot, président de CAP Nord Martinique, n’a cessé d’avoir au téléphone le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu. Nous avons eu en face de nous un ministre pragmatique, en soutien aux acteurs locaux et aux élus. C’est peut-être la mise en place d’un nouveau modèle de gouvernance de ces crises », a poursuivi Jean-Baptiste Rotsen, indiquant qu’un rendez-vous était prévu la semaine prochaine avec le ministre. « C’est l’occasion pour nous de rebattre les cartes. Il nous appartient de nous dire quelle économie, quel type de développement nous voulons mettre en place. Tel est l’enjeu de ce déplacement ».

Réfléchir à de nouvelles économies

La crise Covid sera-t-elle le déclencheur d’une profonde modification autour des économies ultramarines ? Pour Thara Govindin, présidente du Medef Guyane, c’est une évidence : « Il y a une réalité : la crise. Elle s’éternise. Aujourd’hui le vrai sujet, c’est la reprise. Pour le cas de la Guyane, nous devons tenir compte de notre contexte environnemental, et réfléchir au développement d’une économie Amazonienne et durable. Il faut mettre en œuvre de nouvelles stratégies de développement économique. Le projet ‘Guyane Symbiose’ s’inscrit dans cette dynamique. Nous devons sortir du ‘tout écologique contre le tout industriel’. Il y a chaque année, près de 10 000 personnes employées illégalement sur le secteur de l’or. On parle de 10 à 20 tonnes d’or qui représentent près de 500 millions d’euros. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le rapport de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (Iedom) ».

Jacques Fayel, Vice-président de l’Union des Entreprises – Medef Guadeloupe, va encore plus loin. La réflexion est devenue un projet qui a été présenté il y a quelques jours : Plan de relance – 2030 : Guadeloupe, Jardin créole. Le Concept ? Faire de la Guadeloupe d’ici 2030, le plus grand jardin créole du monde. Parmi les objectifs : l’autosuffisance du territoire ou encore l’engagement des entreprises pour la protection de la biosphère. « Parce qu’aucune réponse toute faite ne suffirait à englober la complexité de nos modèles socio- économiques ; et parce que la pandémie mondiale ne cesse de nous appeler le relativisme de nos certitudes (…) Le jardin créole sera une ouverture sur le monde, le chemin vers un futur où les Nouvelles Technologies de l’information et de la communication (NTIC) pourront se déployer localement et augmenter notre rayonnement dans la Caraïbe. Le jardin-créole sera un atout touristique formidable de développement raisonné ».

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En attendant que ces gros chantiers se fassent, les quelques solutions immédiates qui pourraient être mises en place ont été résumées par Jean-Pierre Philibert, président de la FEDOM. « La situation est extrêmement compliquée. La réponse qui était celle de l’État a été à la hauteur. Les entreprises peuvent continuer à survivre, mais cela ne permettra pas la relance. Aujourd’hui, il faut une amélioration des fonds propres des entreprises. Il faut également une marge de manœuvre aux collectivités locales et surtout, il faut que l’État accepte de rentrer dans un principe de différenciation territoriale. La Guyane n’est pas la Martinique. La Martinique n’est pas Mayotte. La Réunion n’est pas la Polynésie. Aujourd’hui nous avons des dispositifs d’aide au fonctionnement à l’investissement qui sont les mêmes pour les territoires… C’est une faute collective. Il faut qu’on accepte la différenciation des aides, à l’instar de ce qui se fait pour l’investissement des réhabilitations hôtelières. Les taux sont différents pour La Guyane et Mayotte par rapport aux autres Dom. Nous y sommes prêts. On ne demande pas plus. On demande de répartir différemment ».

Jean-Pierre Philibert en a d’ailleurs profité pour indiquer qu’une convention avait été signée entre la FEDOM et la Banque des Territoires pour permettre à toutes les entreprises affiliées à la Fédération d’être au fait notamment des différents dispositifs en place pour les aider durant cette crise.

Abby Saïd Adinani 

Pour revoir le webinaire, c’est ici.