Regards d'actu avec Sonia Backès, Secrétaire d'État à la Citoyenneté : « Je pense que la République française permet aujourd'hui finalement à tous d'être à la fois fier de son identité propre et fier d'être Français »

Outremers 360 vous propose son nouveau format «Regards d’actu avec …». Une série dans laquelle nos invités livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Pour ce nouvel épisode de l'année 2023, nous donnons la parole à Sonia Backès, Secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté. Sonia Backès revient sur ses missions comme Secrétaire d'État, sa vision de la citoyenneté, ses espoirs sur la poursuite de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

Outremers 360 :Après plusieurs mois de fonction, quel bilan faites-vous de votre mission de Secrétaire d'État en charge de la citoyenneté?

Sonia Backès, Secrétaire d'État en charge de la citoyenneté : Un sentiment de responsabilité, un sentiment d'avoir envie de faire avancer les choses pour lesquelles le Président de la République m'a confié en me nommant à ce poste. Le sentiment qu'on est tous nommés là pour une durée déterminée avec l'idée de faire le plus de choses possibles dans cette durée-là. Je crois qu'il y a de gros enjeux. Le président de la République parle beaucoup de « faire nation ». Je pense que dans les sujets de la citoyenneté, il y a beaucoup à faire sur le sujet. 

Outremers 360 : Quel est le rôle d’une secrétaire d’État à la citoyenneté ?

Sonia Backès : La citoyenneté, c'est un grand mot. C'est à la fois être citoyen (avoir ces droits de vote, participer aux élections) mais c'est aussi le sentiment d'appartenance à la République. Je crois que c'est aussi pour ça que je suis là. C’est-à-dire que lorsqu'on s'est battue comme moi depuis 20 ans maintenant pour que la Nouvelle Calédonie reste française, pour que les personnes que je représente gardent leur passeport français, gardent la nationalité française, conservent cette appartenance à la République, on est encore plus attachés à la République. Cela donne un regard un peu différent. Et donc la citoyenneté, c'est ce sentiment d'’appartenance. 

Il est vrai que ces dernières années, ces dernières décennies même, on a réussi à faire que nos enfants soient des militants pour l'’environnement, des militants pour la planète. On a aujourd'hui toute une génération qui est très attachée à ça et c’est une excellente chose. Ils sont attachés à la planète, mais est-ce qu'ils sont autant attachés à leur pays ? Je crois qu'une partie de mon rôle est de faire qu'on arrive à recréer cette forme de patriotisme, cette forme d'attachement et de sentiment d'appartenance à la France.

Outremers 360 : Quelle définition vous donneriez au mot citoyen, à la citoyenneté ?

Sonia Backès : Il regroupe plusieurs aspects. D'abord un aspect engagement : s'engager pour son pays, ça veut dire s'engager comme sapeur-pompier, s'engager dans la réserve, s'engager tout simplement dans le secteur associatif pour aider son voisin, des jeunes.

La citoyenneté concerne aussi la question des droits civiques. On travaille sur la question de l'abstention, qui est très importante. Il y a des questions techniques avec des personnes qui ne sont pas inscrites dans les bons bureaux de vote. 

Puis il y a des aspects plus politiques. Pourquoi les plus jeunes d'entre nous, les 18-25 ans, ne vont pas voter ? Mon analyse est que quelque part, on a raté quelque chose à l'école. L'éducation morale et civique n'est pas forcément toujours faite de manière qu'à la sortie de l'école, ces jeunes aient envie d'aller voter, qu'ils comprennent pourquoi ils vont voter, qu'ils comprennent pourquoi leur bulletin de vote va changer quelque chose à leur quotidien. Nous avons un travail à faire sur ce sujet.

La citoyenneté porte également aussi la lutte contre les séparatismes, la lutte contre la radicalisation, contre les dérives sectaires. C'est la lutte pour que l'esprit et la manière dont la laïcité est construite en France depuis 1905 soit compris par les plus jeunes. La laïcité, c'est la possibilité d'être libre de croire ou de ne pas croire, de changer de croyance en toute liberté. Ceci est une liberté qui nous est enviée par un certain nombre d'autres pays. Je pense qu'on a intérêt à ce que les jeunes, les Français en général, soient fiers de cette construction française.

Outremers 360 : Vous êtes calédonienne, qu’est-ce que cette identité personnelle apporte en plus à la citoyenne française que vous êtes ?

Sonia Backès : Cela permet d'avoir un regard peut être un peu extérieur sur des problématiques fortes qu'il y a dans l'Hexagone. Je pense à la problématique de l'exercice de la laïcité, je pense à la problématique des séparatismes où finalement nous sommes en Nouvelle-Calédonie, et tant mieux, assez peu concernés par cette problématique de la radicalisation.

Ça permet d'avoir un regard nouveau sur tous ces sujets-là. Parallèlement en tant qu'Ultramarine, je vis ce que vivent les Ultramarins en arrivant dans l'Hexagone avec souvent un sentiment de décalage. Je pense que la citoyenneté c’est aussi donner aux Ultramarins les outils qui permettent qu'ils se sentent des citoyens français comme les autres.
Ce que je ressens c’est qu’il y a un vrai travail à faire pour qu'il n'y ait plus ce ressenti, de la part des Ultramarins, d’être des citoyens de seconde zone.

Outremers 360 : Comment conjuguez, selon vous, citoyenneté française et identités singulières des territoires ultramarins ?

Sonia Backès : La France, elle nous permet cela. Nicolas Sarkozy parlait d'un vaste espace de liberté où justement chacun peut grandir avec sa propre identité, avec sa propre diversité. Je pense que justement, il faut qu'on arrive à faire passer ce message. Sans doute, nous n'avons pas réussi à faire passer ce message puisque nous avons obtenu de tels résultats lors des précédentes élections. Mais je pense qu'il faut qu'on arrive et ça fait partie de la citoyenneté. Il y a un travail particulier à faire envers les ultramarins sur la question de la citoyenneté. J'aurai l'occasion de me déplacer dans les Outre-mer pendant cette année.

Je pense qu'il y a quelque chose de particulier à construire pour dire « oui, vous êtes Guadeloupéen, Martiniquais, Réunionnais, Polynésiens, Calédoniens, vous avez cette culture particulière qui n’est pas celle d'un Parisien, d'un Varois ou d'un Marseillais. C'est une culture particulière, c'est une identité particulière ».

On ne vit pas de la même manière quand on est ultramarins ou lorsqu'on est Parisien. C'est plutôt une fierté.  Dire finalement que la République nous permet d'être fiers de cette culture particulière et en même temps d'être fiers d'être Français parce que la France nous apporte les valeurs, l'histoire, toute cette richesse qui constitue la France. Quand on arrivera à conjuguer ces deux éléments là, je pense qu'on peut récupérer la confiance des Ultramarins.

Outremers 360 : Comment expliquez-vous les taux d'abstention de plus en plus élevés en Outre-mer ?  

Sonia Backès : Je pense qu'il y a plein de raisons. Il y a eu des événements particuliers pendant le quinquennat précédent, en particulier sur la manière dont ils ont réagi à la gestion du Covid. Il y a peut-être eu des réactions un peu conjoncturelles spécifiques sur ce vote-là.
 
Il y a de la part des ultramarins une volonté assez forte de reconnaissance identitaire. Il y a parfois un mélange entre l'autonomie, l'indépendance, la revendication identitaire, la citoyenneté française, ultramarine du territoire auquel on appartient. Il y a un vrai travail à faire sur la reconnaissance identitaire. Je pense que la République française permet aujourd'hui finalement à tous d'être à la fois fier de son identité propre et fier d'être Français. Il faut qu'on arrive à faire comprendre –on le voit bien aujourd'hui –que la France, finalement est une diversité d'identités incroyables, plus importante que dans plein d'autres pays européens et dans le monde.

On le voit avec notre équipe de France. C'est la fierté qu'on a sur cette équipe-là. On peut appartenir à une identité particulière, se sentir d'une identité guadeloupéenne, martiniquaise, réunionnaise, calédonienne, et être fier d'être Français. Je pense qu'il faut qu'on travaille sur ce point pour que les Ultramarins s'y retrouvent et aient plus envie de participer.

Outremers 360 : Vous vous êtes engagée fortement dans la lutte contre les dérives sectaires. Les territoires ultramarins sont-ils également concernés par ce problème ?

Sonia Backès : Les Outre-mer sont très concernés. Il y a dans tous les territoires ultramarins des dérives sectaires importantes, dont certains plus que dans l'Hexagone et, dans d’autres moins. Mais le sujet concerne tout le territoire de la République. 

La problématique que nous avons est que ces dérives sectaires donnent lieu à une emprise, soit une emprise mentale, une emprise financière, une emprise physique parfois.

L'idée est de lutter contre cela, lutter contre le fait que  l’emprise de ces gourous. Il n'y a pas d'alerte. Une fois qu'ils sont sous emprise, il est extrêmement dur de faire sortir les victimes.  Puis nous n'avons pas forcément les outils législatifs, il y aura sans doute effectivement un projet de loi, qui permettra de nous aider à faire que les victimes soient mieux accompagnées possible.

Sur ce sujet, il ne faut surtout pas stigmatiser les gens qui ont été victimes ou qui sont victimes de ces dérives sectaires. Souvent ils ont honte, honte d'avoir cru à tel ou tel gourou ou à telle ou telle croyance. Parfois, ils arrivent à en sortir, parfois ils n'y arrivent pas. Mais même quand ils arrivent à en sortir, ils ne dénoncent pas, de peur d'être moqués pour avoir cru à une croyance. Comme pour les violences faites aux femmes où la honte doit être portée par l'homme, auteur de ces violences et non par la femme victime de ces violences.
C'est pareil pour ce qui concerne les dérives sectaires, les personnes victimes de gourous ne doivent plus avoir honte. 

C'est une situation qui peut arriver à tout le monde. Elle peut toucher des personnes diplômées comme non diplômées et causer beaucoup de mal.

Outremers 360 : Quelles sont vos relations avec le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin ?

Sonia Backès : Excellentes. D'abord, je connaissais très bien Gérald Darmanin avant, puisqu'il s'était occupé notamment de sécuriser le troisième référendum de la Nouvelle-Calédonie pour lequel l'État a mis énormément de moyens.  J'ai une très grande amitié, un très grand respect pour Gérald Darmanin. J'ai de la chance qu'il me fasse confiance pour le remplacer dans des endroits stratégiques. J'ai eu l'occasion d'aller à Francfort au G7 des Ministres de l'Intérieur. J'ai eu l'occasion la semaine dernière d'aller à Stockholm pour la réunion des ministres de l'Intérieur et de la Justice de l'Union européenne, de représenter la France.
Pour l'Ultramarine, la Calédonienne que je suis, c'est un très grand honneur. J'ai eu l'occasion de le remplacer au banc au Sénat pour défendre la loi sur les Jeux olympiques et la possibilité pour l'État d'utiliser les images de vidéosurveillance pour éviter les mouvements de foule, pour repérer une arme longue sous un manteau, pour repérer un colis piégé par exemple. Ce sont des moyens exceptionnels. Ce projet de loi permet de le faire et j'ai la chance que le ministre de l'Intérieur m'envoie défendre, cela en son nom et au nom de la France, quand il s'agit de représentations internationales.

Vraiment, c'est à la fois quelqu'un qui m'apprend énormément et qui me fait confiance. Donc ça se passe très bien.

© Facebook Gérald Darmanin 

Outremers 360 : Avez-vous bon espoir quant à l’aboutissement des discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ?

Sonia Backès : Oui, vous savez sur la Nouvelle- Calédonie, j'ai toujours été optimiste. Au-delà des postures et des positions qui sont finalement très répétitives : nous avons Daniel Goa qui nous parlait de Kanaky 2014, puis Kanaky 2018, puis Kanaky 2021, maintenant 2025.  Finalement les Calédoniens sont bien rendus compte qu'ils n'ont pas eu d'indépendance en 2014, en 2018 et en 2021, et qu'ils ne l'auront pas plus en 2025. 

Au-delà des postures, je crois dans l'intelligence de nos discussions, de nos interlocuteurs. On l'a montré sur l'usine du Sud. Au-delà de l'avoir montré en 88 et en 98, nous sommes capables de trouver des accords. Nous avons un président de la République qui est très attaché à la Nouvelle-Calédonie, une Première ministre qui s'intéresse énormément aux sujets et qui suit le dossier de très près. Évidemment, un ministre de l'Intérieur et des Outre- mer qui en quelques mois sera allé deux fois en Nouvelle Calédonie puisqu'il y retourne début mars pour renouer entretenir le lien avec les indépendantistes.
Nous avons vraiment de la part de l'État, du Gouvernement, un intérêt très fort pour la Nouvelle-Calédonie et une volonté, je crois, d'arriver à trouver une solution.

Outremers 360 : Certains territoires comme la Guyane travaillent sur une réforme statutaire et citent souvent la Polynésie ou la NC en exemple : quels conseils pourriez-vous leur apporter ?

Sonia Backès : Effectivement, tous les territoires ultramarins regardent avec attention l'évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie. Je pense que c'est bien qu'ils le regardent. Mais il ne faut pas regarder que comme un exemple d'autonomie.

C'est un exemple d'autonomie mais dans cet exemple d'autonomie, il faut observer ce qui a marché et ce qui n'a pas marché. Parce que vouloir l'autonomie à tout prix, c'est bien. Mais finalement, lorsqu'on est responsable par exemple de sa propre sécurité sociale, l'on est aussi responsable de son déficit et de mettre en place les outils pour le rééquilibrer. Ce n'est pas la France qui paye et le territoire ultramarin qui décide. Cela ne peut pas marcher comme ça. Nous, nous sommes arrivés un peu aux limites de notre exercice, c'est-à-dire que la Nouvelle-Calédonie a par exemple choisi d'être compétente en matière de droit civil, de droit commercial. Finalement, elle est absolument incapable de faire évoluer son droit. La Nouvelle-Calédonie a un droit qui est aujourd'hui figé, -glacé, qui
n'évolue plus parce qu'elle n'a pas les moyens de le faire évoluer. 

Les territoires ultramarins ont intérêt à regarder ce qu'a fait la Nouvelle Calédonie, parce qu'en termes de reconnaissance identitaire, il y a des vraies choses qui ont été faites et il y a des vraies avancées en termes de transfert de compétences. Je veux dire, on a fait la gestion de crise covid avec nos propres compétences en matière de santé, en matière de gestion de crise. On a géré cette crise finalement plutôt bien puisque pendant 18 mois, on n'a pas eu de
covid en Nouvelle-Calédonie. Je pense qu'il y a des exemples et il y a des contre-exemples. Il ne faut pas regarder simplement le statut de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie comme un exemple de ce qui marche. Il faut aussi être lucide sur ce qui n'a pas fonctionné. 

Outremers 360 : Vous rendrez vous bientôt dans un territoire ultramarin ?

Sonia Backès : Oui, j'irai dans un territoire ultramarin, voir peut-être plusieurs, parce qu'encore une fois, la citoyenneté, elle a un sens, évidemment, sur tout le territoire de la République, elle a un sens et une saveur particulière dans les territoires ultramarins où cette notion d'identité et de citoyenneté s'entremêlent de manière importante. Et je crois que ça prend encore une fois un sens particulier. 

Outremers 360 : Quelles sont vos prochaines actualités ?

Sonia Backès : Alors j'ai évidemment une actualité nationale assez forte avec les Assises sur les dérives sectaires qui ont lieu les 9 et 10 mars prochains, avec la présentation du plan et le bilan du travail fait sur la question des séparatismes puisqu'une loi a été votée en août 2021 qui donne beaucoup de moyens à l'État pour entraver ceux qui ne respectent pas les valeurs de la République. Il s'agit de travailler également sur un nouveau volet du plan national de lutte contre la radicalisation.