Rapport de la Cour des comptes sur l’immigration illégale : Des situations problématiques en Guyane et à Mayotte

Rapport de la Cour des comptes sur l’immigration illégale : Des situations problématiques en Guyane et à Mayotte

La Cour des comptes vient de publier un rapport sur la politique de lutte contre l’immigration irrégulière, ainsi qu’aux moyens mis en œuvre et aux résultats obtenus par l’État. Trois thématiques ont été analysées : la surveillance des frontières, la gestion administrative des étrangers en situation irrégulière sur le territoire et l’organisation de leur retour dans leur pays d’origine. Dans les Outre-mer, la Guyane et Mayotte sont plus particulièrement concernées.

La Cour prend soin de préciser que son rapport a été inscrit à la programmation des publications de l’institution plusieurs mois avant la présentation du projet de loi immigration au Conseil des ministres puis au Parlement en février 2023, et qu’il a été écrit avant la loi immigration de décembre 2023. Selon la Cour des comptes, il y aurait environ 466 000 étrangers en situation irrégulière en France, estimation effectuée à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État fin 2023, et la pression n’a fait que s’accentuer depuis 2015 dans un cadre législatif extrêmement mouvant. « Le coût direct de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière est d’environ 1,8 milliards d’euros par an. Elle mobilise près de 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein », assure l’institution.

En Outre-mer, la pression migratoire est comparativement élevée (10% des non-admissions nationales et 48 % des étrangers en situation irrégulière), mais elle est très inégalement répartie, constate la Cour : « Mayotte et la Guyane concentrent à elles seules 97% des non-admissions ultramarines. C’est à Mayotte que l’on enregistre la quasi-totalité des étrangers en situation irrégulière (42 134 en 2022, + 82% en trois ans), dont environ la moitié a été éloignée en 2022, surtout vers l’archipel des Comores. La Guyane est, quant à elle, à l’origine de plus de 9% des non-admissions au niveau national (9165 en 2022, plus qu’un quadruplement en trois ans), essentiellement aux frontières du Suriname et du Brésil ».

À Mayotte, la pression migratoire est « démesurée », déplore le rapport. Entre 2012 et 2017 par exemple, la population étrangère est passée de 85 000 à 123 000 personnes, et constitue aujourd’hui 48% de sa population, dont 95% sont originaires des Comores. « La moitié est en situation irrégulière. La préfecture estime que 24 000 à 28 000 étrangers en situation irrégulière arrivent chaque année, au moyen de kwassas-kwassas, petites embarcations partant d’Anjouan voire de Madagascar. Cette immigration irrégulière nourrit l’extension des bidonvilles (39% des résidences) et la délinquance » souligne la Cour.

Cette dernière relève que l’opération Shikandra, en 2019, a permis des améliorations : protection des frontières maritimes, présence à terre, lutte contre les ressorts de l’immigration irrégulière (travail illégal, marchands de sommeil) et coopération internationale. « Elle s’est traduite par des renforts en effectifs et l’augmentation des moyens (radars, navires), coordonnés par un sous-préfet chargé de la lutte contre l’immigration clandestine. Mayotte bénéficie aussi d’un cadre juridique différencié : par exemple, un recours devant le tribunal administratif contre une mesure d’éloignement n’est pas suspensif, contrairement à l’Hexagone. Tout ceci a permis une hausse des éloignements, qui sont passés de 15 007 en 2015 à 21 547 en 2022 », précise la Cour.

Par ailleurs, le rapport indique que l’opération Wuambushu a permis de doubler les éloignements forcés (70 personnes par jour) et de détruire près de 400 habitations insalubres dans les bidonvilles. Il reprend des recommandations antérieures sur Mayotte de renforcement de la capacité d’interception des bateaux des passeurs, d’accentuation de la sécurisation des actes de police des étrangers, « de mieux coordonner l’action de la préfecture de Mayotte avec les services du ministère des Affaires européennes et d’associer le préfet de Mayotte au suivi du plan de développement des Comores ».

Autre région problématique après Mayotte, la Guyane, avec ses 700 km de frontières avec le Brésil sur le fleuve Oyapock, et ses 500 km de frontières avec le Suriname le long du fleuve Maroni. Des zones particulièrement difficiles à surveiller, tant il est aisé de traverser en pirogue puis de s’enfoncer dans la forêt amazonienne qui représente 96% du territoire. « La police aux frontières de Saint-Laurent du Maroni estime que 1000 pirogues traversent quotidiennement vers ou en provenance d’Albina au Suriname. Cette fluidité de la frontière permet également la prolifération de trafics : contrebande, orpaillage illégal, cocaïne, armes, trafic d’êtres humains notamment. La direction territoriale de la police nationale estime que 50% des crimes et délits commis à Cayenne le sont par des personnes étrangères, contre 30% dans la zone gendarmerie. L’implantation de gangs surinamais et brésiliens s’accroît », rapporte la Cour.

Le contrôle des flux est donc stratégique, mais les moyens de l’Etat sont dispersés et ne produisent que peu de résultats. « La police aux frontières prononce près de 10 000 non admissions par an, mais n’assure pas de présence permanente sur les fleuves Oyapock et Maroni, par manque de personnels et de moyens nautiques », reconnaît la Cour des comptes. Elle appuie la création d’un « état-major de souveraineté », qui serait dirigé par un sous-préfet qui coordonnerait l’ensemble des acteurs participant à la lutte contre l’immigration illégale. En outre, le rapport préconise l’instauration d’un plan partagé au sein de l’Etat sur le modèle du plan Shikandra à Mayotte.

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PM