Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO : des ultramarines qui font rayonner la science française

De gauche à droite et de haut en bas : Léa Douchet, Yolaine Duchauvet, Ludivine Roumbo, Noreen Wejieme, Merlène Saunier et Naïna Mouras ©Fondation L'Oréal

Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO : des ultramarines qui font rayonner la science française

Pour la 19ᵉ année consécutive, la Fondation L’Oréal, en partenariat avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’UNESCO, dévoile le palmarès du Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science 2025. Cette édition met à l’honneur six jeunes chercheuses ultramarines dont les travaux, aussi ambitieux qu’essentiels, contribuent à relever les défis scientifiques de demain. 

La remise du Prix se tient ce 8 octobre à Paris, au sein de l’Académie des sciences, symbole fort de la reconnaissance institutionnelle de ces femmes de science. Créé en 2007, ce programme soutient chaque année des doctorantes et post-doctorantes à un moment crucial de leur carrière, en leur apportant un financement, une formation au leadership et une visibilité dans le monde scientifique. 

Grâce à cette distinction, les 34 lauréates, dont six ultramarines, rejoignent une communauté mondiale de plus de 4 700 femmes scientifiques originaires de 140 pays, un réseau d’échange, d’inspiration et de soutien unique. Le Prix s’inscrit dans le programme international L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science, lancé en 1998, qui encourage la participation des femmes à tous les niveaux de la recherche, de l’éducation à l’excellence scientifique.

« Chaque année, le Prix Jeunes Talents nous rappelle la richesse et la diversité des contributions scientifiques apportées par les femmes en France. Ces 34 lauréates, doctorantes et post-doctorantes, sont le visage d’une science innovante, audacieuse et engagée », souligne Pauline Avenel-Lam, Directrice Exécutive de la Fondation L’Oréal. « Notre mission est de lever les obstacles, visibles et invisibles, qui freinent encore leur progression. En les soutenant à un moment clé de leur parcours, nous investissons dans des carrières exceptionnelles, mais aussi dans l’avenir de la recherche. »

Les voix ultramarines : six femmes qui relient la science, la nature et les territoires

Cette année, plusieurs lauréates venues des Outre-mer ou travaillant dans ces territoires se distinguent par la portée universelle de leurs recherches et leur attachement profond à leurs îles. De la Nouvelle-Calédonie à la Guadeloupe, en passant par La Réunion, leurs parcours racontent des histoires de rigueur, de curiosité et de passion mais aussi de courage et de transmission.

Léa Douchet (IRD Nouvelle-Calédonie) : prédire les épidémies grâce au climat 

Comprendre les liens entre le climat et la santé pour anticiper les épidémies : c’est le défi que s’est lancé Léa Douchet, doctorante à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en Nouvelle-Calédonie. Sa thèse en mathématiques appliquées vise à créer des modèles prédictifs capables d’aider les communautés à se préparer face aux maladies tropicales comme la dengue ou la leptospirose. 

« Je récupère des données de santé issues de différents pays et des données climatiques obtenues par satellite. Les mathématiques appliquées permettent d’étudier les liens entre ces variables, d’identifier les indicateurs clés et d’utiliser ces relations passées pour prédire les risques futurs. » Basée à Nouméa, Léa s’épanouit dans ce qu’elle décrit comme un milieu « stimulant et foisonnant d’idées » : « J’adore l’ambiance des laboratoires de recherche, l’émulation intellectuelle, les échanges permanents. Et puis la vie en Nouvelle-Calédonie me correspond : j’aime être dehors, faire du sport, profiter de la nature. »

(crédits Outremers360)

Lauréate du Prix Jeunes Talents 2025, elle voit cette distinction comme un symbole de persévérance : « Le parcours de recherche est semé d’embûches, de doutes, mais aussi de passion. Recevoir ce prix, c’est une belle reconnaissance de tout ce cheminement. » Et à celles qui hésitent à se lancer dans la science, elle adresse un message simple : « Il faut oser y aller ! Même quand on doute, il faut aller voir, essayer, se confronter. Et surtout, bien s’entourer. Si vous avez dans votre entourage des jeunes filles attirées par les sciences, encouragez-les : c’est une expérience passionnante et pleine de sens. »

Yolaine Duchaudet (Université des Antilles / Institut Pasteur de Guadeloupe) : les plantes caribéennes au service de la santé

En Guadeloupe, Yolaine Duchaudet explore la richesse des plantes locales pour lutter contre les moustiques vecteurs de maladies. Sa thèse, à la croisée de la phytochimie et de l’entomologie médicale, fait dialoguer tradition et innovation.

« Mon travail vise à recenser le patrimoine végétal guadeloupéen et à valider scientifiquement les savoirs transmis de génération en génération. C’est une manière d’éviter la perte de ces connaissances et de leur redonner une légitimité, notamment dans un contexte post-colonial où nos savoirs locaux ont souvent été marginalisés. »

(crédits Outremers360)

Lauréate de la Fondation L’Oréal-UNESCO, Yolaine parle avec émotion de ce que représente cette reconnaissance : « Ce prix me donne de la légitimité, il renforce mon estime de moi. Il m’aide à prendre conscience de tout ce que j’ai déjà accompli et de tout ce qu’il reste à faire. C’est une vraie émulsion d’émotions ! »

Son message, à la fois méthodique et inspirant, tient en trois mots : « Observe, tente et ose. Observe ton environnement, trouve des modèles qui t’inspirent. Tente, essaie sans crainte. Et surtout, ose ! Crois en toi, sois audacieuse. »

Ludivine Roumbo (Institut Jacques Monod, Paris) : comprendre les secrets de la division cellulaire

Originaire de Guadeloupe, Ludivine Roumbo étudie la mitose, ce moment clé où une cellule se divise pour donner la vie. Doctorante à l’Institut Jacques Monod (Université Paris Cité), elle explore les mécanismes qui régulent cette division, dont le dérèglement peut mener à certaines formes de cancers.

« Vous, moi, votre chat, nous venons tous d’une seule cellule qui se divise encore et encore pour former nos tissus et nos organes. Ce processus doit être parfaitement régulé : une cellule qui se divise au mauvais moment ou au mauvais endroit, c’est le risque de développer des anomalies, voire des cancers. »

(crédits Outremers360)

Sa recherche se concentre sur l’équilibre entre activation et désactivation des protéines qui commandent la division : « C’est un peu comme une usine : certaines protéines mettent les ouvriers au travail, d’autres les arrêtent. Nous essayons de comprendre comment cette balance est régulée au moment précis où la cellule décide de se diviser. »

Pour elle, être lauréate de ce prix, c’est participer à un mouvement collectif : « En France, seules 29 % des chercheurs sont des femmes, contre 34 % en Europe. Ce prix permet de nous rendre visibles et de montrer aux jeunes filles qu’elles ont leur place dans la science. » Et de conclure avec un sourire : « On dit souvent : la Guadeloupe, territoire de champions. Moi, je dis : pourquoi pas demain, la Guadeloupe, territoire de scientifiques ? »

Noreen Wejieme (Nouvelle-Calédonie) : quand l’océan devient un indicateur de santé publique

Noreen Wejieme, 31 ans, vient tout juste de soutenir sa thèse en écologie marine. Ses travaux évaluent le compromis entre bénéfices nutritionnels et risques de contamination des poissons coralliens dans le Pacifique. « Mon premier chapitre portait sur l’ensemble du Pacifique. J’ai utilisé des données déjà existantes pour créer des modèles permettant d’identifier les variables les plus influentes sur la concentration de contaminants dans les poissons : population, température de l’eau, PIB, surface agricole, pesticides… »

En Nouvelle-Calédonie, elle a mené des campagnes d’échantillonnage tout autour de l’île. « Certaines zones présentent un peu plus de métaux, notamment près des sites miniers, mais à des niveaux largement inférieurs aux seuils dangereux. On peut consommer du poisson sans inquiétude. Et surtout, les poissons calédoniens sont riches en minéraux et acides gras essentiels. »

(crédits Outremers360)

Lauréate du Prix L’Oréal-UNESCO 2025, Noreen voit dans cette reconnaissance une opportunité unique : « Ce prix me permet de valoriser mes recherches à l’échelle du Pacifique et de montrer leur importance pour les communautés insulaires. » Elle rêve de créer un indicateur de “consommabilité” pour aider les populations locales à choisir les espèces « les plus nutritives et les moins contaminées ». Et à celles qui doutent d’elles-mêmes, elle rappelle : « Il faut dire aux femmes : vous avez le droit, vous avez votre place. De toute façon, qu’avez-vous à perdre ? Rien. »

Merlène Saunier (Université de La Réunion) : protéger les oiseaux marins d’Europa

Spécialisée en biologie de la conservation, Merlène Saunier consacre ses recherches à la protection des écosystèmes insulaires, en particulier sur l’île Europa, dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). « J’étudie deux espèces de paille-en-queue, des oiseaux marins dont une sous-espèce est endémique d’Europa, donc unique au monde. Elle est aujourd’hui classée en danger critique d’extinction, notamment à cause de prédateurs introduits : les rats et les corbeaux-pies. »

Merlène a passé près de 60 semaines sur le terrain ces cinq dernières années : « C’est une expérience humaine et scientifique incroyable. On vit avec les militaires, on gère l’eau, les déchets, la nourriture. C’est une vraie micro-société. » Son projet actuel, CRIME, vise à tester différents protocoles de conservation et à fournir des recommandations concrètes pour protéger les nids et réguler les prédateurs. « Ce que nous apprenons à Europa pourra être appliqué ailleurs, dans d’autres îles tropicales confrontées aux mêmes menaces. »

(crédits Outremers360)

Elle confie avoir accueilli le Prix avec surprise et fierté : « On s’est toutes dit : est-ce que c’est vrai ? C’est un prix prestigieux, très émouvant. Grâce à la dotation, je vais pouvoir améliorer certains protocoles et explorer de nouvelles pistes. » Et son message, lucide et fort, s’adresse à la nouvelle génération : « Le premier filtre pour les femmes en recherche, c’est nous-mêmes. On n’est pas obligées de partir pour réussir, ni condamnées à échouer si l’on reste. Il faut s’écouter. Les Outre-mer sont des joyaux de biodiversité. Ils ont besoin de nous, de connaissances, de passion et de confiance. »

Naïna Mouras (Université de Nouvelle-Calédonie) : Protéger les mangroves pour la résilience des milieux marins

Doctorante à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (ISEA) et originaire de l’archipel, Naïna Mouras consacre sa thèse à la protection des mangroves, ces forêts côtières essentielles à la résilience des milieux marins. « Mes recherches visent à mieux comprendre le rôle des mangroves pour la résilience des récifs et des herbiers, mais aussi leur importance en tant que puits de carbone. »

Ses travaux montrent que certaines espèces de palétuviers contribuent directement à la santé des récifs coralliens. « Une application concrète est de valoriser la préservation des mangroves sur les littoraux tropicaux. » Animée depuis toujours par un lien fort avec la mer, elle veut unir excellence scientifique et impact sociétal. « Quand j’ai quitté la Nouvelle-Calédonie pour mes études, la mer m’a beaucoup manqué. J’ai compris que je voulais la comprendre, l’étudier, et surtout la préserver. »

Malgré des obstacles et des comportements dévalorisants, Naïna a tenu bon. « J’ai envie que d’autres jeunes femmes se sentent légitimes, qu’elles osent, qu’elles ne se censurent pas. »

Des parcours différents, un même souffle : celui de la transmission

Qu’elles étudient le climat, la mer, les cellules, les plantes ou les oiseaux, ces chercheuses ultramarines ont en commun la même conviction : la science est un outil d’émancipation et de transmission. Elles démontrent que la recherche française, loin d’être confinée aux laboratoires métropolitains, s’écrit aussi depuis les territoires ultramarins, là où l’environnement, la culture et la résilience se rencontrent.

Toutes le rappellent, chacune à sa manière : « Le monde a besoin de science, et la science a besoin des femmes. »