Pour le Vanuatu, l'avis de la CIJ constituera un tournant dans la justice sur le climat

Le ministre du Changement climatique Ralph Regenvanu, s'adressant à la Cour Internationale de Justice en décembre 2024

Pour le Vanuatu, l'avis de la CIJ constituera un tournant dans la justice sur le climat

Le Vanuatu, une nation insulaire du Pacifique, a été le plus en pointe dans les efforts déployés en vue de faire établir par la Cour internationale de justice (CIJ), dans un avis qu'elle rendra mercredi, un cadre juridique mondial pour la lutte contre le changement climatique.


A la veille de l'annonce de cette décision de première importance de la CIJ, l'AFP s'est entretenue avec le ministre du Changement climatique de cet archipel, Ralph Regenvanu, 54 ans, qui a ouvert en décembre les audiences de la plus haute juridiction de l'ONU, dont le siège se trouve à La Haye.

Que signifie cette affaire pour le Vanuatu et pour le monde? 

Les dirigeants du Vanuatu "ont clairement montré que le changement climatique constituait la plus grande menace pour l'avenir des peuples du Pacifique". "Nous parlons du changement climatique, de ce qui va priver nos enfants de leur avenir". "Pour de nombreux pays du Pacifique, c'est une question existentielle, car ils disparaîtront, (à commencer par) les pays ayant une faible altitude comme Tuvalu et Kiribati".
"Si nous ne parvenons pas à réduire les dommages que nous constatons ou à tenter de ralentir cela, nous risquons très bientôt d'avoir à faire face aux pires conséquences".

Qu'espérez-vous de cet arrêt? 

"Nous espérons que la CIJ dira que lutter contre le changement climatique est une obligation légale pour les Etats. Il faut respecter les autres Etats et leur droit à l'autodétermination".
"Le colonialisme a disparu - vous savez, il est censé avoir disparu - mais là on parle d'une relique (de ce colonialisme), quand votre comportement en tant qu'Etat continue de compromettre l'avenir du peuple d'un autre pays".
"Et vous n'avez aucun droit légal de le faire en vertu du droit international. De plus, si vos actions ont déjà causé ce préjudice, il faut qu'il y ait réparation".  

Quel est l'impact du changement climatique sur votre pays? 

"Au Vanuatu, nous constatons que de vastes étendues de terres autrefois habitables sont devenues inaccessibles aux populations qui y vivaient depuis longtemps".  
"On observe également des cyclones tropicaux plus fréquents et plus intenses, qui constituent l'événement météorologique naturel le plus destructeur que nous connaissions au Vanuatu".
"La saison des cyclones s'allonge, nous assistons à davantage précipitations extrêmes, qui provoquent des inondations, des glissements de terrain, etc".
"Et l'impact sur l'économie est également important pour le gouvernement. Nous constatons d'importants dégâts auxquels l'Etat doit répondre".
"Une grande partie de notre PIB est consacrée à la reconstruction, au rétablissement et à la préparation (aux catastrophes naturelles). Nous avons besoin d'aide pour construire des infrastructures publiques robustes, afin d'éviter de continuer à dépenser de l'argent pour la reconstruction".

Que ressentez-vous à la veille de la décision? 

"Je suis optimiste. Je pense que nous allons obtenir un avis favorable, fondé sur les précédents avis rendus par le Tribunal international du droit de la mer et sur celui de la Cour interaméricaine des droits de l'homme".
"Nous croisons donc les doigts mais nous avons bon espoir que ce sera un résultat positif".
"Et je pense que cela changera également la donne dans le débat climatique que nous connaissons".
"Nous traversons cette situation depuis 30 ans, vous savez, donc cela va changer. Cela va modifier le discours et c'est ce dont nous avons besoin".

 Quelles seront selon vous les conséquences de cette décision? 

"Je pense que l'avis consultatif sera très puissant chez les Etats et pourra être utilisé par les personnes qui intentent des poursuites contre leur gouvernement".
"Tous les tribunaux pourront s'en servir. Qu'il s'agisse d'un tribunal au niveau de la municipalité ou d'un tribunal au niveau de l'Etat, ils pourront recourir à cette nouvelle décision pour forcer les gouvernements à rendre des comptes et à agir davantage".
"Mais je pense aussi que, dans des pays comme le Vanuatu, (...) nous pourrons nous appuyer sur cela pour défendre nos arguments".
"Une clarté juridique sera fournie sur de nombreux points sur lesquels nous débattons depuis si longtemps".
 

Cinq questions clés à suivre dans l'avis de la CIJ sur le climat

La Cour internationale de justice (CIJ), plus haute juridiction de l'ONU, s'apprête à rendre mercredi son tout premier avis consultatif sur le changement climatique, considéré par beaucoup comme un moment important du droit international.

L'avis, attendu à 15H00 à Paris (13H00 GMT), devrait se dérouler sur plusieurs centaines de pages clarifiant les obligations des nations en matière de prévention du changement climatique ainsi que les conséquences pour les pollueurs qui ne s'y sont pas conformés. Voici cinq points majeurs à trancher dans l'avis.

Quel cadre juridique? 

C'est le coeur du problème. Les juges de la CIJ chercheront à rassembler différents pans du droit environnemental en une norme internationale définitive.
Les principaux pollueurs affirment que cela n'est pas nécessaire, puisque la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, et ses COP annuelles, sont l'organe politique déjà chargé d'agir.
Mais les plaignants veulent voir adopter un cadre plus large, incluant les droits humains et le droit de la mer.
Le Vanuatu a exhorté les juges à prendre en considération "l'ensemble du corpus du droit international" dans leur avis. La CIJ est "la seule juridiction internationale ayant une compétence générale dans tous les domaines du droit international, ce qui lui permet de fournir une telle réponse", a déclaré le petit pays mélanésien.

 Quelles conséquences juridiques? 

C'est la deuxième question, controversée, que les juges ont examinée: quelles sont les conséquences juridiques pour les pays dont la pollution a contribué à la crise climatique?
Des pays comme les Etats-Unis soutiennent que l'accord de Paris de 2015, adopté par quasiment tous les pays du monde, est le texte clé, qui ne prévoit pas de compensation directe pour les dommages passés.
Les grands pollueurs estiment de toute façon impossible d'imputer à des pays spécifiques la responsabilité d'un phénomène mondial.
A l'opposé, on invoque un principe fondamental du droit international: "ubi jus, ubi remedium":  là où il y a droit, il y a remède.
En jargon juridique, cela se traduirait par la cessation, la non-répétition et la réparation. Donc potentiellement par l'arrêt des subventions aux combustibles fossiles, une réduction des émissions, etc.
Les pays vulnérables réclament une réparation financière -- inacceptable pour les pays riches qui en ont toujours refusé le principe -- et la reconnaissance des fautes commises dans le passé, ainsi que des délais de grâce pour le remboursement des dettes liées aux catastrophes climatiques.

Préjudice ou non? 

Une autre question est celle du droit "transfrontalier", souvent connu sous le nom de "règle de non-préjudice". Ce principe du droit international signifie qu'un Etat ne doit pas autoriser sur son territoire des activités susceptibles de causer un préjudice à un autre Etat.
Cette règle s'applique-t-elle aux émissions de gaz à effet de serre?
Les pollueurs soutiennent que non, puisqu'il n'existe pas de source unique et spécifique pouvant être identifiée comme causant des dommages à un autre Etat.

Prise de conscience 

L'une des questions centrales des audiences en décembre était de savoir à quel moment les gouvernements ont pris conscience que les émissions de gaz à effet de serre réchauffaient la planète.
Les Etats-Unis répondent la fin des années 1980. La Suisse a défendu que le lien ne pouvait être établi avant les études scientifiques de cette décennie.
Balivernes, répondent les plaignants, qui citent des études remontant jusqu'aux années 1960.
Ce point est essentiel, car il pourrait avoir une incidence sur le moment où les réparations potentielles entreraient en vigueur.

Générations futures 

Le concept d'"équité intergénérationnelle" est une autre exigence fondamentale des militants de la justice climatique.
"L'impact du changement climatique n'est pas limité dans le temps", affirme la Namibie, les effets les plus graves frappant les populations des décennies, voire des siècles plus tard.
Mais les pays développés rétorquent que les droits des personnes qui ne sont pas encore nées n'ont aucune valeur en droit international.
"Les êtres humains vivant aujourd'hui ne peuvent pas revendiquer des droits au nom des générations futures", a déclaré l'Allemagne.

Avec AFP